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Les cinquante derniers jours de Ruth Metzler

Ruth Metzler en décebre 2003, quelques jours après son éviction du Conseil fédéral. Keystone

Un livre fait le point sur les derniers jours au pouvoir de Ruth Metzler. L’auteur – le journaliste Marc Comina – réfute la thèse du complot.

Il démontre cependant que la ministre a fait les frais d’une stratégie politique pour le moins contestable.

Le 10 décembre 2003, le monde politique connaissait un coup de théâtre. Pour la première fois depuis 1872, le Parlement ne reconduisait pas un ministre en place dans ses fonctions: la PDC (Parti démocrate-chrétien / centre-droit) Ruth Metzler.

En recul lors des élections fédérales d’octobre, le PDC ne pouvait mathématiquement plus prétendre occuper deux des sept sièges du gouvernement. Le Parlement avait donc sacrifié l’un des deux ministres PDC et accordé un second siège à l’Union démocratique du centre (UDC / droite dure), devenue le premier parti du pays.

Les parlementaires auraient aussi bien pu sacrifier l’autre PDC, l’actuel président de la Confédération Joseph Deiss. En se basant sur les témoignages d’une cinquantaine d’acteurs de la politique fédérale, Marc Comina – correspondant parlementaire pour l’hebdomadaire Facts – montre dans un livre quels ont été les processus qui ont finalement conduit à l’élimination de Ruth Metzler.

Une stratégie «délirante»

Lors d’une réunion secrète tenue le 27 octobre, une dizaine de pontes du PDC ont estimé que, compte tenu de sa force électorale, le parti devait abandonner l’un de ses deux sièges. Mais au final, ils ont proposé une toute autre stratégie, à savoir le maintien des deux ministres.

Un choix étrange, car une telle stratégie avait bien peu de chances de réussir. Et même si le succès avait été au rendez-vous, cela aurait mis le PDC dans l’embarras.

Au niveau politique, il serait apparu comme le fossoyeur de la concordance. De plus, les milieux économiques avaient clairement laissé entendre qu’ils souhaitaient l’entrée du 2e UDC au gouvernement. Si cela ne s’était pas fait à cause du PDC, ce dernier aurait ensuite eu bien de la peine à récolter des fonds.

«Tout le monde pense que cette stratégie était délirante, souligne Marc Comina. Les démocrates-chrétiens n’avaient aucune raison rationnelle de la poursuivre. Il était donc intéressant de montrer pourquoi ils ont justement choisi cette stratégie.»

Or la conclusion du journaliste est sévère. «C’est le choix de la trouille, explique-t-il. La peur de voir le parti éclater s’il fallait faire un choix entre les deux ministres. Cela en dit long sur l’état de santé du PDC. Par refus de la confrontation, on a préféré choisir une stratégie désespérée qui reposait sur des calculs mathématiques théoriques.»

L’auteur dévoile également que le psychodrame du 10 décembre aurait pu être évité. Le Parti radical démocratique (PRD / droite) avait en effet proposé au PDC de lui céder pour un ou deux ans le fauteuil de son ministre démissionnaire Kaspar Villiger.

«Il fallait comprendre cette proposition comme une tentative de réunir le centre, déclare Marc Comina. Mais les responsables du PDC – le président Philipp Stähelin et le chef du groupe parlementaire Jean-Michel Cina – ont refusé.»

«Leur but était de démoniser le PRD, accusé de se jeter dans les bras de l’UDC, et d’occuper seuls le centre de l’échiquier politique. L’avenir seul dira si cette stratégie est payante.»

Ruth Metzler piégée

La stratégie du maintien des deux ministres était totalement défavorable à Ruth Metzler. En effet, élue juste avant Joseph Deiss en 1999, elle devait se soumettre la première au processus de réélection, c’est-à-dire être la première à subir les attaques de l’UDC.

Ruth Metzler aurait préféré qu’un choix soit fait à l’intérieur du parti ou par le Parlement. Dans ce dernier cas, elle pensait perdre son siège au profit de l’UDC au troisième tour de l’élection, puis se représenter face à Joseph Deiss au tour suivant.

Mais Ruth Meztler a été sommée par les responsables du PDC de se conformer à la stratégie du parti, c’est-à-dire que chaque ministre défende sont propre siège sans s’affronter directement. «La stratégie du parti est devenue une icône qui ne pouvait plus être touchée», relève Marc Comina.

La ministre se trouvait ainsi prise au piège. Par loyauté au parti, elle devait soutenir cette stratégie qui lui était défavorable. Et lorsqu’elle manifestait son désaccord, elle passait pour une traîtresse aux yeux de bon nombre de membres du PDC.

Un manque de sens politique

«C’est le côté tragique de cette affaire, estime Marc Comina. Ruth Metzler ne pouvait plus échapper à son destin, car elle était seule.»

Mais cette solitude s’explique. Au niveau politique, la ministre s’est fait des ennemis parmi les conservateurs de son parti en se montrant trop libérale sur des dossiers de société.

Mais c’est surtout sa manière de faire de la politique qui est en cause. «Elle a fait de la politique en toute indépendance, elle n’a pas soigné ses contacts, juge l’auteur. Elle s’est donc retrouvée complètement isolée, incapable de bouger le moindre levier pour influer sur le cours des événements.»

Et Marc Comina d’enfoncer le clou. «Elle avait une obsession du travail. Elle jugeait son engagement politique au nombre de dossiers traités. Elle était une bureaucrate, une technocrate, mais pas une politicienne.»

C’est en fait tout le contraire de son rival Joseph Deiss que Marc Comina décrit comme un homme au «réseau tentaculaire».

«S’il s’était trouvé dans la même position que sa collègue, Joseph Deiss serait intervenu pour trouver un équilibre. Il est certain qu’il aurait trouvé grâce à ses contacts le moyen de compenser le désavantage de passer le premier lors de l’élection.»

Pas vraiment de complot

Beaucoup de commentateurs politiques se sont posé la question de savoir si Ruth Metzler avait finalement été victime d’un complot. Dans son livre, Marc Comina n’emploie pour sa part jamais le terme de complot.

«Le mot complot peut avoir une validité pour la phase finale, explique-t-il. Mais il serait faux de comprendre que dès le départ la stratégie du PDC a été de tout faire pour que Ruth Metzler ne soit pas réélue.»

«En revanche, avec la stratégie du PDC, un engrenage s’est mis en place, poursuit-il. Jean-Michel Cina, Philipp Stähelin et Joseph Deiss n’ont rien fait pour tendre la main à Ruth Metzler, alors qu’ils savaient très bien qu’elle ne voulait pas de cette stratégie qui lui était défavorable.»

Reste à voir maintenant si cette analyse est partagée par la principale intéressée. La réponse ne saurait tarder. Ruth Metzler a également pris sa plume pour décrire les événements. Son livre sera disponible début juin.

swissinfo, Olivier Pauchard, Palais fédéral

Marc Comina: Pouvoir et intrigues au Palais fédéral, Editions de l’Aire, Vevey, 2004, 170 p.

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