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Les galeries d’art défient la crise

L'exposition Art Basel 2002 a attiré de nombreux visiteurs. Keystone Archive

Malgré la conjoncture morose, le marché suisse de l'art est en pleine forme. Mais les petites galeries d'avant-garde ont de la peine à survivre.

Les grandes galeries, elles, peuvent s’appuyer sur des valeurs sûres.

En mai dernier, on baignait en pleine sinistrose induite par les attentats anti-américains du 11 septembre. 2001. Et les galeristes craignaient de voir leurs ventes chuter dramatiquement.

Mais il n’en fut rien. Les exposants de l’édition 2002 de la foire internationale Art Basel ont en effet enregistrés des résultats de vente «bons à excellents».

Les exposants de longue date ont même jugé que cette édition était une des meilleures de leur histoire. Une tendance qui s’est confirmée lors la première édition de Art Basel Miami Beach en décembre, selon Peter Vetsch, responsable de la communication d’Art Basel.

Toutes les galeries exposantes ont par ailleurs trouvé des acheteurs pour leurs œuvres, classiques ou contemporaines. Et, toujours selon Art Basel, les jeunes artistes n’étaient pas en reste.

Sans parler des sommets qu’atteignent les ventes aux enchères de Sotheby’s ou Christie sur le marché second, autant aux Etats-Unis qu’en Europe d’ailleurs.

Le gotha international de l’art

Mais ce panorama n’est pas forcément représentatif de la situation réelle des galeries. Sur les 930 demandes qui sont parvenues du monde entier à Art Basel, seuls 260 galeristes auront droit à leur stand en 2003.

Ceux qui ont été retenus ont bien sûr les moyens de payer plus de 400 francs le mètre carré d’espace d’exposition. Ce sont en outre des galeristes bien cotés, qui font déjà partie du ghota de l’art mondial.

Qui plus est, les heureux élus sont sélectionnés par un comité composé de galeristes eux-mêmes en vogue. D’ailleurs, la presque totalité des galeries présentes en 2002 le seront aussi en 2003.

Comme quoi, il n’est pas facile d’entrer dans la cour des grands où chacun défend ses protégés. Mais ce n’est de loin pas l’apanage du monde de l’art.

«Il y aura toujours de l’argent pour l’art»

Comme il est aussi évident qu’une grande galerie s’en sortira mieux qu’une petite. Aux prix qu’elles pratiquent, les grandes galeries peuvent se permettre de vendre moins.

Et logiquement aussi, les jeunes galeries, souvent endettées et pas encore bien implantées, ont plus de peine à se maintenir en période de crise.

Sans être naïf, ni imaginer que les galeries puissent avouer avoir des difficultés, les avis des galeristes, artistes et conservateurs de Musées vont tous dans le même sens. Le marché de l’art, qui décidément est un monde à part, se porte bien.

Mais les galeries d’avant-garde admettent tout de même que les institutionnels (musées ou fonds de décoration), comme les grandes entreprises, investissent un peu moins. Et surtout achètent moins cher.

Même aux Etats-Unis, ça baigne

Ce marché aurait-il donc endossé le rôle de valeur-refuge? Ou alors, la crise, comme celle des années nonante, parviendrait-elle en Europe avec un temps de retard?

Si la première hypothèse couvre une des explications à ce phénomène, la seconde peine à s’imposer.

Mais alors, comment expliquer qu’aux Etats-Unis, où les bruits de bottes résonnent et l’incertitude domine, l’art marche toujours aussi bien?

Et quand la galerie d’avant-garde zurichoise Ars Futura nous dit «On s’est demandé si ça aurait pu aller mieux sans le 11 septembre!», on ne peut que vérifier que le marché tire son épingle du jeu.

C’est que ceux qui traditionnellement achètent de l’art en ont toujours les moyens.

«En Suisse, contrairement à l’Allemagne où la situation est plus difficile, il y aura toujours de l’argent pour l’art», analyse le président de l’Association suisse des galeries.

«Ici, ajoute Hans Furer, les collectionneurs, issus d’une tradition vieille de 150 ans, sont très engagés.»

Il reconnaît tout de même volontiers que les galeries n’échappent pas à une certaine logique commerciale. «Celles qui marchent sont de bonnes entreprises. Celles qui périclitent auront souvent eu de la peine à se positionner sur le marché de l’art.»

Repli sur les valeurs sûres

Il n’empêche que tous s’accordent à admettre qu’actuellement les prises de risques sont moindres. En période difficile, on se concentre sur ce qui rapporte de l’argent et sur les artistes reconnus.

Et les premiers à trinquer sont forcément les jeunes artistes qui ne sont pas encore cotés.

Toutefois, si elle se prolonge, cette sclérose du marché sur les ‘classiques’ pourrait être très dommageable pour l’avenir de l’art contemporain. Le futur repose sur la découverte de jeunes talents.

Hans Furer estime encore qu’une galerie qui ne parvient pas à panacher son offre d’artistes connus (donc rentables) avec de jeunes artistes prometteurs (mais méconnus) n’a actuellement aucune chance de survivre.

Travailler sur le long terme

Et c’est là qu’on se rend compte qu’«il y a galerie et galerie», si l’on en croit l’expérience vieille de 15 ans de Pierre Eichenberger.

Cet ardent défenseur de la mission exploratoire du métier a d’ailleurs dû fermer ses deux galeries à Berne et à Cologne. Et inventer un nouveau concept de diffusion de l’art contemporain.

Pas assez intégré dans les circuits, il présentait des jeunes artistes qu’on ne voyait nulle part ailleurs.

C’est que les grandes galeries d’art contemporain, les Art & Public à Genève, Stampa à Bâle ou Hauser et Wirth à Zurich contrôlent totalement le marché de l’art. Qui se réduit à quelques artistes qu’on voit alors partout.

«Pour amener des artistes à la notoriété, il faut travailler sur le long terme avec eux, poursuit Pierre Eichenberger. Les soutenir, les rassurer et les positionner sur la scène internationale.» Un engagement qui n’est bien sûr pas rentable à court terme.

Ce qui explique aussi que quelques petites galeries qui étaient très proches des artistes aient dû ces derniers temps adopter une stratégie plus orientée vers le ‘business’, selon Sarah Zurcher, directrice de Fri-art, le centre d’art contemporain de Fribourg.

Le pire est encore à venir

Et puis, de l’autre côté, il y a les marchands d’art, des Beyeler, Krugier ou Aman par exemple. «Ils vendent des chefs d’œuvres et pas des artistes», selon Hans Furer.

Toutefois, dans ce milieu très clos, les rumeurs vont bon train. Il semblerait que certaines galeries qui ont pignon sur rue préféreraient de loin se maintenir à flot grâce aux banques. Et cela plutôt que de piocher dans leurs stocks d’œuvres et ainsi risquer de faire baisser les cotes de leurs artistes

Et selon Nicole Timonier enfin, le pire est encore à venir. La galeriste genevoise Evergreen travaille essentiellement avec des galeries et des artistes américains. A ses yeux, cet optimisme quelque peu forcé commencerait à se lézarder.

swissinfo, Anne Rubin

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