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Les artistes jouent souvent sans filet social

A l'instar de cet artiste de rue, bon nombre d'acteurs culturels en Suisse sont contraints d'organiser eux-mêmes leur sécurité sociale. Keystone

Faut-il améliorer la protection des acteurs culturels dans le cadre de l'encouragement à la culture ou dans celui des assurances sociales? En attendant une réponse politique, les principaux intéressés jonglent avec les contrats et les statuts.

Diversifier, le mot d’ordre est aujourd’hui de rigueur pour les entreprises… comme pour les acteurs culturels. En Suisse, bon nombre d’entre eux sont indépendants, c’est-à-dire contraints, comme les petits entrepreneurs, d’organiser eux-mêmes leur sécurité sociale.

Or ils entrent aussi dans la catégorie des travailleurs dits «atypiques». Contrats de durée limitée, cumul d’emplois, revenus faibles ou du moins irréguliers. De quoi voir son filet social sérieusement troué.

«A côté de notre activité principale, on exerce toutes sortes d’activités annexes pour s’en sortir. C’est mieux d’avoir plusieurs cordes à son arc», témoigne Yves Raeber, comédien. Un sondage réalisé il y a quelques mois par l’Association suisse des professionnels de la scène montre que près de 40% de ses membres gagnent en moyenne entre 1000 et 2000 francs bruts par mois.

Danseur, chorégraphe et metteur en scène, Lukas Weiss tire pour sa part son revenu de trois «piliers»: les contrats, les entrées de ses spectacles et les subventions culturelles. S’il salue les soutiens directs alloués par les collectivités publiques ou le privé, il tient à son statut d’entrepreneur indépendant. Il n’est donc pas favorable à ce que l’Etat prenne en charge une partie de la prévoyance professionnelle (2e pilier) des artistes.

Participer aux cotisations du 2e pilier

C’est pourtant ce que propose l’association faîtière des créateurs culturels Suisseculture. Elle est soutenue en cela par l’Union syndicale suisse (USS), qui a tenu récemment une conférence de presse pour attirer l’attention sur la nécessité d’améliorer la protection sociale des acteurs culturels.

Le sujet est en effet à l’ordre du jour sur le plan politique. La loi sur l’assurance chômage est en cours de révision et le Parlement a commencé à examiner la loi sur l’encouragement à la culture.

«Si quelqu’un gagne entre 20’000 et 40’000 francs par an, il ne peut pas payer 15% pour sa prévoyance professionnelle à lui tout seul», explique Hans Läubli, futur directeur de Suisseculture. Pour lui, la Confédération devrait donc faire un geste à titre d’encouragement à la culture et payer une partie des cotisations au 2e pilier des artistes.

Soutenue par d’autres instances, comme la Conférence des villes suisses en matière culturelle, cette mesure était inscrite au départ dans le projet de loi, mais elle a finalement disparu de la version soumise au Parlement.

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Problème constitutionnel

Du côté de l’Office fédéral de la culture (OFC), Daniel Zimmermann reconnaît que le problème de la protection sociale des artistes est «important». Mais il explique que la Confédération ne dispose pas de la base constitutionnelle nécessaire pour allouer aux acteurs culturels des contributions au 2e pilier.

Un prétexte, selon Hans Läubli. Ce dernier est néanmoins d’accord avec Daniel Zimmermann pour dire que l’amélioration de la situation des artistes passe aussi par une révision des lois sur la sécurité sociale.

Actuellement, par exemple, il n’est pas obligatoire de cotiser au 2e pilier lorsqu’on travaille moins de trois mois pour le même employeur, ni lorsque son revenu n’excède pas 20’000 francs par an. Ce qui est souvent le cas des comédiens ou des techniciens de cinéma par exemple, indique Hans Läubli.

Mais pas question pour le Conseil fédéral (gouvernement) de changer la donne. S’il a dernièrement pris quelques mesures pour améliorer la prévoyance professionnelle des travailleurs dits «atypiques», il a par contre refusé de lever l’exigence d’un engagement minimal de trois mois pour l’assujettissement au 2e pilier.

Droit au chômage

Autre gros trou dans le filet social des acteurs culturels, le chômage. A l’heure où la loi sur l’assurance chômage est en révision, l’USS a demandé à ce que la spécificité du travail des artistes soit prise en compte. Elle prône notamment une plus grande souplesse dans le calcul de la période de cotisation.

«Avec l’exigence d’une période de cotisation de 12 mois dans un délai-cadre de 2 ans, il est évident que la plupart des acteurs culturels ne remplissent pas les conditions. Et le calcul de leurs gains assurés pose aussi problème», déplore Hans Läubli.

Dans le domaine musical par exemple, il est courant que le taux d’occupation des professeurs varie en fonction du nombre d’élèves. Or ils peuvent se voir privés d’indemnités si ce taux subit une baisse annuelle inférieure à 20%. Face à cette situation, Olivier Cuendet, chef d’orchestre et musicien, souhaiterait que les conservatoires et les écoles introduisent un minimum salarial garanti.

Pris dans un engrenage législatif où la question de savoir si l’amélioration de leur prévoyance professionnelle doit passer par l’encouragement à la culture ou la modernisation de la protection sociale, les acteurs culturels sont nombreux à avoir développé des stratégies ad hoc en matière de couverture sociale.

«Je suis dans la situation de tous les indépendants, comme les agriculteurs par exemple. C’est une façon de fonctionner. Les artistes sont des gens créatifs, ils doivent aussi être capables de prendre leurs responsabilités», estime Lukas Weiss. Reste qu’à l’heure actuelle, beaucoup travaillent «sans filet», comme le dit Yves Raeber, prenant alors le risque de la précarisation.

swissinfo, Carole Wälti

L’encouragement de la culture est devenu une tâche explicite de la Confédération suite à la révision de la Constitution fédérale acceptée par le peuple en avril 1999.

Pour mettre en œuvre l’article 69, dit «article culturel», un projet de loi fédérale sur l’encouragement de la culture a été élaboré.

Lors de la consultation en 2005, les milieux culturels ont notamment demandé à ce que des dispositions destinées à améliorer la sécurité sociale des créateurs soient inscrites dans la loi.

Une expertise demandée par la Confédération a en outre conclu qu’il était nécessaire d’améliorer la prévoyance professionnelle pour les personnes exerçant une activité de durée déterminée inférieure à 3 mois et pour celles qui exercent des emplois multiples.

Le projet de loi actuellement en cours d’examen au Parlement ne prévoit toutefois pas de telles mesures.

Parmi les arguments invoqués, la Confédération estime notamment qu’elle ne dispose pas de la base constitutionnelle nécessaire pour allouer aux acteurs culturels des contributions au 2e pilier.

En Suisse, les acteurs culturels sont assimilés à des travailleurs dits «atypiques». C’est-à-dire qu’ils tirent leurs revenus d’emplois temporaires, souvent exercés auprès de plusieurs employeurs différents.

Selon le dernier recensement fédéral (2000), près de 47’300 personnes travaillent dans le secteur culturel en Suisse.

Celui-ci regroupe les professionnels actifs dans le secteur des arts en général et dans celui des médias audiovisuels.

Quelque 150’000 personnes – acteurs culturels ou non – sont confrontés à des conditions de travail précaire (3,8% de la population active) en Suisse, d’après une étude de 2002.

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