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Le pillage culturel en cause

La culture des autres, simple objet de décoration? swissinfo.ch

Le Parlement débattra bientôt de la «Loi sur le transfert des biens culturels».

En préambule, le Käfigturm de Berne, «Forum politique de la Confédération», propose une exposition intitulée «Biens culturels – entre trafic et loi».

Tout au long de l’escalier en colimaçon qui gravit le Käfigturm, la «Tour des prisons», des photos évoquent des fouilles pirate, des lieux culturels pillés… Puis on visite plusieurs salles, où est évoquée la problématique politico-juridique à laquelle est confrontée à la Suisse.

Des panneaux explicatifs, des bornes informatiques, mais des objets également. Par exemple deux guerriers et un cheval en terre émaillée, provenant du pillage de tombes chinoises, et qui appartiennent aujourd’hui au Musée de Bâle.

Un «masque fou» volé au Burkina Faso en 1995. Ou une applique romaine en bronze figurant un gladiateur, objet trouvé à Avenches, et qui s’est enfui aux USA dans les bagages d’une émigrante.

Un gouffre juridique

La Suisse occupe le quatrième rang dans le commerce international d’objets d’arts – après les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Corollaire gênant: elle a également «la réputation de servir de plaque tournante au transfert illégal de biens culturels», constate Andrea Raschèr, responsable du secteur «Droit et affaires internationales» à l’Office fédéral de la Culture.

Un commerce illicite est, par la force des choses, difficile à quantifier. Toutefois selon l’Unesco ou Interpol, en importance, ce trafic se placerait juste après la drogue et les armes. Edifiant. Or la Suisse est un des seuls pays qui ne connaît pas encore de législation spécifique en matière de biens culturels.

«Aujourd’hui, c’est plus facile d’importer en Suisse une statue grecque qu’une tomate, commente Andrea Raschèr. Et un vélo volé est traité de la même manière qu’un Picasso volé. Les lois suisses ne suffisent donc pas».

Pourtant, c’est en 1970 déjà que l’Unesco a adopté une convention visant à lutter contre le commerce illégal d’objets d’art et la promotion de la collaboration internationale.

Mais il faudra attendre 1992 pour que le Parlement confie au Conseil fédéral le mandat de ratifier cette Convention ainsi que de préparer une loi sur le transfert des biens culturels (LTBC). Et 10 ans de mandats, avant-projets et autres projets pour qu’enfin la loi en question soit soumise au Parlement!

L’opposition: paternalisme ou pragmatisme?

Ce projet de loi ne fait pas pour autant l’unanimité. Principale objection: moult objets précieux, du Sud notamment, auraient disparu si des institutions occidentales ne s’en étaient occupé.

Andrea Raschèr réfute vigoureusement ce propos: «Primo, cette loi n’est pas rétroactive. Tous les biens qui se trouvent déjà en Suisse ne sont donc pas concernés. Secundo, c’est très dangereux de dire ‘chez nous, c’est bien protégé, chez les autres, c’est mal protégé! C’est une attitude très paternaliste».

Paternaliste peut-être, mais également réaliste parfois: l’exemple afghan vient immédiatement à l’esprit. «Dans ce cas, la Suisse, avec le Musée d’Afghanistan à Dubendorf a entrepris avec l’Unesco un programme de sauvegarde de ces objets», réagit Andrea Raschèr.

Et d’ajouter: «Sauvegarder un objet et le rendre lorsqu’il n’y a plus de danger, c’est une chose. C’en est une autre que d’aller dans un pays qui a un problème, de le piller et de garder l’objet. Je vois là une grande différence».

On se souvient néanmoins des propos que tenait, il y a peu, Jacques Hainard, directeur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, personnalité difficilement soupçonnable de ‘paternalisme’: «Renvoyer ces objets dans certaines sociétés ferait que les gens qui les recevrait ne sauraient pas quoi en faire. Dans une tradition orale, il y a eu des hiatus, des ruptures qui font que la connaissance n’est pas là pour pouvoir en profiter.»

Entre idéalisme naïf et vide juridique scandaleux, peut-être la future loi, qui «adapte la réglementation suisse aux standards internationaux minimaux» saura-t-elle trouver un équilibre relatif.

swissinfo/Bernard Léchot

Exposition au Käfigtürm: du 31 août au 26 octobre.

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