Des perspectives suisses en 10 langues

Les cantons signent la paix des langues

La Suisse veut préserver sa tradition multilingue. swissinfo C Helmle

Deux langues étrangères en primaire, dont une langue nationale: c’est le compromis adopté par les directeurs de l’instruction publique.

Cette décision devrait permettre d’éviter la «guerre des langues» qui menaçait d’éclater si le français avait été repoussé à la 7e année.

C’est une décision politique forte, prise malgré les pressions et le mécontentement d’une grande partie des enseignants alémaniques qui refusent d’enseigner deux langues en plus de l’allemand à l’école primaire et veulent repousser l’apprentissage du français de la 5e à la 7e année.

La Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) ne l’a pas entendu de cette oreille: selon le compromis présenté mercredi à Berne. Une langue nationale étrangère au moins doit figurer dans le programme primaire.

Quant à la nécessité d’introduire l’anglais précoce, elle est désormais acceptée par tous.

Anglais ou français d’abord? Les cantons choisiront



En contrepartie de l’apprentissage obligatoire de deux langues étrangères en primaire, la CDIP abandonne toute recommandation sur la priorité à donner, entre une langue nationale et l’anglais.

Les cantons, dans le cadre de leur Conférence intercantonale respective, pourront décider eux-mêmes s’ils privilégient le français (l’allemand ou l’italien) ou l’anglais comme première langue étrangère.

Ne pas être à la traîne de l’Europe

«La Suisse, pays multilingue, ne peut quand même se retrouver à la traîne de l’Europe, qui a décidé que deux langues étrangères à l’école primaire était tout à fait enseignables et apprenables», a insisté Hans Stöckling, le bouillonnant ministre de l’instruction publique st-galloise et président de la CDIP.

Le compromis adopté par 24 cantons sur 26 (AI et LU se sont abstenus) se base en effet notamment sur le plan d’action 2004-2006 de la Commission des communautés européennes.

Les Romands font leur deuil



Représentant les cantons romands, le directeur de l’instruction publique bernoise Mario Annoni, n’a pas caché que les francophones et les Tessinois ont aussi dû faire leur deuil de leur revendication première.

«Nous regrettons que la première langue étrangère enseignée ne soit pas partout une langue nationale. Nous sommes déçus, mais les autres points sont tout aussi importants, voire plus», a-t-il expliqué lors de la conférence de presse.

«Nous admettons que la situation n’est pas la même dans chaque partie du pays, a ajouté Mario Annoni. Pour nous, Romands et donc minoritaires, l’allemand est et restera incontournable. Les Allemands ont une autre attitude vis-à-vis de l’anglais.»

Les pressions de certains parents en faveur de l’anglais existent aussi en Suisse romande, reconnaît-il, mais surtout dans le bassin lémanique, et pas de façon à remettre la priorité de l’allemand en question.

Cohésion nationale en danger

«La priorité donnée à l’anglais en Suisse alémanique n’a pas été facile à «schlucken», pour employer une langue que tout le monde comprend», a ajouté le Bernois, avant d’être encore plus clair:

«Mais si le français avait été repoussé au secondaire, c’était une nouvelle atteinte au français et à la culture de cohésion nationale, qui a quand même permis à ce payer de surmonter pas mal de crises».

Autre minorité, italophone cette fois, le Tessin a également accepté ce compromis et «tout effort de coordination dans ce domaine», a dit Diego Erba, du Département de l’instruction publique.

«Question de vie ou de mort»

«Pour une minorité, savoir les autres langues nationales, c’est une question de vie ou de mort», a ajouté le Tessinois, en précisant que le Tessin demandait formellement que l’italien en option soit davantage proposé dans les cursus scolaires.

La ministre de l’instruction zurichoise Regine Aeppli, dont l’aptitude au dialogue a été plusieurs fois relevée par le président de la CDIP Hans Stöckling, a de son côté précisé que l’enseignement du français, légitimé par une votation populaire à Zurich, devait encore être amélioré.

Cet accord sera-t-il assez fort pour calmer les résistances à l’enseignement de deux langues au primaire? Le St-Gallois Hans Stöckling le croit.

«Nous avons réussi à empêcher la guerre des langues, a-t-il dit. Mais c’est à nous, Alémaniques, de prendre les Romands en considération.»

AI et LU sous les projecteurs

Le canton de Lucerne, qui s’est abstenu lors du vote de la CDIP, changera-t-il son fusil d’épaule? Le Conseil d’Etat a en effet proposé l’an dernier de repousser le français en 7e année. Une décision définitive doit tomber cette année.

Appenzell Rhodes-Intérieures, qui s’est également abstenu, pourrait quant à lui devoir revenir en arrière puisque le demi-canton a déjà repoussé le français, tout en lui allouant plus d’heures.

Enseignants mitigés



«Nous ne supprimerons jamais les résistances des enseignants, mais nous pouvons améliorer les rapports de confiance», a dit Regine Aeppli.

Tandis que l’Association romande des enseignants (SER) saluait tout effort de coordination mais craignait «un aspect déclamatoire et peu réaliste», le pendant alémanique (LCH) a dit son soutien au concept de la CDIP, tout en demandant plus de moyens pour l’appliquer.

L’état des finances publiques laisse en effet planer quelques doutes sur l’ambitieux – comme le reconnaissent ses responsables -, programme de la CDIP.

«C’est pour cela que nous avons laissé un long temps de réalisation, au total, si l’on compte les évaluations, jusqu’en 2016, a précisé Hans Stöckling. Mais il faut des moyens, et nous les trouverons».

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Berne

Actuellement, l’allemand est déjà enseigné à partir de la 3e année en Suisse romande, sauf en Valais où cette modification sera introduite à la rentrée 2004.
En Suisse alémanique, tous les cantons enseignent le français dès la 5e année, sauf Argovie, dès la 6e, Uri, qui a l’italien en option en 5e et le français dès la 7e, et Appenzell Rhodes Intérieures, qui a repoussé le français à la 7e année en même temps qu’il introduisait l’anglais précoce dès la 3e.
Les Tessinois apprennent déjà obligatoirement le français et l’allemand.
En 2001, la CDIP avait tenté, en vain, de se mettre d’accord sur la langue à privilégier, anglais ou langue nationale.
Le canton de Zurich introduira l’anglais dès la 2e année dès la rentrée prochaine, dans les communes qui sont déjà prêtes. L’introduction sera échelonnée jusqu’en 2007.
Une initiative cantonale veut interdire dans la loi l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère au niveau primaire. La récolte des signatures court jusqu’au 10 juillet.

– La stratégie adoptée le 25 mars 2004 par la CDIP rend obligatoire l’enseignement de deux langues étrangères au niveau primaire d’ici 2012 au plus tard, la première au plus tard dès la 3e année, la deuxième au plus tard dès la 5e année.

– L’enseignement de la langue étrangère en 3e année sera introduit au plus tard à la rentrée 2010.

– L’enseignement de la langue étrangère en 5e année sera introduit au plus tard à la rentrée 2012.

– Une langue nationale doit figurer parmi ces deux langues.

– Le choix de la langue prioritaire est laissé aux cantons.

– Zurich, les cantons de Suisse orientale et de Suisse centrale se sont déjà prononcés pour enseigner d’abord l’anglais.

– La Suisse romande a décidé de maintenir l’apprentissage prioritaire de l’allemand.

– Les acquis seront vérifiés par des standards inscrits dans un concordat encore à élaborer: à la fin de la scolarité, les élèves devront avoir les mêmes acquis, indépendamment du nombre d’années ou de leçons reçues dans telle ou telle branche.

– La stratégie de la CDIP met aussi l’accent sur l’importance de la langue d’enseignement dès l’école enfantine.

– Elle prévoit en outre la création d’une Agence nationale pour les échanges linguistiques (en 2006) et d’un Centre de compétences dès 2007.

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