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Le périlleux défi de libérer des cas psychiques

Les juges ouvrent-ils trop facilement la porte aux malades psychiques? Keystone

Le meurtrier d'un chauffeur de taxi zurichois, tué mi-septembre, avait pu sortir de clinique contre l'avis des médecins.

En constante augmentation, les privations de liberté à des fins d’assistance relèvent de choix très délicats. Etat des lieux, chiffres à l’appui.

L’actualité judiciaire zurichoise fait couler beaucoup d’encre sur un de ces drames causés par un «extraordinaire et terrible enchaînements d’éléments isolés», comme l’a admis le procureur cantonal Andreas Brunner en fin de semaine dernière devant les médias.

Un de ces éléments isolés – entre autres décisions a posteriori erronées – réside dans la décision d’un juge civil de relâcher, mi-septembre, B.T. au passé psychiatrique déjà lourd. Neuf jours plus tard, ce Suisse de 53 ans poignardait à mort un chauffeur de taxi de 23 ans à Wetzikon (ZH).

B.T., polytoxicomane en était à sa dixième année de privation de liberté à des fins d’assistance depuis 2003, mais c’était la première fois qu’une clinique s’opposait à sa libération. Il avait fait recours.

Le juge, civil, ne connaissait ni une précédente expertise concluant à la dangerosité de B.T, ni le mandat d’arrêt lancé contre lui dans toute la Suisse. Se basant sur une expertise «expresse» positive, il a accepté le recours. Décision fatale.

Qui décide?

«Les personnes impliquées dans ce type de décisions sont de plus en plus sensibilisées aux difficultés de l’exercice», estime le procureur Andreas Brunner. Dans le canton de Zurich, un changement de système a eu lieu au début des années 90.

«Jusque-là, une commission de plusieurs personnes était chargée de toutes les décisions. Désormais, elle repose sur une seule personne, le juge civil, confrontée à un recours. On peut se demander si cette procédure est pertinente», a déclaré Anton Schärer, vice-secrétaire général au Tribunal cantonal.

Augmentation dans de nombreux cantons

Le nombre de privations de liberté à des fins d’assistance est en augmentation un peu partout en Suisse. Le canton de Berne avait fait état d’un nombre presque doublé entre 1998 et 2001, à 620 par année.

Le canton de Fribourg enregistre de son côté une augmentation régulière de 20 à 30 cas par an, sur un nombre total de 400 à 500. Les raisons n’en sont pas clairement connues.

«Mais nous constatons que les personnes sont de plus en plus jeunes et que l’alcool et des crises de schizophrénie liées à la consommation de cannabis sont de plus en plus souvent en cause», explique Christian Delaloye, président de la Commission cantonale fribourgeoise de surveillance en matière de privation de liberté.

Le nombre de privations de liberté à des fins d’assistance ne fait pas l’objet d’une statistique nationale, car ses modalités d’application relèvent des cantons. La comparaison est aussi rendue plus difficile par le fait que les pratiques ne sont pas les mêmes.

Une entrée en clinique sur cinq

On sait néanmoins, grâce à une étude publiée en 2005 par l’Observatoire suisse de la santé, qu’une entrée en clinique psychiatrique sur cinq se fait sur la base d’une décision de privation de liberté non volontaire (20% de 91’300 analysés de 2000 à 2002).

Autant de choix où des intérêts contraires peuvent entrer en collision. «Ce sont toujours des décisions délicates à prendre, dit Christian Delaloye. La personne peut avoir eu un moment de flottement, bu un verre de trop. Ce n’est pas encore une raison pour la priver de liberté sur une période prolongée.»

Les médecins et juges doivent toujours peser le droit individuel du patient, le protéger contre lui-même mais aussi, le cas échéant, protéger la société contre lui.

Dans certains cas, les personnes appelées à décider subissent des pressions. «Nous recevons des lettres de menace, dit le Fribourgeois. Parfois, des personnes ne voient plus que cette solution pour régler un problème complexe. Il y a une grande attente de la part de la société.»

Violence difficile à déceler

Pour le président de la commission de surveillance, certains cas sont plus faciles. «Si quelqu’un a déjà eu 30 ou 40 hospitalisations pour des crises de schizophrénie et nous dit qu’on lui a volé son cœur la nuit d’avant et qu’elle se battra davantage la prochaine fois, c’est plus facile. Nous savons où nous sommes. Ce qui est difficile, ce sont les cas de violence rentrée, non décelable.

Le juge civil zurichois qui avait B.T. en face de lui ne l’a pas décelée. Un jeune homme est mort.

Un rapport global, y compris sur les aspects non pénaux, devra faire toute la lumière sur d’éventuelles lacunes de communication entre les services compétents et amener des corrections, a décidé le procureur cantonal zurichois.

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

De la privation de liberté à des fins d’assistance (PLA):

«Une personne majeure ou interdite peut être placée ou retenue dans un établissement approprié lorsque, en raison de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’alcoolisme, de toxicomanie ou de grave état d’abandon, l’assistance personnelle nécessaire ne peut lui être fournie d’une autre manière. (…) La personne en cause doit être libérée dès que son état le permet.» (Art. 397. a du Code civil suisse)

Les procédures à suivre sont de la compétence des cantons.

Selon l’Observatoire suisse de la santé, une entrée sur cinq en clinique psychiatrique résulte d’une décision de privation de liberté à des fins d’assistance (PLA).

Les pratiques diffèrent considérablement d’un canton à l’autre.
De 18 cantons analysés, l’enquête de l’OBSAN différenciait trois groupes: le premier compte un très faible nombre de séjours psychiatriques non volontaires (LU, OW, BS, BL, SH, AR, SG, GR, TG et VS).

Le deuxième groupe compte en revanche une forte proportion de PLA (ZH, BE ; ZG, SO, AG, TI: 30% en moyenne de toutes les entrées en clinique). Mais ces cantons enregistrent un faible taux d’admissions sans contrainte formelle.

Enfin, GE et NE annoncent peu d’entrées basées sur une décision formelle de privation de liberté, mais néanmoins davantage d’entrées en clinique non volontaires (46,7%). Selon l’OBSAN, cette différence est due à une manière différente de saisir les données.

Aux prises depuis 2002 avec la justice et des institutions psychiatriques, le Suisse B.T., 53 ans, a tué un chauffeur de taxi le 16 septembre à Wetzikon.

On apprenait assez rapidement que malgré un mandat d’arrêt prononcé contre lui par le Tribunal cantonal, sur la base d’une expertise psychiatrique concluant à sa dangerosité, un juge civil l’avait laissé sortir de clinique. La police locale ayant intervenu après son saccage d’appartement ne connaissait ni l’expertise ni l’ordre d’arrestation.

Le Procureur cantonal zurichois a commencé un rapport sur tous les aspects du drame, y-compris non-pénaux.

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