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Le sort du Jura n’est pas près d’être réglé

«Un mariage forcé n'est pas dans nos mœurs», a souligné la ministre Eveline Widmer-Schlumpf. Keystone

Dévoilé lundi, le rapport final sur la question jurassienne ne propose pas de solution clé en main pour l'avenir du canton du Jura et du Jura bernois. Nouveau canton à six ou statu quo amélioré? Au peuple de trancher, on en est Suisse après tout.

«L’Assemblée interjurassienne (AIJ) remet un rapport final empreint de nuances et fruit du consensus», a déclaré Serge Sierro, président (valaisan) de l’AIJ en remettant le rapport lundi matin à Moutier à la conseillère fédérale (ministre) Eveline Widmer-Schlumpf ainsi qu’aux gouvernements des cantons de Berne et du Jura.

Outre l’euphémisme du consensus, la commission avoue sa préférence pour un canton unique à six district, mais laisse aux citoyens le soin de choisir entre cette variante et l’option d’un «statu quo+» (une amélioration institutionnelle et un renforcement du partenariat direct entre les deux régions). Quant à l’option d’un grand canton avec Neuchâtel, elle retourne aux oubliettes.

De son côté, Mme Widmer-Schlumpf a assuré que «c’est aux populations du Jura et du Jura bernois qu’il appartiendra de déterminer l’avenir institutionnel de la région». Et de préconiser pour la suite des travaux des valeurs confédérales: respect, tolérance et patience.

Comme prévu, le canton du Jura est satisfait et le Jura bernois se montre réticent à l’idée d’un vote populaire. Ils ont six mois pour se prononcer sur le rapport. Fruit de deux ans de travaux, ce volumineux document parvient à la conclusion… qu’il n’y en a pas, mais propose deux pistes opposées.

La faute à la démocratie directe

Pour Nicolas Schmitt, à l’Institut suisse du fédéralisme, cela reflète «l’incommensurable complexité de la question jurassienne». Et puis, il ne faut pas oublier qu’en Suisse, le peuple est encore plus souverain qu’ailleurs.

«On se retrouve toujours face à cette caractéristique qui veut que tout soit décidé par le peuple. En raison de la nature politique et émotionnelle de ce dossier, l’AIJ aura donc préféré ne pas trop se mouiller en laissant les décisions substantielles à celui-là.»

Pour l’expert fribourgeois, cette situation n’est pas à mettre sur le seul compte de la dimension émotionnelle, forte s’il en est chez les Jurassiens pour des raisons historiques.

Les fusions politiques en elles-mêmes posent d’énormes difficultés juridiques. «Quand il faut décider qui est en charge de l’instruction, comment gérer les notaires, la police, les cours d’eau ou les forêts, les différences de traditions juridiques constituent un obstacle presque insurmontable.»

Résultat: «Dès qu’on touche aux frontières dans ce pays, il faut marcher avec une prudence de Sioux pour éviter des situations très explosives», poursuit Nicolas Schmitt.

Un statu quo intenable

Alors quoi? Retour à la case départ? Pas tout à fait. «Ce rapport confirme que le statu quo n’est plus tenable, ce qui aura un effet incitatif fort. De plus, les pistes proposées sont ouvertes au dialogue et à la diplomatie», répond François Cherix politologue et auteur de La question romande.

Les deux cantons ont désormais dix-huit mois pour organiser des conférences publiques autour du rapport de l’AIJ et proposer des pistes.

Mais François Cherix regrette que le rapport ne «manque un peu de substance car il ne donne pas un cap général plus précis avec de grandes finalités et un cadre à long terme sur le destin de ces peuples».

Quant à la suite, le politologue vaudois est un peu inquiet. «J’ai l’impression que l’AIJ se décharge sur les citoyens, mais attention: les votations populaires peuvent être dangereuses pour les grands projets, car en cas de rejet, c’est l’impasse.»

Qui va voter?

Alors justement, qui va voter? Ce sera aux autorités fédérales et cantonales d’en juger. Mais là aussi, les difficultés sont garanties, promet Nicolas Schmitt. «On risque de retrouver les mêmes questions que lors de la création du canton du Jura, avec une cascade de votations communales et cantonales.»

Du point de vue constitutionnel, il y aurait en tout cas une votation fédérale pour valider le tout.

«Vu que le peuple a le dernier mot ici, cela crée ces situations où il faut se tâter, se retâter, encore et encore pendant des dizaines d’années, alors qu’ailleurs, c’est le président, ou le roi, qui tranche en disant ce sera ainsi, un point c’est tout».

Et de citer l’exemple du droit de vote des femmes, imposé en France par le général de Gaulle à son arrivée au pouvoir, alors que les Suisses ont dû s’y prendre à trois fois avant d’y parvenir.

«Je ne prends aucun pari, conclut Nicolas Schmitt, mais ce qui est sûr, c’est qu’il va y avoir une magnifique querelle d’experts!»

Changement inexorable

François Chérix, lui, relève un certain changement, lent mais progressif, au niveau communal. «Les projets de fusion échouent souvent en votation, mais on assiste à une certaine transformation à cet échelon politique. Soyons réaliste, l’activité des gens primera de plus en plus sur les réflexions institutionnelles.»

La question se posera de plus en plus au niveau cantonal, cela a déjà commencé avec les rapprochements entre Vaud et Genève qui se multiplient, et qui auraient été impossibles il n’y a pas si longtemps.

Et le politologue de conclure: «Le tempo de la vie des gens et le tempo des institutions ne sont pas du tout en phase, c’est pourquoi on avance doucement vers une modification de l’espace à l’échelon politique, ce sera inévitable.»

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Après deux ans de travaux sur l’avenir institutionnel de la région jurassienne, l’AIJ a dévoilé lundi un rapport qui laisse la porte ouverte afin d’éviter une rupture dans le dialogue interjurassien.

L’AIJ ne recommande aucun des scénarios étudiés mais marque sa préférence pour le projet d’un nouveau canton formé du Jura et du Jura bernois comptant six communes. La capitale de ce canton serait Moutier. Un canton de 120’000 habitants est de l’avis des experts financièrement viable et même avantageux.

Autre piste, le statu quo amélioré avec une simplification institutionnelle, sur la réduction du nombre de communes dans les deux régions et sur le renforcement du partenariat direct.

Les citoyens du Jura et du Jura bernois doivent s’exprimer dans le cadre d’un scrutin organisé sous l’égide de la Confédération. Mais aucun calendrier n’est fixé.

Les deux variantes, note aussi l’AIJ, pourraient favoriser la construction d’une région supra-cantonale avec le canton de Neuchâtel.

1815: le Congrès de Vienne attribue l’Evêché de Bâle au canton de Berne. L’ancienne principauté des princes-évêques comptait sept districts, Porrentruy, Delémont, les Franches-Montagnes, Moutier, Courtelary, La Neuveville et Laufon.

Dès les années 50: montée en puissance du mouvement séparatiste.

23 juin 1974: premier plébiscite. La majorité accepte la création du canton du Jura. Mais seuls les districts de Delémont, Porrentruy et des Franches-Montagnes s’expriment en faveur d’une séparation. Ceux du Sud s’y opposent. Ils le confirmeront quelques mois plus tard.

24 septembre 1978: le peuple suisse accepte par 82,3% de «oui» la création du nouveau canton constitué des districts de Delémont, de Porrentruy et des Franches-Montagnes.

1er janvier 1979: le canton du Jura entre en souveraineté.

25 mars 1994: signature par les cantons du Jura et de Berne sous l’égide de la Confédération de l’Accord du 25 mars instituant l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconcilation.

4 mai 2009: l’AIJ a présenté le fruit de ses travaux à Moutier, en présence de la ministre de Justice et Police Eveline Widmer-Schlumpf.

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