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Comment garantir les retraites de la prochaine génération

Les réformes du système des retraites s’enchaînent sans répit

Keystone / Christof Schuerpf

La Suisse n'a pas fini de débattre de son système des retraites. La révision de l'assurance-vieillesse soumise au peuple ce dimanche n'était qu'un premier pas. Elle sera suivie d'une réforme de la prévoyance professionnelle. L'égalité hommes-femmes reste l'un des enjeux majeurs.

La votation de ce dimanche sur l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) ne marque pas la fin du débat sur les retraites, bien au contraire. L’ensemble du systèmeLien externe doit être réformé pour maintenir le niveau des rentes sur le long terme et atténuer les inégalités. Car le montant de la pension perçue à la retraite ne dépend pas uniquement de l’AVS (1er pilier), mais également de la prévoyance professionnelle (2e pilier) et de la prévoyance privée (3e pilier). L’assurance-vieillesse est censée garantir le minimum vital, la prévoyance professionnelle (LPP) maintenir le niveau de vie antérieur et le 3e pilier couvrir les besoins individuels supplémentaires.

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Même si leur fonctionnement diffère, l’AVS et la LPP sont toutes deux affectées par la hausse de l’espérance de vie. La diminution du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités menace l’équilibre financier du 1er et du 2e pilier. La prévoyance professionnelle a aussi souffert ces dernières années de la faiblesse des taux d’intérêt, qui plombe le rendement des placements des caisses de pension.

Baisser les rentes

Après le rejet par le peuple d’une première révision englobant assurance-vieillesse et LPP en 2017, les projets ont été remaniés séparément. AVS21 est le premier à avoir abouti, mais une réforme de la LPP est actuellement aux mains du Parlement. Nommée «LPP21»Lien externe, elle prévoit une diminution du taux qui permet de convertir en rente le capital accumulé au fil des années.

Le montant des pensions va donc baisser, alors que les cotisations (payées à parts égales par les employés et les employeurs) resteront inchangées. Pour atténuer les effets de cette mesure sur la génération transitoire, qui prendra sa retraite juste après l’entrée en vigueur de LPP21, la réforme veut compenser la perte de rente par un supplément mensuel.

Le nouveau projet prévoit également d’abaisser le montant du salaire minimal sur lequel sont prélevées les cotisations (déduction de coordination), ce qui devrait permettre aux individus à bas revenu de participer davantage. Une adaptation qui profiterait spécialement aux femmes, car celles-ci cotisent moins dans la prévoyance professionnelle et perçoivent à leur retraite des montants bien inférieurs à ceux des hommes.

Inégalités considérables

En 2020, les retraitées ont touché des rentes annuelles moyennes plus basses de 34% que leurs homologues masculins, révèle un nouveau rapportLien externe du gouvernement. Un déséquilibre qui s’observe essentiellement dans le 2e pilier, car seules les personnes salariées avec un certain niveau de revenu ont l’obligation de cotiser, alors que tout le monde doit participer au financement de l’AVS. En 2020, 70% des hommes percevaient une rente LPP contre seulement 49% des femmes. Et parmi les bénéficiaires, les femmes touchaient un montant inférieur de 43%.

Contenu externe

«Lorsque l’activité lucrative est interrompue ou exercée à temps partiel, l’accumulation du capital de retraite est ralentie», souligne Brenda Duruz-McEvoyLien externe, responsable de la politique sociale au Centre patronal. L’experte en prévoyance relève tout de même que les femmes célibataires disposent déjà d’un niveau de rentes similaire à celui des hommes célibataires. «Pour l’anecdote, jusqu’en 1995, les femmes mariées pouvaient retirer l’intégralité de leur épargne car on estimait que la prévoyance du mari suffisait», indique Brenda Duruz-McEvoy.

Aux yeux de Carola TogniLien externe, professeure à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne, l’existence d’un revenu minimum pour pouvoir cotiser à la LPP limite tout particulièrement l’affiliation des femmes: «Elles sont surreprésentées parmi les bas, voir les très bas revenus, en raison des temps partiels, des inégalités de salaires et de la faible valorisation salariale des secteurs d’emploi fortement féminisés».

Si le Centre patronal est favorable à l’abandon total de la déduction de coordination afin de renforcer l’épargne dans le 2e pilier, il souhaite maintenir une limite de revenu minimale pour s’affilier à la LPP. «Afin d’éviter les frais administratifs démesurés, un seuil d’entrée doit être conservé, mais il doit prendre en compte tous les revenus du salarié y compris ceux acquis auprès d’autres employeurs», précise Brenda Duruz-McEvoy.

Agir sur d’autres niveaux

Abaisser simplement la déduction de coordination, comme le prévoit la réforme du 2e pilier, ne sera pas suffisant, estime toutefois Carola Togni. «Au niveau des prestations, la LPP répercute et amplifie les inégalités du marché de l’emploi sans mécanismes de compensation, contrairement à l’AVS qui prévoit certaines mesures comme le bonus éducatif ou la répartition de la rente entre époux», explique la professeure. Selon elle, le risque est que davantage de femmes cotisent au 2e pilier, sans que cela ne les sorte de la pauvreté à l’âge de la retraite.

Carola Togni pense que les réformes en cours du 1er et du 2e pilier vont amplifier les inégalités, en particulier pour les femmes des classes moyennes et celles avec des bas salaires ou qui sont sans revenu. «D’autres mesures permettraient d’améliorer le financement des retraites, ajoute-t-elle, comme une augmentation des salaires, en particulier des bas salaires féminins.»

Pour Brenda Duruz-McEvoy, soutenir la participation des femmes au marché du travail est prioritaire, tout en laissant la liberté à chaque famille de s’organiser comme elle l’entend. «Il faut abandonner les trop nombreuses incitations contraires à l’intérêt de la femme, de la société et de l’économie, affirme l’experte en prévoyance. On peut nommer la fiscalité excessive sur le deuxième revenu, les subventions de primes d’assurance-maladie mal calibrées ou encore les difficultés liées aux crèches.»

Le projet de la discorde

La révision de la LPP fait actuellement l’objet d’un débat particulièrement conflictuel au Parlement. Les élues et les élus sont en désaccord sur les compensations à accorder à la génération transitoire. La droite veut restreindre le cercle des bénéficiaires et la durée des mesures, ce qui pénaliserait les femmes et les bas revenus, dénonce la gauche. Le projet a été renvoyé en commission pour évaluer plus précisément les coûts des différents scénarios.

Mais le résultat de la votation populaire sur AVS21 devrait encore amplifier les tensions entre les deux camps, car la hausse de l’âge de la retraite des femmes est également un élément central de la réforme de la LPP. La gauche exige des mesures fortes dans le 2e pilier pour compenser les inégalités. Mais la droite, majoritaire au Parlement, veut éviter les modifications trop coûteuses et préfère ajuster de façon modérée le fonctionnement de la prévoyance professionnelle. De part et d’autre ont déjà fusé des menaces de lancer un référendum ou de geler durablement le projet.

>> Notre compte-rendu sur l’acceptation de justesse de la réforme de l’AVS:

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Edité par Samuel Jaberg

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