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Le rêve australien des Suisses retracé dans un ouvrage

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Que sait-on des premiers Suisses émigrés à Sydney il y a une centaine d'années? Ils se sont fondus dans le paysage, certains allant jusqu'à modifier leur identité. Un ouvrage retracera pour la première fois leur histoire.

1855… Entre 400 et 500 Tessinois fuient la pauvreté qui touchent les régions alpines pour tenter la ruée vers l’or en Australie. Direction l’Etat de Victoria. 18’000 km plus loin et six semaines plus tard, ils débarquent par erreur à plus de 1000 km de leur destination… en Nouvelle-Galles du Sud (NSW).

La faute sans doute à des agents peu scrupuleux. Beaucoup de migrants suisses resteront donc à Sydney. Devant cet afflux inattendu, on décide d’ouvrir un consulat.

L’épisode est retracé dans un ouvrage historique consacré à la communauté suisse de la Nouvelle-Galles du Sud, de 1898 à nos jours. Le livre sera publié dans quelques mois par la Société historique suisse du même Etat. Sa présidente, Bettina Boss, professeur d’allemand à l’université, aujourd’hui retraitée, s’est passionnée pour ce thème.

Elle-même a quitté Bâle il y a 39 ans pour venir s’établir à Sydney. «Il n’existe pas d’ouvrage retraçant spécifiquement l’histoire des Suisses ici. Or, nous disposons de documents historiques très détaillés depuis 1898.» Comme le rapport des réunions de la très conservatrice Société suisse de NSW.

Dans les années 1910, l’association, exclusivement masculine, manque de membres. Les femmes seraient-elles le remède? «On ne pourrait pas s’exprimer aussi librement si elles étaient parmi nous», évoque l’un des sociétaires. Les tergiversations dureront dix ans avant de décider l’ouverture des portes à la gente féminine.

Des migrants Suisses invisibles?

Le profil type des migrants dans les années 20? Essentiellement des hommes, germanophones, aux métiers de pépiniériste, boulanger, cuisinier, sellier ou encore dentiste.

La communauté suisse s’est fondue dans le paysage aride de l’Australie, relève Bettina Boss. «Les Suisses ont émigrés dès le milieu du XIXe siècle de façon individuelle ou en famille, remarque-t-elle. Une grande partie d’entre eux étaient qualifiés. Ils voulaient travailler dur et réussir».

Toutefois, dans la courte histoire de la terre australe, c’est à une vraie vague d’immigration suisse qu’on assiste au milieu du XIXe siècle. C’était l’époque de la ruée vers l’or. Ainsi, entre 1852 et 1855, quelque 2000 Tessinois ont rêvé de faire fortune dans l’Etat de Victoria.

Mais en général, les Suisses se sont dispersés à travers le pays, contrairement à d’autres groupes culturels. Une exception pourtant: l’installation dans les années 1860 de plusieurs familles de vignerons neuchâtelois, à Lilydale, bourgade ensoleillée de l’Etat de Victoria.

Enfin, si la communauté suisse est passée inaperçue, c’est aussi à cause de la diversité des langues, qui les faisaient passer pour Italiens, Français ou Allemands.

Ce qui leur a joué de mauvais tours. Les Suisses alémaniques ont parfois souffert de la stigmatisation des Allemands durant les deux guerres. Ernst Wunderlich, patron d’une société renommée spécialisée dans les plafonds, est cité en 1915 dans un magazine comme étant Allemand. Il poursuivra l’éditeur en justice et fera même paraître cette annonce: «Les directeurs et le personnel sont, sans exception, Anglais»! Car Ernst Wunderlich a grandi à Vevey, mais il est né à Londres…

«On ne voulait pas passer pour des étrangers»

Margaret et Ursula se rappellent bien de ce climat de défiance. Les deux sœurs, aujourd’hui octogénaires, sont les descendantes d’Heinrich et de Margrit Haertsch, venus s’installer à Sydney pendant la première guerre mondiale.

Elles se souviennent encore des remarques suspicieuses de voisins qui heurtaient leur mère. «Quand elle est arrivée, elle ne parlait pas un mot d’anglais. Elle se sentait très isolée. Elle en a beaucoup souffert et a tout fait pour s’intégrer. Elle a appris la langue en lisant la presse et avec ses enfants», se souvient Margaret.

A la maison, les parents s’expriment en suisse allemand, mais ils ne forceront pas les enfants, réfractaires. «On ne voulait pas être considéré comme des étrangers», confie Margaret dans un anglais parfait.

Leur témoignage a été recueilli par Bettina Boss, partie sur les traces de descendants de migrants. Margaret et Ursula ne sont pas nées en Suisse, l’une d’elles n’y a d’ailleurs jamais mis les pieds, leurs noms sonnent australiens (Walkley et White) et elles ne parlent pas suisse allemand… mais elles se sentent Suisses «en partie».

Elles sont certaines d’avoir héritées de caractéristiques suisses comme «la fiabilité» et «le perfectionnisme». Lorsqu’elles évoquent leurs liens avec l’Helvétie, les yeux de l’une s’embuent, les yeux de l’autre pétillent de joie et elles se relaient pour raconter.

«Là-bas, les cerises sont aussi grosses que des prunes»

«Mon père a grandi dans une famille de paysans de quinze enfants. Il n’y avait pas d’avenir pour lui à St-Gall. Il travaillait dans une firme textile qui l’a envoyé en Australie, raconte Ursula. C’était pour lui un challenge».

Heinrich fait le voyage seul pendant la Première guerre mondiale. Mais après un retour en Suisse et un mariage, il regagnera les antipodes avec sa femme. «Pour la convaincre de partir si loin, il lui a raconté que là-bas, les cerises sont aussi grosses que de prunes!», dit Margaret en se mettant à rire.

Heinrich, qui changera son prénom pour Henry, davantage couleur locale, lance sa propre usine textile à Sydney dans les années 20, appelée Helvetia Manufacturing Company. En 1955, entre 20 et 25 employés produisent des blouses pour enfants, des uniformes et des robes.

Aujourd’hui, il n’y a plus traces de la manufacture au 342 Elisabeth street, une artère du centre-ville de Sydney. Et dans la maison de Margaret, située dans une banlieue paisible de la ville, seules des photos de famille en noir et blanc rappellent la Suisse.

Sophie Roselli, Sydney, swissinfo.ch

Henry Tardent (1853-1929)
Le Vaudois s’est établi dans l’Etat du Queensland en 1887. Journaliste, écrivain, linguiste et scientifique il a aussi été très actif en politique. Il a compté parmi les conseillers de la rédaction de la Constitution australienne en 1891. Grâce à lui, l’Australie s’est inspirée du modèle suisse.

Sophie de Montmollin (? – 1854)
La Neuchâteloise, issue d’une famille noble, a épousé un Anglais, Charles la Trobe, qui deviendra premier gouverneur de la colonie de Victoria. La présence de la Suissesse dans cette région coïncide avec l’arrivée dans les années 1860 de plusieurs familles de vignerons neuchâtelois.

John Webber (Johann Wäber) (1751-1793)
L’artiste anglo-suisse accompagne le Capitaine James Cook lors de son troisième voyage dans le Pacifique. Ses dessins seront considérés comme une référence par les illustrateurs de l’époque.

22’511 Suisses résident actuellement en Australie dont la majorité dans l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud (environ 6000).

Le nombre d’Australiens vivant en Suisse s’élevait à 2540 à fin 2008.

Les échanges commerciaux entre la Suisse et l’Australie a atteint un volume de 2,5 milliards de francs en 2008.

La Suisse arrivait au 9e rang des pays investisseurs en Australie, en 2007.

L’Australie compte parmi les trois premières destinations d’investissements directs de la Suisse en Asie, après Singapour et le Japon, mais avant la Chine, la Thaïlande, La Corée du Sud et l’Inde.

Plus de 70 compagnies suisses ont installé leur propre centre de production en Australie. Elles emploient 34’000 personnes.

40’000 Suisses choisissent chaque année de passer leurs vacances en Australie.

Les touristes venant d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Océanie représentaient en 2007 1,2% du nombre de visiteurs en Suisse. Cette tendance est à la hausse.

«L’emigrazione ticinese in Australia», Giorgio Cheda, 1980

«From Boudry to the Barrabool Hills, The Swiss Vignerons of Boudry», John Tétaz, 1995

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