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Le Taser n’a pas fini de faire du bruit

Utilisation du Taser aux Etats-Unis, lors d'une manifestation au début de cette année. Keystone

Le fabricant américain du pistolet à décharge électrique reconnaît qu'il peut représenter un risque minime pour le cœur. En Suisse, si le Taser est en usage dans plusieurs cantons, on continue à vouloir en savoir plus...

Dans la dernière mouture de son bulletin d’utilisation, la firme américaine Taser International estime que son pistolet de neutralisation momentanée peut dans certaines conditions avoir des conséquences sur le cœur des personnes prises pour cible.

Un risque «extrêmement faible», qui incite le fabriquant à recommander, en visée frontale, d’ajuster l’abdomen et les jambes plutôt que le thorax. «Les chercheurs ont montré que la faible distance entre les électrodes et le cœur est le premier facteur pouvant déterminer» un effet sur la pompe cardiaque, justifie-t-il.

Au Canada, où un voyageur polonais est mort à Vancouver il y a deux ans après avoir reçu cinq décharges de Taser, la gendarmerie appliquera la recommandation du fabriquant.

En Suisse, le président de la Commission des commandants de police semble conscient de l’enjeu. Il saisira son organisation une fois obtenues et analysées les nouvelles recommandations de Taser, et s’être assuré qu’elles portent bien sur le modèle d’appareil utilisé en Suisse, moins puissant que les derniers apparus sur le marché.

«Mais il est clair que s’il ne faut plus viser le thorax, cela rendrait les interventions difficiles, dans le feu de l’action, face à des gens souvent excités», reconnaît Pierre Nidegger, lui-même commandant de la police cantonale fribourgeoise.

Utilisation marginale

Cheffe suppléante à l’Office fédéral de la justice, Colette Rossat-Favre souligne pour sa part que l’utilisation du Taser en Suisse est «marginale et [que] les utilisateurs font en sorte qu’elle soit le moins ‘dommageable’ possible».

Jusqu’ici, il a été utilisé à une vingtaine de reprises dans le pays depuis 2003, sans dégâts. La quasi-totalité de ces utilisations ont eu lieu dans le canton de Zurich où, en plus de la police cantonale, Zurich et Dübendorf sont les deux seules villes du pays à recourir à ce «dispositif incapacitant», comme disent les spécialistes.

«On l’utilise à un niveau élevé dans l’escalade de la force, juste avant le niveau qui impliquerait l’arme à feu et, en conséquence, un danger mortel, explique Martin Lory, spécialiste de la police scientifique zurichoise. Autrement dit, le petit risque que pourrait représenter le Taser ne change rien.»

Interdit au simple citoyen comme aux services de sécurité privés, le pistolet à décharge électrique est utilisé par neuf polices cantonales. En Suisse romande, seul un groupe d’intervention de la police genevoise en est doté depuis le printemps.

Mais ce n’est qu’une question de temps. De l’avis des observateurs, la généralisation à terme paraît probable, même si des cantons comme Neuchâtel ou Fribourg n’en voient absolument pas l’utilité actuellement.

Règles strictes

L’utilisation du Taser dans les cantons est cadrée par des directives de la Conférence suisse des commandants de police. Elles prévoient que seuls les membres de troupes d’élites peuvent s’en servir, et seulement dans les cas où les armes à feu sont permises. S’y ajoutent entraînements et tests.

«Il s’agit aussi de minimiser la durée et le nombre de décharges, puis tout de suite de s’enquérir de l’état de la personne ciblée, indique Martin Lory. Dans le cas de Vancouver, on ne l’a pas fait.»

Selon le spécialiste zurichois, le Taser est avant tout utilisé par les groupes d’intervention dans des contextes familiaux, pour protéger les membres de la famille et prévenir des drames. «On ne l’utilise pas contre les manifestants anti-Blocher», assure le policier scientifique sur le ton de la plaisanterie.

A l’échelon de la Confédération, par contre, le Taser n’est pas en usage actuellement. Et ne devrait pas l’être de sitôt. Un groupe de travail composé de professionnels issus d’horizons variés – policier, scientifique, spécialiste des droits de l’homme – planche en effet sur un rapport d’évaluation attendu sur le bureau du gouvernement en janvier 2011.

Martin Lory, qui fait partie de ce groupe de travail, indique que ses conclusions reposeront sur l’expérience des cantons mais aussi sur des études belge et autrichienne. Des études qui confirment Martin Lory dans son idée que rien ne s’oppose à l’utilisation du Taser sur la base des précautions prises en Suisse.

Plus de 300 morts

Reste ce chiffre: 351 morts liés au Taser entre 2001 et 2008 dans le monde, selon Amnesty International (AI). «Pour la majeure partie de ces cas, les causes de la mort ne sont pas claires scientifiquement» et dépendent souvent de circonstances particulières, selon Martin Lory.

Pour sa part, la section suisse d’Amnesty ne s’oppose pas fondamentalement à l’utilisation du Taser en lieu et place d’une arme à feu. Mais l’organisation de protection des droits de l’homme n’en veut pas aussi longtemps que toute la lumière n’aura pas été faite sur les risques inhérents à son usage. Notamment sur la santé des groupes à risque (personnes sous l’influence de médicaments ou de drogues, malades psychiques, femmes enceintes).

Trop peu d’informations, trop peu d’analyses sur les cas mortels: un examen systématique est nécessaire, aux yeux d’AI. L’organisation reconnaît l’approche prudente adoptée en Suisse. Mais elle se sent confortée dans sa position par les dernières recommandations du fabriquant.

«Nous réclamons une transparence totale de la part des polices et un suivi très poussé de chaque utilisation du Taser sous l’angle de la proportionnalité, indique Denise Graf, spécialiste du sujet. Aurait-il été à chaque fois possible de se passer de l’utiliser? C’est la question.»

La grande crainte d’Amnesty International Suisse est en effet la banalisation. La crainte qu’à force d’utiliser le Taser sans dommages, les policiers en viennent sur le terrain, malgré les directives, à avoir la gâchette un peu trop facile, hors de toute proportion avec les situations rencontrées. Ce qui aggraverait nettement le risque de bavure.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

La marque Taser est un acronyme pour «Thomas A. Swift’s Electric Rifle». Son inventeur Jack Cover, originaire d’Arizona, décédé cette année, a conçu cette arme en 1969. Il l’a baptisée du nom d’un héros d’une bande dessinée américaine à succès de l’époque, Tom Swift.

Le «Taser» propulse deux électrodes reliées à un fil isolé qui libèrent une onde électrique d’environ 50’000 volts durant au maximum 5 secondes au contact d’une cible. Cette onde bloque le système nerveux. La portée maximale du «Taser» est de 10 mètres.

Selon les experts, un choc d’une demi-seconde provoque une douleur intense et des contractions musculaires. Un choc de deux ou trois secondes immobilise momentanément l’individu et peut le faire tomber à terre. Enfin un impact plus long désoriente complètement la victime et la paralyse jusqu’à plus d’un quart d’heure.

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