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Loin ou là-haut, au festival Visions du Réel

Les sables bitumineux vus d'hélicoptère par Peter Mettler. vdr

Quand le Canado-Suisse Peter Mettler monte en hélicoptère pour filmer les sables bitumineux de l'Alberta, Samantha Granger, autre Suisse, capte les sons jusqu'au Japon en bus VW. Reflets du festival organisé à Nyon au travers de films en mouvement.

Dans le Nord du Canada est situé l’enfer, nous montre Mettler dans «Petropolis – Aerial perspectives on the Alberta Tar sands», en compétition internationale. Ici, dans l’Alberta, la forêt qui a vécu et s’est métamorphosée dans le sol pendant 200 millions d’années fait place à la fièvre de l’or noir tiré des sables bitumineux.

Ici, on balafre le sol de grandes mines à ciel ouvert ou on lui injecte de l’eau bouillante. Le liquide obtenu est raffiné au Texas. Ici, on a déjà retiré autant de terre que pour la muraille de Chine, le Canal de Suez, la pyramide de Kheops et les grands barrages de la planète confondus.

Ici, les travaux produisent autant de CO2 que l’ensemble des voitures canadiennes. Un jour, une surface grande comme l’Angleterre sera à vif. Ici, aucune étude d’impact sérieuse n’a été entreprise, et les médias sont tenus à l’écart.

En contact avec Greenpeace Canada, alors qu’il préparait un film consacré aux nuages, Peter Mettler a décidé de se confronter à cet enfer. Des nuages au nuage toxique, le lien allait de soi. Mais impossible de filmer à même le sol, vu les interdictions.

«Dans mon travail, j’ai l’habitude de choisir les moyens et la forme en fonction du sujet traité. Ici, l’hélicoptère s’imposait» pour ce film qui est moins une œuvre de combat qu’une invitation à la réflexion et au dialogue, dit aussi Peter Mettler.

Jamais vues

L’hélicoptère donc, pour des images jamais vues. Mieux ou pire: «Petropolis – Aerial perspectives on the Alberta Tar sands» est un choc esthétique. Sur fond d’un long et lourd étirement musical, on y voit des toiles abstraites brunâtres, grises, jaunes, irisées, lardées de routes où rampent de voraces pelleteuses et des camions monstrueux venus s’empiffrer.

L’efficacité gagne à tous les coups. Essaims d’insectes mécaniques, vomissements liquides, bataillons de cheminées exhalant vapeurs et complexes soufrés indéfinis, ces vues cavalières, que Mettler a filmé en moins de quatre heures, donnent lieu à des plans inoubliables. Des images qui piquent davantage l’émotion et les associations d’idées que la raison.

Avec le risque de faire passer le propos à l’arrière-plan? «Je voulais inviter chacun à se confronter à cette réalité. Il fallait donc trouver un moyen d’y amener, mais sans rendre les choses confortables, explique Peter Mettler. J’espère que ce film poussera les gens à découvrir la complexité de cette situation.»

Grain de la route

Samantha Granger présente à Nyon un autre film du mouvement, sélectionné dans la section Regard neufs, dédiée aux nouveaux talents les plus inventifs.

Entre Genève et le Japon, avec le preneur de son Rudy Decelière, elle a cueilli le grain de la route. 17’000 km et quatre mois en bus VW, avant que celui-ci ne lâche, à travers Allemagne, Pologne, Russie, Kazakhstan, Mongolie, Sibérie, Corée.

23’000 km ont été nécessaires au total pour ramener de la route une dimension souvent omise dans les journaux de bords: le son. Les sons, cueillis pour être offerts aux pensionnaires d’un centre japonais pour aveugles.

«Je voulais sensibiliser à l’univers sonore, explique la cinéaste suisse. Nous sommes canardés d’images, emprisonnés par le monde des apparences. Je voulais juste faire un film qui parle des sons.»

Paysages intérieurs

Avec «Carnets d’un fragment sonore», Samantha Granger s’autorise la lenteur, les images méditatives, les plans fixes sur des visages où l’on devine des paysages intérieurs illuminés par les sons de la route proposés aux oreilles de passage.

Ponctué de commentaires où la cinéaste confie ses peurs et ses impossibilités, le film tire par la manche avec délicatesse. Samantha Granger filme des aubes magnifiques, des déserts oppressants, l’ombre d’une éolienne qui fait surgir Don Quichotte.

Et continuellement, la variété des sons que souligne parfois l’image. Des sons qui entrent en décalage ou en résonance avec elle. Il arrive que l’image devienne une sorte de voix off plaçant le contexte, l’enjeu résidant dans ce qui est entendu.

Magie des sons

Samantha Granger a songé à cette aventure dans le métro de Tokyo, en constatant combien la cueillette au micro semblait fasciner les passants. «Une nuit, j’ai eu cette image – devenue la métaphore du film – de Rudy, à l’aube sur une barque, qui pêchait des sons.»

Au terme d’une aventure exigeante, le cinéaste suisse présente «un voyage à travers le monde, par les sons. C’est l’histoire de sons qui se promènent. J’ai fait ce film avec mon instinct, mais à l’arrivée, il est proche de mon intention de départ», assure-t-elle.

A la suivre confier ses difficultés et ses craintes, on pourrait être tenté de conclure que voyager ne rime à rien. Ce qu’elle réfute. «Voyager m’offre une autre manière de percevoir le monde et d’être face à l’autre. Le voyage créée quelque chose en moi que j’aime beaucoup.»

Elle admet aussi l’illusion du voyage. «En faisant un tel voyage, on pense qu’on arrivera à changer des défauts, une manière d’être. Mais forcément, ce n’est pas aussi facile, on reste soi-même avec nos peurs, notre passé qui nous suit. Parfois, dans l’immensité du désert, quand le vent frappe contre votre bus, de vieilles histoires reviennent.»

Pierre-François Besson, Nyon, swissinfo.ch

Dates. La 15e édition de Visions du Réel à Nyon se déroule du 23 au 29 avril avec palmarès au soir du mercredi 29.

Œuvres. Plus de 150 films sont à découvrir dont 20 (de 16 pays) en compétition internationale. Jury international: Molly Dineen, Sally Berger, Fernand Melgar et Hollman Morris.

Catégories. Le festival se décline en dix sections et deux ateliers consacrés aux Libanais Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige ainsi qu’au Kazakhe Sergey Dvortsevoy.

Spécial. Sont programmées des soirées autour du double anniversaire du festival, des dix ans du réseau Eurodoc, des 20 ans de la chute du mur de Berlin, de la création documentaire sur internet, etc.

Canado-Suisse né Outre-Atlantique en 1958, Peter Mettler est un poids lourd du cinéma canadien anglophone qui a un pied en Suisse, l’autre dans le pays de sa naissance. Sa filmographie compte bientôt une quinzaine de films dont plusieurs ont été montrés et primés à Visions du Réel.

On dénombre onze films dans la filmographie de Samantha Granger. Née en 1968, elle a suivi les cours de l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Genève. Elle est aussi auteure et metteur en scène.

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