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Les étudiants sont priés de passer à la caisse

L'université de Zurich enregistre pour 2004 un nombre record d'inscriptions, avec plus de 23'000 étudiants. Keystone

Augmenter à 5000 francs par an les taxes universitaires permettrait d'engager jusqu'à 800 professeurs supplémentaires.

Cette proposition, issue des milieux de l’économie, est fermement contestée par les associations d’étudiants et certains recteurs d’universités.

Présentée mardi à Berne, une étude sur les «nouvelles pistes pour le financement des hautes écoles», a jeté un pavé dans la mare académique.

Auteurs de ce texte, le Cercle d’étude Capital et économie (CECE), Avenir Suisse et economiesuisse se défendent de creuser les inégalités sociales face à des taxes plus élevées.

Parallèlement à une hausse des taxes qualifiée d’«acceptable mais encore modeste en comparaison internationale», ils proposent que l’Etat intensifie sa politique de crédits.

«Et pousse donc les étudiants à l’endettement», s’insurge l’Union des étudiants suisses (UNES).

Plus de prêts

Dans l’hypothèse avancée, les hautes écoles disposeraient de 500 millions supplémentaires par an si 130’000 étudiants payaient des taxes annuelles de 5000 francs, contre 1300 francs en moyenne actuellement.

Dans le même temps, pour qu’une hausse des taxes ne limite pas l’accès aux études, des prêts sans intérêt et des prêts à 5% (contre 11% auprès des banques) devraient être délivrés.

D’un montant de 30’000 à 60’000 francs, ils coûteraient à l’Etat de 100 à 200 millions par an. Ce qui réduit de fait les moyens supplémentaires mis à disposition des universités.

«Et encore, les prêts proposés couvrent à peine l’augmentation des taxes, rétorque Caroline Gisiger, vice-présidente de l’UNES. Les frais de subsistance ne sont même pas pris en compte».

Quant au thème des bourses, il n’a carrément pas été abordé, ajoute-t-elle. Il est juste précisé que les prêts ne doivent pas remplacer le système des bourses, mais le compléter.

La formation tertiaire, un bien privé?

Pour justifier cet effort supplémentaire demandé aux étudiants, Michael Kohn, du CECE pose une question «cardinale»: la formation, qui augmente les chances des étudiants sur le marché de l’emploi, est-elle un «bien privé ou public»?

Pour Rudolf Walser, d’economiesuisse, la réponse est «oui, en partie». Ainsi, une augmentation «raisonnable» des taxes se justifie.

«Pourtant, des études montrent que les universitaires ne sont pas forcément beaucoup plus payés, remarque Stéphanie Gisiger. Et s’ils le sont, ils payent des impôts en conséquence.»

A noter encore, qu’un étudiant en lettre coûte nettement moins cher qu’un étudiant en médecine. Et le premier ne pourra pas prétendre à des salaires aussi élevés que le second.

Ce qui fait dire à l’UNES, que l’étudiant va choisir sa formation en fonction de la rentabilité et pas de ses capacités ni de son intérêt.

En manque d’idée

En attendant, en Suisse comme un peu partout en Europe, la question du financement des universités se pose.

Face au nombre d’étudiants croissant, la qualité de l’enseignement suisse baisse. Au risque de mettre en péril la prospérité et la compétitivité du pays, sa matière grise étant sa seule richesse.

D’autre part, le financement public des universités est devenu problématique, restrictions budgétaires obligent. Il manquerait environ un milliard par an, selon la Conférence des recteurs des universités suisses (CRUS).

Ce qui n’empêche pas les milieux économiques de faire continuellement pression pour obtenir des diminutions d’impôts, donc «à pousser à ce que l’Etat se désengage de la formation tertiaire», selon l’UNES.

Déclaration de Bologne

L’encadrement des étudiants, toujours plus nombreux surtout dans les sciences humaines et sociales, doit donc être renforcé.

D’autant plus avec la mise en place de la réforme découlant de la Déclaration de Bologne (enseignement en deux cycles, bachelor et master).

Avec ces 500 millions supplémentaires, on pourrait passer d’un professeur pour 40 étudiants à un pour 30 en moyenne. Et maintenir un professeur pour 20 dans les HES.

Mais, avancent les détracteurs aux propositions de l’économie, 70% des étudiants ont un petit job en parallèle. Or les cursus plus rigides et serrés instaurés par Bologne limiteront cet apport financier.

Réactions très mitigées

Les instances académiques ont répondu aux propositions de l’économie suisse par des réactions très mitigées. Ainsi, la CRUS n’a pas arrêté de position ferme concernant la question des taxes.

Une hausse serait imaginable pour couvrir une partie du besoin de financement supplémentaire des universités. Mais cela ne serait pas simple et risquerait d’avoir des effets négatifs, notamment sur l’égalité des chances, selon son secrétaire général adjoint Raymond Werlen.

Pour Charles Kleiber, secrétaire d’Etat à la science et à la recherche, une discussion sans tabous est salutaire.

Mais selon ses déclarations au quotidien Le Temps, il faut pouvoir combiner un système de taxes, de prêts et surtout de bourses. Et le tout doit se faire en concertation avec les étudiants.

swissinfo, Anne Rubin

– Cette étude issue des milieux économiques propose d’augmenter à 5000 francs les taxes universitaires annuelles, contre 1300 francs en moyenne actuellement. L’université du Tessin est la plus chère: 4000 francs.

– Les douze universités et écoles polytechniques, ainsi que les sept Hautes écoles spécialisées sont concernées.

– Pour compenser les inégalités sociales qui se creuseraient face à des taxes augmentées, une extension du système des prêts accordés par l’Etat devrait être instituée.

– Une fois les frais administratifs dus à l’octroi des prêts étatiques (entre 100 et 200 millions), cette manne d’environ 400 millions supplémentaires (+12% du budget accordé à la formation) permettrait d’engager jusqu’à 800 professeurs supplémentaires.

– Les taxes perçues ne couvrent actuellement, selon l’étude, que 3% des coûts des universités.

– Elles sont parmi les plus basses d’Europe, à l’exception de la France et de l’Allemagne. Mais le taux d’universitaire est aussi l’un des plus bas.

– Les milieux estudiantins sont opposés à ces propositions, ainsi que certains recteurs d’universités.

– C’est surtout l’accroissement de l’inégalité des chances et la généralisation du système de prêts – qui pousse à l’endettement des étudiants – qui est remis en cause.

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