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Le fromage suisse au pays du gruyère troué

Des petits trous, des petits trous, des petits trous.... toujours des petits trous.

Pendant deux semaines, les Français ont pu déguster cinq fromages AOC suisses proposés dans des restaurants. Une initiative du collectif Switzerland Cheese Marketing destinée à faire connaître ces fromages.

Une opération qui se heurte à un marché fromager français, riche et difficile d’accès. Reportage.

«C’est l’emmental qui a des trous?! Ah bon?! » Valentine Vandervorm en est restée bouche bée, oubliant le morceau de gruyère qu’elle s’apprêtait à avaler. Comme tous les Français, cette trentenaire, conseillère en entreprise, était convaincue que le gruyère…était troué.

Pour lutter contre cette méconnaissance de la culture fromagère suisse, le collectif Switzerland Cheese Marketing a organisé des animations, des affiches et des dégustations.

Mais vingt ans de campagnes n’y ont rien changé: « Cela m’arrive tout le temps. Les clients demandent du gruyère. Je vais vers le Gruyère de Fribourg, et ils me disent ‘non, celui qui a des trous’! Alors je leur explique que c’est l’emmental qui a des trous. Ça fait trente ans que je leur répète la même chose ». Et Marie-Anne Cantin s’y connaît.

Dans son petit magasin, à quelques centaines de mètres de la Tour Eiffel, cette fromagère-affineuse vend 165 sortes de fromages, dont trois suisses d’appellation d’origine contrôlée (AOC).

Paris est un gruyère

Pour le grand public, le lapsus est même passé dans le langage courant: l’expression «Paris est un gruyère» fait référence aux sous-sols parisiens, truffés de tunnels de métro et de catacombes.

Notre dégustatrice a son explication: «ça remonte à notre enfance: dans les dessins animés, on voit toujours un morceau de fromage troué dans les pièges à souris. Et on dit que c’est du gruyère».

L’anecdote du gruyère troué illustre bien la situation du fromage suisse sur le marché français. Les Français en consomment, l’apprécient, mais ne s’y intéressent pas. D’abord, parce qu’un produit suisse ne fait pas rêver, il évoque l’ennui plus que l’exotisme.

«Ce sont des fromages à l’image de la Suisse: propres, verdoyants, décrit Marie-Anne Cantin, juste après les sports d’hiver, j’en vends beaucoup. Les clients sont allés à la montagne, ils les ont goûtés et veulent retrouver leurs saveurs.»

Ensuite, parce que les Français restent convaincus que leur pays est La nation du fromage. Ils valorisent leurs productions, celles qui empestent – comme les maroilles, surnommés «puants macérés».

Les vrais fromages..au lait cru

Pour eux, les vrais fromages sont ceux au lait cru – dont le lait n’a pas dépassé les 40°-, pas les fromages à pâtes dures, spécialités suisses.

«Les Suisses manquent de diversité, ils ont beaucoup de pâtes cuites. C’est sûrement pour ça qu’ils ont un accès limité à notre marché », analyse Sylvain Albert, directeur du restaurant le Taste-Monde.

Potentiellement, le marché hexagonal est énorme. Derrière les Grecs et leur feta, les Français sont les 2ème plus gros mangeurs de fromage en Europe: 25 kilos par personne et par an.

Le plus vendu reste le camembert, fromage national par excellence. C’est avec son dauphin, l’emmental français, que les Suisses ont pu se faire une niche.

Même si ce fromage n’a pas grand-chose à voir avec son homonyme suisse – un peu plastique, il se consomme presque exclusivement râpé, sur les pizzas ou dans les crêpes –, l’ emmental AOC représente tout de même la moitié du fromage suisse acheté en France.

Les Suisses à la traîne

Ce sont les AOC qui parviennent à s’exporter, gages de qualité et d’une saveur unique. Depuis trois ans, les quantités augmentent peu à peu. De 5’043 tonnes achetées par la France en 2004, on est passé à 5’482 tonnes l’année dernière.

«Nos fromages ont le vent en poupe, s’exclame Franck Lefèvre, responsable de Switzerland Cheese Marketing en France, ils profitent de l’intérêt des Français pour les produits de qualité, du terroir et en plus, ils bénéficient d’un changement de la consommation!»

Désormais, 40% du fromage se mange hors de la table familiale. Les fromages à pâte dure profitent du développement des apéro-dîners et du «snacking», le grignotage hors des repas.

Les fromages suisses ne représentent pourtant que 1% de la consommation française. Il faut dire qu’entre 15 et 25 euros le kilo, ils sont chers.

Au Monoprix, un supermarché plutôt haut de gamme, la responsable fromages les a mis tout au bout de l’allée: «ils sont à part, parce que ce sont des produits de luxe. Ils se vendent surtout le week-end, quand les gens ont envie de se faire plaisir».

Un problème d’image

«Trop chers, hivernaux et ennuyeux», ces fromages souffrent de la même image que la Suisse.

A cet égard, les publicités de cette année dans les magazines sont un échec: un quiz sur la culture fromagère suisse qui ressemble à un dossier de presse et où toutes les réponses sont correctes… les jeunes ne voient même pas qu’il s’agit d’une pub.

Franck Lefèvre aimerait secouer un peu plus son public: «Je voulais faire une campagne un peu plus originale, mais les Suisses aiment les choses sérieuses. Peut-être l’année prochaine… »

swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, Paris

En France
Consommation moyenne par habitant: 25 kilos en 2006, soit 627’586 tonnes
Production nationale: 1 856 000 tonnes
La France produit plus de 1000 variétés de fromages
47% des français en consomment quotidiennement
Le fromage représente 6,7% du budget alimentaire français.

En Suisse
Consommation moyenne par habitant: 20 kilos, soit 153’075 tonnes
Production nationale : 167 706 tonnes
La Suisse produit plus de 450 variétés de fromages

Les fromages les plus vendus en Suisse: la mozzarella, le gruyère et la raclette

34% de la production, soit 56’940 tonnes (2005) sont exportées, dont 5482 tonnes en direction de la France, le 3ème importateur derrière l’Allemagne et l’Italie.

Switzerland Cheese Marketing est une entreprise dont l’objectif est de promouvoir les fromages suisses à l’étranger. Elle est surtout présente en France, Italie, Allemagne et au Bénélux.

L’appellation d’origine contrôlée (AOC) désigne un produit originaire d’une région ou d’un lieu déterminé. Ses caractéristiques proviennent de la combinaison d’une méthode de production et d’une zone géographique, un terroir.
Au départ, cette protection a été créée pour garantir l’origine du vin. Elle a ensuite été élargie à l’ensemble des produits agricoles ou alimentaires, puis aux produits forestiers et aux produits de la mer.
Il existe quelque 45 fromages AOC en France, 103’500 tonnes en ont été vendues en 2006.
En Suisse, il y a 9 fromages AOC : les Berner Alpkäse et Berner Hobelkäse, le formaggio d’Alpe ticinese, la tête de moine, le sbrinz, le gruyère, l’étivaz, le vacherin Mont-d’Or, le vacherin fribourgeois et l’emmental.

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