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Le western redéfini par Boucq

François Boucq de passage à Lausanne. swissinfo.ch

La librairie Apostrophe, à Lausanne, propose une exposition consacrée au célèbre dessinateur français François Boucq.

Cela en marge de la publication de «La pitié des bourreaux», deuxième tome de la série «Bouncer», un terrible western. Rencontre.

A l’étage de la librairie «Apostrophe», une galerie tapissée de planches originales en noir-blanc. Pour la première fois, Boucq a préféré laisser le soin de la couleur à un autre.

Mais attention, seules quatre planches sont à vendre: «Je ne voulais pas me défaire comme ça de cette histoire, aussi vite. Je l’ai à peine terminée qu’il faudrait que je m’en sépare? Non… Cela me fait toujours mal de voir une planche partir», admet le dessinateur.

Vastes paysages rocailleux. Gueules abîmées, cruelles, terrifiantes. Le western à la sauce Boucq (le dessin) & Jodorowsky (le scénario) est à John Wayne ce que, comparaison musicale, Marilyn Manson est à Elvis Presley.

La redéfinition d’un genre

Qui aurait pu penser qu’un jour François Boucq, plutôt versé dans les histoires absurdes et décalées, signerait un jour un western? «Pas moi, en tout cas!», répond-il en riant.

On pourrait d’ailleurs se poser la même question à propos d’Alexandro Jodorowsky, l’un des scénaristes les plus cotés du 9e Art, passionné d’ésotérisme, cinéaste, qui fut, rappelons-le, fondateur du Groupe Panique avec Arrabal et Topor.

«Il y a 20 ans, on se disait qu’on allait faire des trucs complètement neufs, surtout ne pas faire de séries avec des personnages héroïques», constate Boucq.

Avant de poursuivre: «En même temps, des genres comme celui-ci, cela demande des redéfinitions. Et aussi une petite maturité d’auteur. Je commence à comprendre comment marche une histoire, et quels sont les avantages qu’on peut tirer d’un genre».

«Le genre implique de raconter une histoire d’une certaine manière. Mais à l’intérieur de cette manière, on peut glisser une approche totalement personnelle».

Déchirement familial


«Bouncer» (‘le manchot’)… Au lendemain de la guerre de Sécession, trois demi-frères, nés de la prostituée «la plus cruelle» du pays et de pères inconnus, vont se déchirer. Motif de leur haine: un gigantesque diamant, l’œil de Caïn, qu’ils se disputent.

En deux tomes («Un diamant pour l’Au-delà» et «La pitié des bourreaux»), la haine va grandir, le sang couler, et le rejeton de l’un des trois frères, Seth, devenir une véritable incarnation de la vengeance.

L’intrigue est simple. Presque minimaliste. De la même façon que certaines intrigues classiques le sont. Ainsi, à la fin du deuxième tome, c’est carrément «Le Cid» de Corneille dont Jodorowsky et Boucq donnent une relecture.

Et ce n’est pas pour rien si les deux créateurs ont choisi la famille pour cadre: «Ce qui est intéressant, c’est de mettre les personnages dans des situations tellement paradoxales qu’on peut penser qu’il n’y a plus d’issues possibles. Et là, ils bravent des tabous qu’on a tous en nous».

Violence extrême

Et les tabous en question sont mis en perspective au travers des pires violences: viol, assassinats, décapitation, profanation de cadavre – celui de la mère, en l’occurrence.

La relecture d’un genre – le western – implique-t-elle nécessairement une telle débauche d’horreurs? «Cet univers-là est un univers violent. Un western, ce n’est pas une bluette. Et nous avons là l’occasion d’exprimer cette violence», répond Boucq.

Car pour lui, la violence de «Bouncer» n’est pas tant celle des personnages que la nôtre, refoulée: «Les violences des conflits qu’il peut y avoir dans des familles policées comme les nôtres sont des violences qui ne se sont pas déclenchées, parce qu’il y a un carcan qui les contient».

Et d’ajouter: «Mais dans un contexte comme celui du western, il y a quelque chose de ‘libérateur’, qui nous permet d’exprimer ces conflits qui sont en principe réfrénés par les contraintes sociales ou civiles. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’identifier à la violence, mais voir jusqu’où elle peut aller lorsque les tensions sont à ce point bridées. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre de la catharsis.»

Boucq va jusqu’à conclure que «ce n’est pas une violence qui est là pour fasciner». Ce qui n’est pas sans rappeler la gymnastique morale qu’accomplissait le marquis de Sade dans ses avant-propos pour légitimer ses écrits.

Des légitimations auxquelles on ne croit qu’à moitié. Car la ‘catharsis’ n’exclut pas la fascination. Et le talent de Boucq, la force de son inspiration, contribuent à développer celle-ci. Mais en est-il autrement chez certains auteurs classiques (on a cité Corneille, on pourrait évoquer Shakespeare) ou chez moult maîtres du cinéma?

swissinfo/Bernard Léchot

La série «Bouncer» est publiée par les Humanoïdes Associés. L’exposition «La pitié des bourreaux» est à voir jusqu’au 3 décembre à Lausanne, Librairie Apostrophe.

François Boucq, né en 1955 à Lille, a un long parcours d’illustrateur et de dessinateur (on lui doit notamment le personnage de Jérôme Moucherot).

La série «Bouncer», constituée pour le moment de deux tomes, est signée Boucq pour le dessin et Jodorowsky pour le scénario.

Après la série «Face de Lune» et «Le Trésor de l’Ombre», il s’agit-là de leur troisième collaboration.

L’exposition «La pitié des bourreaux» est à voir à Lausanne, Librairie-Galerie Apostrophe, jusqu’au 3 décembre

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