Des perspectives suisses en 10 langues

Les médecins de famille s’organisent pour survivre

Dernière manifestation en date des blouses blanches, le 31 mars sur la Place fédérale à Berne. Keystone

La Suisse ne forme pas assez de médecins et, comme tous les pays occidentaux, elle connaît surtout une crise de relève en matière de médecine générale. La profession s’organise pour lui rendre son prestige en améliorant la formation et son image auprès des jeunes médecins.

«Je ne suis pas contente de mon docteur mais je ne dis rien parce que je n’en trouverai pas d’autre.» Cette vieille dame entendue dans le bus est peut-être aigrelette, mais il est vrai que cela devient difficile de trouver un médecin de famille.

Bruce Brinkley, coordinateur du Cursus Romand de Médecine Générale en charge de l’assistanat en cabinet médical, tire lui aussi la sonnette d’alarme: «Quand les volées de diplômés ne comptent que 10% d’intéressés, les facultés et la société au sens large sont face à un problème majeur puisqu’il en faudrait 40% en tout cas».

Pour ce praticien genevois, le manque d’intérêt pour la médecine de premier recours est un phénomène complexe, imputable à des défauts structurels, à des considérations financières, à quoi s’ajoute un manque de prestige dans une société qui privilégie et investit dans la médecine de pointe si prisée par les médias.

Clause du besoin

Ce secteur a aussi souffert de la clause du besoin (limitation des nouveaux cabinets), introduite entre 2002 et 2010 pour parer à un afflux de médecins de l’UE. «Cela a été catastrophique car les jeunes ne pouvaient pas s’installer et sont restés à l’hôpital», relève Nicolas Blondel, spécialiste en médecine interne générale à l’Hôpital cantonal de Fribourg (HFR).

Résultat: l’âge moyen des généralistes tourne autour des 57 ans. Comme il faut quinze ans pour en «fabriquer» un, il est urgent d’assurer la relève. Depuis quelques années, le secteur se mobilise.

«Les acteurs doivent aller dans une même direction, martèle Bruce Brinkley. C’est une situation complexe qui demande de nombreux petits embryons de solutions mis bout à bout pour que le tout soit cohérent et que la tendance de désertion de la médecine générale par les jeunes s’inverse.»

Un «apprentissage» en cabinet

Il faut agir sur la formation universitaire et post-grade (cinq ans de spécialisation) et les conditions de travail (rémunération, gardes), sans oublier les tarifs des praticiens chevronnés. «C’est fondamental de rendre ce métier assez exigeant plus attractif en le payant mieux», précise le coordinateur.

Le Cursus Romand se bat depuis cinq ans pour (re)valoriser la profession par un coaching personnel dans les facultés. «Il nous incombe en premier lieu d’aller parler aux étudiants, de leur montrer notre plaisir à exercer notre métier, de dispenser du conseil personnalisé aux aspirants généralistes.»

Dans le domaine post-grade, le Cursus a, en collaboration avec les Polycliniques universitaires et les groupements d’omnipraticiens, assisté les cantons désireux de développer des programmes d’assistanat en cabinet.

il n’existe pas d’organisation similaire en Suisse alémanique, mais certains cantons sont très actifs. Aujourd’hui en Suisse, presque tous ont créé des places de formation en cabinet (20 à 25% payés par l’employeur et le reste par l’Etat) et s’engagent pour améliorer les conditions de travail.

Toute la profession y met aussi du sien puisque cette formation extrahospitalière bénéficie d’un finmancement du corps médical.

L’exemple fribourgeois

Après un essai piloté par l’HFR et soutenu par la Société de médecine et la ministre cantonale de la Santé, Fribourg vient de créer deux postes d’assistant en cabinet dès 2012. «En septembre, nous avons créé un poste à mi-temps sur un an, avec une formation deux fois par semaine à l’hôpital; ensuite, retour chez nous en médecine interne», explique Nicolas Blondel, collaborateur du projet.

L’assistante en question (qui souhaite garder l’anonymat) est à mi-parcours. «Je me sens utile et j’ai acquis une vision de la ‘vraie vie’, raconte-t-elle. Par exemple, je dois réfléchir autrement avant de faire de nouveaux examens, alors qu’à l’hôpital, je dirais presque qu’il suffit d’un clic! Ce qui est intéressant, aussi, c’est que les patients qui me sont ‘prêtés’ ont choisi le cabinet, ce qui n’est pas le cas à l’hôpital.» Conclusion: ce stage lui permet de conforter son intérêt pour la médecine de famille.

Reste à changer les mentalités. «Malgré une prise de conscience tardive, l’image du médecin de campagne qui trime 100 heures par semaine et que l’on dérangeait pour des urgences a vécu. Aujourd’hui, on préfère consulter les urgences sans rendez-vous pour des bagatelles et ce phénomène est renforcé par la pénurie de médecin de premier recours», relève Nicolas Blondel.

Actuellement, 90% des patients sont traités par le médecin de famille sans passer par le spécialiste ou l’hôpital. C’est un rempart contre l’augmentation des coûts de la santé, plaide l’interniste fribourgeois. Paradoxalement, alors que la médecine de pointe se développe, ce sont les troubles anxieux et le stress qui augmentent le plus, surtout dans les cabinets en ville ou aux urgences. Or les patients ont besoin d’un généraliste et c’est aussi dans l’intérêt de l’hôpital.»

Pas de garantie à terme

«Le financement n’est pas homogène mais presque tous les cantons jouent le jeu. Je dirais que leur sensibilité au problème dépend de la réceptivité des ministres cantonaux de la santé», relève François Héritier, vice-président de «Médecins de famille suisses».

Le gros souci, c’est le manque de garanties à terme. «Ces programmes en cabinet ne devraient pas être inclus dans le nouveau système de structure tarifaire qui doit être introduit dans toute la Suisse en 2012.» Si tel conseiller d’Etat n’est pas réélu, il n’est pas sûr que son successeur se montre aussi compréhensif et généreux.

Les employeurs, eux, ont intérêt à former la relève afin de transmettre leur savoir… et de remettre leur cabinet quand sonne la retraite. Bruce Brinkley ne ménage pas ses efforts. «C’est en médecine générale qu’on rencontre le plus de patients, le plus d’autres professionnels avec qui on interagit. Il y a des situations difficiles mais aussi plus légères. Moi, je le referais sans autre et j’ai envie que d’autres connaissent les mêmes joies.»

Certaines facultés de médecine ont installé un numerus clausus à 1000 inscriptions par année, alors qu’il en faudrait 1200, selon Jacques de Haller, président de la Fédération des médecins suisses (FMH).

La Suisse ne produit que 700 médecins par an, alors qu’il en faudrait au moins 1200, selon le ministre de la Santé Didier Burkhalter.

En 2010 la Suisse recensait 30’273 médecins (10’843 femmes et 19’430 hommes); 24% d’entre eux étaient titulaires d’un diplôme étranger.

La moyenne d’âge des médecins de famille atteint 57 ans. D’ici 2016, près de la moitié des actifs actuels seront à la retraite et près de 75% jusqu’en 2021.

La part de la médecine de famille ne représente que 7% du total des frais de santé en Suisse.

Selon Pierre-Yves Maillard, président de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé de 2006 à 2009, le nombre de patients traités en ambulatoire par les hôpitaux a cru de 13,4%. Ce transfert pourrait atteindre 50% d’ici 2013.

Jacques de Haller, président de la FMH, explique cela par une baisse de disponibilité (gardes) et par la baisse du nombre de médecins de famille.

Bruce Brinkley, cofondateur du Cursus romand de médecine générale, affirme que «le ‘boom’ de l’ambulatoire hospitalier fait partie d’une stratégie commerciale des hôpitaux» qui appliquent des tarifs «ambulatoires» en profitant d’une infrastructure «sponsorisée» par l’Etat. Le généraliste, lui, «est formé pour travailler efficacement dans un environnement à ‘basse technicité’.»

Nicolas Blondel, spécialiste en médecine interne générale à l’Hôpital cantonal de Fribourg, concède que «la surconsommation des urgences explose» mais qu’elle relève d’une population plutôt précaire qui n’a pas de médecin de famille et d’une clientèle plus exigeante et plus pressée.

Initiative populaire déposée par l’association Médecins de famille en octobre 2010 avec plus de 200’000 signatures.

Le 31 mars 2011 à Berne, les initiants sont entrés en campagne en lançant un «tour de Suisse en faveur de la médecine de famille» avec un bus spécialement aménagé pour cette opération grand public.

Le 6 avril 2011, le gouvernement a envoyé un contre-projet en consultation, lequel inscrit la médecine de famille dans un réseau pluridisciplinaire de médecine de base, comme les infirmières à domicile.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision