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Le fait divers, ce mal-aimé qui fascine

Le fait divers est étroitement lié à l'histoire de la presse. Keystone

Le destin de la jeune Autrichienne Natascha Kampusch ou, plus près de nous, celui du fils de la skieuse assassinée Corinne Rey-Bellet ont été abondamment relatés par les médias.

La puissante machine du fait divers fonctionne en Suisse comme ailleurs, avec encore plus de ressort depuis que sont apparus les journaux gratuits.

Lancés par de grands groupes de presse dès 1999 en Suisse alémanique et dès 2005 en Suisse romande, ceux-ci se sont multipliés dans le paysage médiatique.

Même s’ils n’ont pas bouleversé les habitudes des autres journaux, leur arrivée a néanmoins déclenché le débat, ainsi qu’une réflexion dans les rédactions.

«Il a été question de savoir comment intéresser les gens avec des articles plus émotionnels et plus courts», observe Roger Blum, directeur de l’Institut des sciences de la communication et des médias de l’Université de Berne. Mais pour lui, c’est avant tout la télévision qui a accentué la tendance à la personnalisation de l’information.

A cet égard, la presse ‘people’ constitue un laboratoire d’observation des plus intéressants. A tel point qu’elle fait l’objet d’un projet de recherche du Fonds national de la recherche scientifique (FNS) mené par Annik Dubied.

Spécialisée dans l’analyse du fait divers dans la presse francophone, elle souligne la complexité de ces genres souvent décriés dont le succès tient peut-être au fait qu’en racontant l’être humain, ils donnent l’impression de pouvoir le comprendre.

swissinfo: L’apparition des quotidiens gratuits a encore renforcé l’impression que le fait divers est partout. D’où ce genre tient-il son pouvoir invasif ?

Annik Dubied: Il est vrai que des journaux qui auparavant excluaient ce genre d’informations ont commencé à faire du fait divers. ‘Le Monde’ ou ‘Le Temps’ par exemple en font, bien que toujours selon un traitement particulier.

Cela dit, il ne faut pas confondre, ni pour le fait divers ni pour le ‘people’, avec une tendance générale des médias à la personnalisation et la spectacularisation.

Le mouvement qui consiste à utiliser davantage de témoignages pour mieux parler au public, pour fonctionner en proximité, est assez général.

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Fonds national suisse de la recherche scientifique

Ce contenu a été publié sur Le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) est une organisation privée, mais en grande partie financée par la Confédération. Son but est de promouvoir la recherche de base en Suisse. Le FNS soutient la recherche dans tous les domaines, de la philosophie à la médecine en passant par les nanotechnologies. Sa principale tâche…

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swissinfo: Il y a-t-il une influence des gratuits sur le reste de la presse, en particulier en ce qui concerne le traitement du fait divers?

A.D.: C’est un peu tôt pour le dire, surtout en Suisse romande où cela ne fait que quelques mois qu’on les connait. En fait, les gratuits se sont inspirés de ce qui existait dans la presse payante. J’imagine donc que s’il y avait influence, elle serait mutuelle.

Mais au-delà de cela, il y a un rapport intéressant à faire avec les débuts de la presse de masse dans le domaine francophone.

En France en particulier, au moment où sont apparus les premiers journaux vendus à un prix abordable au plus grand nombre, ceux-ci ont fonctionné grâce aux faits divers. Il était bien connu, et il est encore bien connu, que le fait divers est un bon vendeur.

swissinfo: Le fait divers a donc une histoire. Quels ont été ses hauts et ses bas?

A.D.: On trouve déjà des traces de fait divers dès le XVIe siècle dans des occasionnels. Mais le véritable ‘âge d’or’ est la fin du XIXe siècle. Il y a alors une véritable vague du fait divers, qui est partout, dans la presse, mais aussi dans les chansons et les romans populaires.

Des journaux de l’époque ont augmenté leur tirage, parfois de manière impressionnante, en couvrant un fait divers spécifique. En racontant le quintuple meurtre de l’affaire Troppmann en feuilleton, ‘Le Petit Journal’ a par exemple décuplé ses tirages.

swissinfo: Aujourd’hui, le fait divers se voit concurrencé par le ‘people’ que vous évoquiez. Celui-ci est-il un prolongement du fait divers?

A.D.: Tous deux vivent par le biais des médias et constituent des récits, avec des personnages, des péripéties, un dénouement. Autre point commun, tous les deux sont des transgressions du cours normal des choses.

Mais on peut distinguer en jouant un peu sur les mots. Si le fait divers est une histoire extraordinaire arrivée à des gens ordinaires, le ‘people’ est plutôt quelque chose d’ordinaire qui arrive à des gens prétendument extraordinaires.

Lorsqu’on trouve des ‘people’ dans des faits divers, c’est dans leur vie de tous les jours. Par exemple c’est ce qui est arrivé dans sa vie ordinaire qui a porté Marie Trintignant à la une.

swissinfo: Quel miroir nous tendent ces deux genres?

A.D.: Tous les deux sont très typiques de l’époque dans laquelle nous vivons. De plus en plus, on trouve dans les médias des lieux où l’on vient discuter de l’intimité sur la place publique. On constate une modification de la frontière entre vie publique et vie privée.

En plus, la manière dont c’est porté sur la place publique est intéressante, soit presque sous forme de débat. Dans les informations ‘people’, il n’y a pas seulement l’histoire, il y a aussi une évaluation explicite sur ce qui est bon ou pas bon.

Cela fait dire aux sociologues contemporains, qui parfois voient cela comme étant problématique, que le débat public est en train de muter. Il ne porte plus la meilleure façon de vivre en société ou sur des questions rationnelles, mais sur des individus et leur manière de vivre.

Interview swissinfo: Carole Wälti

L’expression ‘faits divers’ apparaît au milieu du XIXe siècle pour qualifier un récit effectué par un journal.

Le Grand Larousse Universel atteste le mot ‘faits divers’ en 1872 sous sa définition journalistique. L’Académie française l’entérine en 1932.

Au XIXe siècle, Stendhal, Flaubert ou Maupassant s’inspirent de faits divers pour l’intrigue du ‘Rouge et le Noir’, de ‘Madame Bovary’ ou de ‘La petite Roque’.

Longtemps méprisé, le fait divers commence à être étudié dans les années 60 par les linguistes, les anthropologues, les sociologues.

Les spécialistes s’accordent à le définir comme un désordre dans le déroulement habituel des faits. Mis en forme comme un récit, il a pour thème de prédilection, le monstrueux, le criminel ou l’incroyable.

Lancé fin 1999 à Zurich, ’20 Minuten’ a gagné la bataille contre son concurrent d’alors, ‘Metropol’, qui a paru entre 2000 et 2002.

Selon la dernière étude de l’organisation de recherches et d’études des médias publicitaires (REMP) publiée en septembre 2006, ’20 Minuten’, qui appartient à Tamedia, compte plus d’un million de lecteurs.

En Suisse romande, ’20 Minutes’ existe depuis mars 2006. Ses résultats REMP ne sont pas encore connus. Lancé en octobre 2005, son concurrent ‘Le Matin bleu’ d’Edipresse comptait 218’000 lecteurs au premier semestre 2006.

Deux autres gratuits ont été lancés en Suisse alémanique en 2006 par Ringier. ‘Heute’ a fait son apparition en mai et ‘CASHdaily’, axé sur l’économie, en septembre.

Dans le même créneau, ‘Il Caffè’ existe depuis 1998 au Tessin. Appartenant à Ringier, il ne paraît que le dimanche.

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