Des perspectives suisses en 10 langues

Le multilinguisme suisse, un avantage compétitif

L'analyse économique ne tient en général pas compte du rôle des langues.

Le multilinguisme suisse est source de richesse, et pas seulement culturelle: cette particularité génère 46 milliards de francs par année, soit 9% du produit intérieur brut (PIB). C'est ce que révèle une étude réalisée par l'Université de Genève.

Il s’agit d’une première: jamais encore on n’avait calculé la valeur économique des compétences linguistiques d’un pays, ont indiqué les chercheurs lors de la présentation de leurs travaux la semaine dernière à Berne. C’était l’objectif de leur projet de recherche, «Langues étrangères dans l’activité professionnelle» (LEAP).

Les chercheurs rappellent que la Suisse compte quatre langues principales, par ordre d’importance, l’allemand, le français, l’italien et le romanche, parlé par 0,5% de la population suisse. L’anglais, de plus en plus pratiqué dans l’économie, est aussi enseigné de plus en plus tôt dans les écoles du pays, surtout en Suisse alémanique.

Conclusion des chercheurs: le multilinguisme suisse rapporte 46 milliards de francs, soit 9% du PIB. «Nous trouvons ici la confirmation que les compétences linguistiques sont un bon investissement pour l’économie vue comme un tout, et pas seulement pour l’individu lui-même ou pour l’Etat», a expliqué François Grin, directeur du projet LEAP, à swissinfo.

Attractivité de la place économique

Inscrit dans le Programme national de recherche 56 consacré à la «Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse», le projet genevois vise à analyser la manière dont les entreprises suisses tirent profit, ou non, de la tradition plurilingue du pays et quel impact celle-ci a dans certains secteurs économiques et sur l’emploi.

«Les résultats corroborent les commentaires de certains membres du Conseil fédéral concernant l’attractivité de la place économique suisse, un bon endroit pour faire des affaires, grâce au fait que les habitants parlent plusieurs langues», explique François Grin.

Collectivement, les personnes et les organisations suisses travaillent communément avec trois, quatre ou cinq langues, selon le professeur d’économie genevois. Cette capacité contribue à la création de valeur et donne un avantage concurrentiel certain à la Suisse.

Valeur sous-estimée

«La convergence entre les résultats économiques et nos préoccupations culturelles, politiques et sociales à propos du plurilinguisme en Suisse est intéressante, analyse le professeur. Nous devons prendre soin de nos quatre langues nationales, et de l’anglais, tout en développant nos talents pour d’autres langues: la pertinence de ce fait est acquise sur le plan politique et sociologique et nous voyons maintenant qu’elle l’est aussi d’un point de vue économique.»

Même si les 46 milliards de plus-value économique grâce au plurilinguisme parlent pour eux-mêmes, certaines entreprises n’ont pas encore compris à sa juste valeur l’importance d’un véritable environnement multilingue. C’est ce que regrette François Grin.

«Les entreprises offrent une image très hétérogène, dit-il. Certaines sont conscientes de la question et actives dans ce domaine, essayant de faire leur mieux pour encourager les compétences linguistiques, mais d’autres négligent complètement tout ce domaine», explique le Genevois.

Etude similaire

Le projet LEAP se base sur des informations provenant de plusieurs banques de données, dont l’une couvre quelque 2500 personnes résidant en Suisse dans différents secteurs de l’économie. Les questions posées par les chercheurs sont adaptées d’une recherche similaire sur la multilinguisme européen et la compétitivité économique (l’étude ELAN). Ce travail a été publié par la Commission européenne en février 2007.

Selon cette étude, 11% des PME européennes (945’000 entreprises) du secteur de l’exportation perdent des marchés par manque de connaissances linguistiques et culturelles. Les auteurs du rapport proposent d’investir dans l’apprentissage des langues pour améliorer la productivité des PME et leur capacité concurrentielle.

Le rapport de la commission confirmait aussi l’importance de l’anglais comme langue des affaires. Mais il concluait aussi que d’autres langues (le russe, l’allemand, le français, l’espagnol) étaient aussi très utilisées dans les relations économiques et étaient même nécessaires pour conclure des contrats.

«Il y a beaucoup de cas où l’anglais ne suffit pas, confirme François Grin. Vous avez besoin d’une autre langue pour atteindre un niveau vraiment concurrentiel. Il est donc très utile de pouvoir jouer sur un large répertoire linguistique.»

«Intensité» linguistique

Les chercheurs de l’Université de Genève se sont aussi penchés sur le rôle des langues dans la vie quotidienne des entreprises. Ils ont analysé les réponses de quelque 250 sociétés en Suisse romande et en Suisse alémanique. L’usage d’une autre langue est sensiblement identique dans les deux régions.

Dans les entreprises, les personnes maniant le mieux les langues étrangères sont les collaborateurs spécialisés dans l’achat et les directeurs. Les vendeurs et les ouvriers parlent moins une autre langue.

Les chercheurs ont aussi remarqué que les grandes entreprises parlaient mieux l’anglais, comparé au français ou à l’allemand. C’est l’inverse dans les plus petites sociétés.

Le 16 décembre seront publiés des résultats plus détaillés sur la plus-value du plurilinguisme dans les différentes branches économiques.

swissinfo, Simon Bradley
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

Langues nationales:
Allemand: 63,7%
Français: 20,4%.
Italien: 6,5%.
Romanche: 0,5%.

L’immigration a renforcé la présence d’autres langues en Suisse: 9% de la population parle une autre première langue que les quatre langues nationales.

La Suisse investit quelque 2,5 milliards de francs dans l’apprentissage des langues, financés pour l’essentiel par les contribuables, soit 8,5% du budget annuel global de l’éducation.

François Grin est responsable de l’Observatoire ELF (économie langues formation) de l’Université de Genève et professeur à l’Ecole de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève.

Le projet «Les langues étrangères dans l’activité professionnelle» (LEAP), qui s’inscrit dans le Programme de recherche nationale, est dirigé par François Grin et François Vaillancourt de l’Université de Montréal, de même que Claudio Freddo de l’Université de Genève.

Les résultats de l’impact du plurilinguisme sur l’économie seront publiés le 16 décembre. Le rapport final sera disponible en février 2009.

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