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Le radar qui voit sous les calottes polaires

C'est sur un avion de type Twin Otter d'Air Groenland que les radars de l'EPFL ont scanné les glaces de l'île. ESA

En attendant celles de la Lune, de Mars ou des satellites de Saturne, un radar de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) permet déjà de percer les glaces du Groenland et de l’Antarctique pour en scanner les fonds rocheux. Une aubaine pour les géologues et les climatologues.

Au départ, c’est une commande de l’Agence spatiale européenne (ESA). La mission: construire un système radar capable de percer la glace, en indiquant au passage de quoi elle est faite.

Les astronomes s’intéressent beaucoup à la glace sur les mondes voisins. Si celle qui affleure au fond des cratères de la Lune est bien formée d’eau, les pôles martiens sont eux un mix d’eau gelée et de glace carbonique, soit du CO2 solidifié par le froid.

Beaucoup plus loin de nous, Titan, le plus grand satellite de Saturne, est lui aussi un monde de glaces. Presque aussi gros que Mars, ce globe ressemble par bien des aspects à une Terre primitive, avec des montagnes, des dunes et probablement un vaste océan d’eau sous la banquise, dans lequel certains scientifiques espèrent trouver des formes élémentaires de vie. Même s’il fait moins 180° à la surface, que l’atmosphère ne contient pas d’oxygène et que les volcans crachent de la glace.

Après le succès de la mission américaine Cassini-Huygens, qui a permis de poser une sonde à la surface de Titan, il est question d’envoyer d’autres engins vers ce monde fascinant, qui pourrait nous en apprendre beaucoup sur nos propres origines… à condition de rompre la glace.

Mise au concours

Pour Juan Mosig, les questions spatiales sont une passion de toujours. Premier directeur du Space Center de l’EPFL, l’actuel patron du Laboratoire d’électromagnétisme et d’acoustique de la Haute Ecole lausannoise n’en est pas à sa première collaboration avec l’Agence spatiale européenne.

«Nous avons déjà fait plusieurs antennes pour des satellites, explique le professeur. Alors quand l’ESA a mis au concours la réalisation d’antennes radar qui soient capables de voir à travers la glace, d’en mesurer la profondeur et de dire si c’est de la glace d’eau, de méthane ou d’autre chose, nous avons fait ce qu’on fait dans ces cas-là: trouver des partenaires, monter un consortium et présenter une offre».

Ici, le consortium se réduit à deux partenaires: le labo de l’EPFL pour la construction des antennes et une équipe de l’Université technique du Danemark pour le traitement du signal. Soit l’électronique capable de transformer les ondes que captent les antennes en données utiles pour les scientifiques, ou, comme le résume Juan Mosig en «un joli truc en couleurs sur un écran, avec des chiffres».

Pilotes des glaces

Pour tester leur radar, le professeur et ses collègues avaient d’abord pensé au glacier d’Aletsch. Mais en Suisse, les autorisations de vol pour ce type de mission sont très compliquées et très longues à obtenir.

Les Danois ont alors proposé le Groenland, «mais même là, ce n’était pas évident, raconte Juan Mosig. Parce qu’avec nos antennes sous le ventre, les avions ont une sorte d’aileron supplémentaire, qui fait une portance et qui complique le pilotage. Pas question de confier cela à des débutants».

Sans parler des températures qui peuvent descendre à moins 50°, des pistes en glace qui ne sont pas des billards et sur lesquelles l’avion et les antennes qu’il porte subissent des vibrations terribles au décollage comme à l’atterrissage… bref, des conditions qui ressemblent déjà à celles d’un lancement et d’un vol dans l’espace.

Après le Groenland à l’hiver 2010-2011, le système radar helvético-danois est allé ce printemps couvrir quelques bandes de terrain au-dessus de l’Antarctique. Pour cette partie de la mission, les Suisses ont laissé les commandes à leurs partenaires. «Au Groenland, j’avais envoyé un de mes jeunes doctorants, un peu aventurier, explique Juan Mosig. Mais bon, c’était encore relativement civilisé. Par contre, pour l’Antarctique, ce sont les Danois qui se sont occupés de tout. Leur pays est très connecté au Pôle Nord, ils ont un côté polaire qui peut-être nous échappe ici en Suisse…»

Sur les bandes de terrain que l’avion a survolées (à 3000 mètres d’altitude), il a pu dresser une cartographie précise, non seulement du terrain (parfois caché sous 3000 mètres de glace), mais également de l’épaisseur des couches et des différentes qualités de cette glace.

Lacs souterrains et dinosaures congelés

C’est une première. Car jusqu’ici, on connaît assez mal la topographie de ces immenses étendues blanches. Les satellites n’en donnent qu’une vue trop imprécise, et comme le relève Juan Mosig, «on ne peut quand même pas faire des forages et prélever des carottes tous les 100 mètres».

S’agissant du Groenland, qui a longtemps été territoire danois, le Danemark est en train d’empoigner la chose pour cartographier le nord de l’île. Et pour l’Antarctique, les inventeurs du radar «qui voit sous la glace» présenteront leurs résultats au mois de juillet à Edimbourg, lors d’un symposium international consacré au 6e continent.

«Il y aura là des climatologues, des géologues, des scientifiques, qui s’intéresseront certainement à ce qu’on va raconter, prévoit Juan Mosig. Il pourrait alors y avoir des institutions scientifiques, ou internationales qui vont mettre les fonds nécessaires pour utiliser ce ‘joli bidule’, cette belle invention, pour faire une cartographie».

A ce jour, personne ne connaît le relief de l’Antarctique de façon détaillée. Des forages ont permis d’y déceler plusieurs grands lacs sous les glaces, qui pourraient contenir l’eau la plus pure de la planète, maintenue à l’état liquide par la chaleur de l’écorce terrestre. Mais le nouveau radar permettrait aussi de dresser une histoire du climat en sondant les différentes couches de glace, et bien sûr, de mesurer à quelle vitesse la calotte polaire fond sous l’effet du réchauffement.

«Il y a aussi les amoureux de science-fiction, qui espèrent qu’on va y trouver la ville enfouie de l’Atlantide, ou un troupeau de dinosaures congelés», ajoute Juan Mosig, qui ne fait pas mystère du fait que ce genre de littérature a bercé sa jeunesse, «comme celle de nombreux scientifiques».

Comme un laser. Le radar mis au point par le laboratoire de Juan Mosig permet d’envoyer un faisceau d’ondes très fin. Même si on ne peut pas atteindre la même concentration qu’avec un faisceau lumineux (laser), il permet, à partir d’une altitude de 3000 mètres, de déceler des objets de l’ordre d’un à dix mètres de diamètre.

Ultra haute fréquence. Ce radar émet des ondes à une fréquence de 450 MegaHertz, semblables à celles des télévisions traditionnelles. Ce sont les plus appropriées pour percer la glace. A chaque changement de propriété de la glace, une partie de l’onde ricoche et renvoie un écho de petite amplitude que l’antenne capte (c’est le principe du radar). Lorsque l’onde atteint le fond rocheux, l’écho est beaucoup plus fort. De plus, chaque type de matière, de par ses propriétés, change la phase de l’onde renvoyée, c’est une sorte de signature naturelle. En fonction de cette signature et du temps que l’onde met à revenir, on peut identifier le type de matière et l’épaisseur de la couche.

Huit antennes. Pour agrandir la surface de réception, on place huit antennes sur un aileron perpendiculaire au sens de la marche de l’avion. Et le déplacement de l’avion permet encore d’agrandir la surface dans la dimension longitudinale. Ainsi, la combinaison des signaux de plusieurs petites antennes équivaut à celui d’une antenne qui serait beaucoup plus grosse. C’est le même principe qu’utilisent les astronomes en couplant plusieurs petits télescopes pour obtenir une image aussi précise que si elle émanait d’un miroir géant.

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