Des perspectives suisses en 10 langues

Les décibels symphoniques de Deep Purple

Keystone

Mercredi soir au Hallenstadion de Zurich, hard rock et musique symphonique croisaient le fer sous les auspices du groupe britannique Deep Purple. 31 ans après sa création, le «Concerto for Group & Orchestra» de Jon Lord reste une expérience étonnante.

Le vélodrome zurichois est plein à craquer. Nuance de taille par rapport à un concert rock traditionnel: le public est assis. Et on lui demande de le rester.

Derrière Jon Lord, veste blanche accordée à ses cheveux, prennent place le Romanian Symphonic Orchestra, puis le chef d’orchestre britannique Paul Mann. Suivra un spectacle fort et étonnant. A condition de ne pas être un critique branché, ni un amateur de chapelles musicales cloisonnées. Mais ceci nécessite un petit rappel historique…

Septembre 1969. Dans le très sélect Royal Albert Hall de Londres, le London Symphony Orchestra, sous la direction de Sir Malcolm Arnold, se permet une shocking compromission: interpréter l’œuvre d’un musicien rock, Jon Lord, claviériste de Deep Purple, un groupe alors en phase ascensionnelle, dont la nouvelle formation se retrouve pour la première fois sur scène: Jon Lord derrière son Hammond, Ritchie Blackmore à la guitare, Ian Paice à la batterie, et deux petits nouveaux: Ian Gillan au chant et Roger Glover à la basse.

Septembre 1999… Après avoir inventé le hard rock, être devenu des stars mondiales, après avoir accumulé les tournées planétaires, changé moult fois de structure, périclité gravement puis vécu une véritable renaissance avec l’arrivée du guitariste américain Steve Morse, Deep Purple, par un étonnant concours de circonstances, revient à son fameux concerto.

Il y a longtemps que Jon Lord avait perdu toute trace de la partition. Mais un jeune étudiant en musicologie, le Néerlandais Marco de Goeij, avait entre-temps décidé d’y consacrer une thèse. Il se plonge donc dans l’œuvre, et, à l’aide du disque et du film du concert historique de 69, réécrit tout le concerto, pour chaque instrument…

Ni une ni deux, Deep Purple profite de ce travail de bénédictin et décide de rejouer la chose à Londres, à nouveau au Royal Albert Hall, pour en fêter les 30 ans. Suivra un album, dont le succès sera suffisant pour que le quintette transforme ce qui devait être un concert événement en une véritable tournée.

En l’an 2000, quel intérêt y a-t-il à faire se côtoyer un orchestre symphonique et un groupe de rock? Tout chanteur ayant un peu de succès a cédé un jour ou l’autre aux sirènes du «symphonisme». Les résultats, souvent à la fois pompier et guimauve, sont en général décevants. Mais là, il faut avouer qu’il s’agit d’autre chose. D’une oeuvre riche, conçue à la fois comme une confrontation, un dialogue, puis une émulation entre les deux genres musicaux…

Bien sûr, on n’évite pas la grandiloquence, la dramatisation forcenée, mais sans excès de gratuité. De surcroît, les influences du compositeur sont plus à chercher du côté de Stravinsky que de Mozart… Dissonances, changements de rythmes, envolées de violons et riffs de guitare saturée, le frisson est au rendez-vous, même si la sonorisation ne joue pas vraiment en faveur de l’orchestre symphonique.

Avant le Concerto, Deep Purple et le Romanian Philarmonic Orchestra se sont payé une pinte de plaisir en jouant pendant près d’une heure des titres aux registres pour le moins variés: «Pictured within», chanté par Miller Anderson, «Love is All», hurlé par le tonitruant Ronnie James Dio, et plusieurs titres relativement méconnus de Deep Purple: «Fools», le fabuleux «When A Blind Man Cries» ou un «Wring That Neck» très big band jazzy. Sans oublier une démonstration de virtuosité classico-hystérique signée Steve Morse et intitulée «The Well Dressed Guitar»…

Les tubes, eux, ne viendront qu’après le Concerto. «Perfect Strangers», «Smoke On The Water», suivi en rappel de «Black Night». Pari osé: quel autre groupe se permettrait-il d’interpréter ses «incontournables» après 120 minutes de spectacle?

Un orchestre symphonique, des choristes féminines, une section de cuivres… Tout groupe de hard rock normalement constitué y perdrait son âme. Sauf Deep Purple. Peut-être parce que les cinq citoyens d’honneur de la ville de Montreux ne sont pas que des rockers. Mais avant tout des musiciens. Et qu’ils ont de surcroît le sens de l’humour.

Bernard Léchot

Deep Purple & Orchestra en octobre 2000: Madrid (20), Murcie (21), Milan (23), Paris (25), Vienne (27), Dortmund (29), Rotterdam (30), Munich (31).

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision