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Liliana Lazar: Le français m’a appris à vivre et à être

Liliana Lazar ou la découverte d'une réalité différente grâce au français. DR

Elle a quitté son pays natal, la Roumanie, après la chute de Ceausescu, et s’est installée en France en 1996. A la suite de ses études de lettres, elle a exercé le métier de traductrice avant de devenir romancière. Le français selon… Liliana Lazar.

Au téléphone, sa voix est joyeuse, soutenue par des rires qui arrivent en saccades et par une tonalité mélodieuse, un peu à l’italienne. Roumaine, Liliana Lazar, 38 ans, vit aujourd’hui à Gap. C’est là qu’elle a écrit «Terre des affranchis», son premier roman paru en 2009 chez Gaïa, lauréat de plusieurs prix (déjà!), dont le Prix des cinq continents qui lui sera remis le 22 octobre, à Montreux, à l’occasion du XIIIe sommet de la Francophonie.

swissinfo.ch: Vous souvenez-vous du premier manuel scolaire avec lequel vous avez appris le français?

Liliana Lazar: Oui, c’était un manuel en noir et blanc, avec des petits textes sur le socialisme. A l’époque, la Roumanie était sous dictature communiste, j’étais au collège… ça remonte à très loin tout ça. Je me souviens, toutefois, de ces textes qui portaient sur les ouvriers et les pays en voie de développement. Mais ce qui m’est resté surtout, ce sont les premiers mots appris en français: «Bonjour camarade professeur!» Salutation obligatoire.

swissinfo.ch: Quelqu’un -parent, professeur, auteur- a-t-il marqué à jamais votre relation à la langue française?

L .L.: C’est mon prof, une femme passionnée, qui m’a transmis l’amour du français et l’envie d’aller toujours plus loin dans la recherche. C’est peut-être sa passion qui a renforcé mon désir de connaissance. Il faut dire qu’il y avait au départ de la curiosité chez moi. Mais bon, elle a été bien exploitée, car mon prof me prêtait beaucoup de livres. Je les lisais, estimant que les manuels scolaires étaient insuffisants.

Vous savez, en Roumanie le français n’est pas courant. Il fut un temps où il était parlé par l’élite, comme dans la Russie tsariste. Mais aujourd’hui, les gens ne le maîtrisent pas vraiment. On entend souvent dire que beaucoup de Roumains sont francophiles ou francophones. Oui, si l’on considère que beaucoup d’entre eux sont encore amoureux du français.

swissinfo.ch: Quelle place tiennent chez vous les différentes langues que vous pratiquez?

L.L.: Le roumain, c’est ma langue affective, celle de mon enfance, celle de la vérité aussi. Quant au français, il m’a ouvert l’esprit, si je puis dire, et m’a appris à vivre et à être. Quand j’ai commencé à lire en français, j’ai compris qu’il existait une autre réalité que celle vécue en Roumanie. Cela m’a donné envie d’aller voir ailleurs.

swissinfo.ch: Une citation de Cioran: «On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre». D’accord, pas d’accord?

L.L.: Je dirais plutôt que c’est la langue qui nous habite. De toute façon, tout passe par elle. Moi, je parlais déjà le français quand je suis arrivée en France. Cela m’a permis de mieux apprivoiser ma nouvelle vie. Certaines références m’échappaient au début. Aujourd’hui, je me répète ce qu’on m’a dit une fois lorsque tu auras appris à réfléchir et à rêver en français, tu le maîtriseras. Autrement dit, tu l’habiteras… ou il t’habitera, je ne sais pas, c’est selon, les deux sont possibles.

swissinfo.ch: La langue française a une spécificité: l’Académie française. Un club de vieillards inutiles ou les gardiens du temple?

L.L .: (Rires). Je ne me permettrais pas de dire que ce sont des vieillards inutiles, car après tout ces gens-là ont de l’expérience. Ils veillent par ailleurs à garder le temple, mais bon, que voulez-vous, ce sont parfois des gardiens trop stricts. On peut toujours discuter de leur degré de tolérance et se demander si par moments ils n’en font pas trop, s’ils ne devraient pas se montrer plus généreux en fermant de temps en temps les yeux sur ce qu’ils considèrent comme des erreurs ou des dérives.

swissinfo.ch: Malgré l’Académie, le français se métisse et change, pour le meilleur et pour le pire… Votre rapport à cette évolution? Amusée, attentive, agacée?

L.L. : Plutôt amusée. Si on réunit certaines expressions qui nous viennent du Québec, de Wallonie, d’Afrique ou d’ailleurs, on constate qu’elles n’ont pas toutes leur place dans le dictionnaire des Académiciens. Mais cela n’empêche pas qu’elles soient un enrichissement pour le français, même si elles apportent à cette langue leur part, parfois drôle, de folklore.

Ceci dit, je trouve formidable que des gens continuent à parler LEUR français loin de la France et de ses «gardiens du temple». Mais je ne sais pas si je suis vraiment bien placée pour répondre à votre question, car moi-même j’ai appris un français très classique, au point d’utiliser des expressions aujourd’hui oubliées. Au début de mon séjour en France, on me lançait souvent: «Mais ça ne se dit pas comme ça ici . Je répondais: « Si, ça se dit, vérifiez dans un dictionnaire». Et c’était moi qui avais raison.

swissinfo.ch: Cette année, c’est le 40e anniversaire de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel regard portez-vous sur cette institution?

L.L .: A mes yeux, elle est indispensable, d’abord parce qu’elle empêche l’anglais de prendre toute la place dans le monde. Ensuite parce qu’elle apporte un complément à d’autres organisations et à leurs sommets. Nous avons les G8 et les G20, entre autres, alors pourquoi pas les «rencontres» de la Francophonie. De toute manière, celle-ci ne s’occupe pas uniquement de la langue, sa mission va au-delà, touchant les domaines social, politique, éducatif… Je trouve que la tenue du sommet de la Francophonie dans un pays différent chaque année procure aux personnes réunies une occasion de se parler autrement que par téléphone.

swissinfo.ch: Pour conclure, une expression de votre région que vous appréciez particulièrement?

L.L.: Ah ! Vous me posez une colle. Je vis à Gap, il y a là une foule d’expressions occitanes, mais aucune d’elles ne me vient à l’esprit maintenant. En revanche, j’en ai une, roumaine celle-là. Chez moi, on dit toujours à une personne pressée: «Ne te crèves pas, les Turcs ne vont pas débarquer».

La langue qu’on parle, un bout d’âme, un morceau de soi, ou un simple outil de communication? Dans la perspective du Sommet de la Francophonie à Montreux, du 22 au 24 octobre 2010, swissinfo a mené l’enquête en huit questions.

En bref. Auteure roumaine d’expression française, née en Roumanie en 1972.

Etudes. Après une jeunesse passée dans la forêt de Slobozia où son père était garde forestier, elle entre à l’Université où elle étudie la littérature française.

Exil. Elle quitte la Roumanie, après la chute de Ceausescu, pour s’installer dans le sud de la France où elle vit aujourd’hui avec son mari et ses deux enfants.

Ecriture. C’est Slobozia qui servira de décor à son premier roman «Terre des affranchis» (éditions Gaïa, 2009), une œuvre marquée par la persistance des légendes populaires, le poids de la religion orthodoxe et la présence obsédante d’une nature toujours sauvage.

Anniversaire. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) célèbre cette année son 40e anniversaire.

Chiffres. L’OIF regroupe 70 États et gouvernements (dont 14 observateurs) répartis sur les cinq continents. Dans le monde, près de 200 millions de locuteurs parlent français.

Culture et politique. Parmi ses missions principales figurent la promotion de la langue française et la diversité culturelle et linguistique, mais aussi la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme.

Montreux. La Suisse, membre de l’OIF depuis 1989, accueille cette année le 13e sommet de la Francophonie. Il se tiendra du 20 au 24 octobre 2010 à Montreux, dans le canton de Vaud.

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