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Les légendes colorées de deux Africains

L'artiste ghanéen Ataa Oko a commencé à dessiner après une rencontre avec une ethnologue suisse. Collection de l’Art Brut, Lausanne/A. Blanc

A Lausanne, la Collection de l’Art brut expose les dessins d’Ataa Oko et de Frédéric Bruly Bouabré. Un Ghanéen et un Ivoirien chez qui le réel et le merveilleux s’accouplent avec bonheur.

Ataa Oko a le rire tonitruant, l’imagination exubérante et les doigts magiques. Avec une bonne humeur soigneusement affichée, il explique à ceux qui l’écoutent, adultes et enfants, le dessin qu’il vient de réaliser, là, sur cette table vétuste, installée devant l’entrée de sa maison tout aussi vétuste.

Où sommes-nous? Dans une bourgade du Ghana où Ataa Oko est né, où il vit et travaille. Une scène africaine, donc, animée, bigarrée, projetée -par vidéo interposée- à Lausanne, à la Collection de l’Art brut qui accueille des œuvres d’Ataa Oko, dessins et sculptures.

Plein écran sur le Ghanéen. Dans la vidéo qui tourne en boucle, l’artiste raconte son travail avec la foi d’un homme qui croit aux djinns. «Ce que vous voyez là, dit-il en montrant un corps mi-animal mi-humain, c’est une femelle. Elle va se promener dans la forêt. Sur son dos, un mâle s’est installé. C’est son mari. Il veut lui faire l’amour. Elle refuse, elle n’a pas envie». La foule rit, nous aussi, d’autant que le mâle est tout petit, petit, comparé à sa dulcinée bien dodue.

Ataa Oko poursuit: «Il y a des esprits dans les arbres de la forêt, je les vois. Ils sont la source de mon inspiration».

Le merveilleux et le réel

A ces croyances, on ne demande qu’à adhérer. Car c’est là le meilleur moyen de comprendre les dessins d’Ataa Oko dans lesquels s’accouplent l’homme et la bête, l’irrationnel et le quotidien, le merveilleux et le réel.

Un univers baroque, superbement coloré, avec des créatures hallucinatoires que l’on dirait issues d’un rêve. Ici, un garçon flotte dans le ventre d’un crocodile. Là, trois petites têtes africaines servent de nageoires à un poisson. Là-bas encore, un fauve, bicéphale. Est-ce un lion? Difficile à dire. Peu importe, c’est en tout cas un prédateur gourmand qui retient, serré dans sa queue, le visage d’une femme ahurie.

Ce qui attendrit dans ces dessins (réalisés sur papier avec des crayons de couleur), c’est leur caractère bidimensionnel, quelque peu primitif, enfantin. Pas de profondeur donc chez Ataa Oko. S’il y en a une, elle est à chercher dans ses cercueils. De vrais cercueils, dont deux trouvent leur place dans l’exposition. L’un a la forme d’une poule, l’autre d’un coq. Le ventre du coq, qui s’ouvre, est satiné. Les défunts aiment le moelleux.

Les cercueils, on les retrouve également dans les dessins, sous la forme d’un cochon, d’un lézard, d’un âne, d’une chèvre, d’une vache, d’un canard, d’un poisson… Tout un bestiaire pour garder l’entrée des enfers.

Une ethnologue suisse

Ataa Oko est à la base menuisier. Longtemps, il a fabriqué des cercueils à La, au Ghana. Son œuvre graphique, il l’a commencée en 2002, à la suite de sa rencontre avec l’ethnologue suisse Regula Tschumi. Celle-ci menait alors une recherche sur les sculptures funéraires. Elle lui a demandé de dessiner, de mémoire, ses cercueils. C’est en grande partie grâce à elle que son travail est présenté à Lausanne.

Autodidacte, comme tous les artistes exposés à la Collection d’Art brut, le Ghanéen n’entre dans aucune catégorie. Il est inclassable. Pourtant, on ne peut s’empêcher de lui trouver une parenté avec certaines toiles de Joan Mirò, ne serait-ce que dans le mariage de couleurs vives et de corps hétéroclites, mêlant allègrement l’humain et le bestial et évoquant un univers frappé d’irréalité.

Tout aussi fantastique est l’œuvre de Frédéric Bruly Bouabré, également africain (il est Ivoirien), également accueilli à la Collection de l’Art brut. Ce qui le sépare néanmoins d’Ataa Oko et le rend moins accessible que le Ghanéen, c’est sa démarche. Certains de ses dessins comprennent un alphabet élaboré à partir de sa langue, le bété.

Conteur avant tout, il sait néanmoins se rendre lisible dans ses légendes dessinées sur papier, format carte postale. Disposées les unes à côté des autres, ces cartes donnent à voir, à la manière des cases de BD, une histoire souvent philosophique, nappée d’humour. Ainsi de cette série de dessins sur la notion de liberté. Où l’on découvre le conte de Zâcro l’araignée qui se fait capturer par une panthère avant d’en être délivrée par un tragi comédien.

L’Afrique, on le sait, a ses griots. Ataa Oko et Frédéric Bruly Bouabré en font partie, à leur manière. Ils sont les passeurs d’une parole qui trouve dans leurs illustrations un espace enchanté.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Ataa Oko et Frédéric Bruly Bouabré. Collection de l’Art brut, Lausanne. Exposition à voir jusqu’au 22 août.

Né à La (Ghana) en 1919, il gagne d’abord sa vie comme pêcheur, puis comme employé dans des plantations de cacao.

Apprenti menuisier à partir de 1936, il réalise ses premiers cercueils vers 1945 et ouvre son propre atelier à La.

L’âge venant, il ne fabrique des cercueils qu’occasionnellement, sur commande.

Son œuvre graphique, a débuté après sa rencontre avec l’ethnologue suisse Regula Tschumi qui l’a encouragé et soutenu en lui fournissant notamment les crayons de couleur pour ses réalisations.

A 90 ans, il poursuit inlassablement son œuvre qui compte plus de 2500 dessins.

Né en 1923 à Zéprégühé (Côte d’Ivoire).

A près 9 ans d’école française, il fait son service militaire dans la Marine, qu’il quitte à la fin de la guerre.

En 1945, il retrouve la vie civile et exerce divers métiers au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Il entre dans la vie artistique à la suite d’une vision céleste, survenue à Dakar en 1948.

Selon lui, cette vision a illuminé sa vie.

Porté par une démarche universelle, il se met alors à dessiner, avec en perspective une quête philosophique.

A 87 ans, il retranscrit encore sur des papiers cartonnés sa « connaissance du monde ».

Il vit en Côte d’Ivoire.

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