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Markus Brüderlin, passeur ès beaux-arts

Markus Brüderlin devant un autoportrait de Ferdinand Hodler, datant de 1916, exposé dans le cadre de l'exposition «Swiss Made – précision et folie». swissinfo.ch

Après Vienne et Bâle, l'historien de l'art Markus Brüderlin a pris ses quartiers à Wolfsburg, en Allemagne, en tant que directeur du Musée des Beaux-Arts.

Depuis ce plat pays qui lui fait regretter les montagnes, il jette un regard mi-tendre mi-excédé sur la Suisse.

«J’aime beaucoup les montagnes», dit Markus Brüderlin. Depuis une année et demie, le Bâlois vit à Berlin et dirige le Musée des Beaux-Arts de Wolfsburg, petite ville de Basse-Saxe.

«Tout est tellement plat ici, le vent souffle sans cesse, poursuit-il. Le climat est très différent. Même l’herbe est différente», lâche-t-il presque avec désespoir en regardant par la fenêtre de son vaste bureau. «J’ai dû m’y habituer.»

Le sol est parsemé d’esquisses qui servent à préparer la prochaine exposition, axée sur le Japon. Sur le bureau, des piles de papiers et de livres témoignent du travail en cours, tout comme les tableaux accrochés au mur.

Markus Brüderlin a fini par s’habituer à Wolfsburg. Mais il préfère habiter à Berlin, «où la culture domine la nature, dit-il. Berlin est actuellement le nombril du monde artistique. Il est important d’y être pour garder ses contacts internationaux.» Deux fois par semaine, il fait le voyage à Wolfsburg, à une heure de train de la capitale allemande.

Concepts bouleversés



Markus Brüderlin est né à Bâle et y a grandi, «dans une famille tournée vers les arts», souligne-t-il, tout comme l’est de toute façon la ville au bord du Rhin. «A Bâle, on reçoit l’art au berceau», affirme-t-il, faisant allusion au Musée des Beaux-Arts.

L’événement qui va déterminer la carrière du jeune homme a cependant lieu hors de Bâle. C’est en effet à la Documenta de Kassel, en 1977, que Markus Brüderlin a pour la première fois l’intuition de son rôle de «passeur».

«L’explosion du concept d’histoire de l’art hors de son cadre traditionnel m’a fasciné et totalement enthousiasmé», se souvient-il. Il a encore en mémoire certaines des œuvres présentées cette année-là à Kassel, qui avaient un lien très fort avec la nature.

Markus Brüderlin évoque notamment une installation de l’Américain Markus de Maria, un artiste conceptuel de la mouvance Land Art. Son œuvre consistait à avoir enterré une barre de fer à un kilomètre de profondeur dans le sol. «Il s’agissait de thématiser l’invisible», analyse Markus Brüderlin.

Le jeune homme abandonne alors son idée première, à savoir étudier les sciences naturelles, et entame un cursus d’histoire de l’art, de philosophie et de culture germanique, à Vienne.

C’est l’époque où l’Allemand Joseph Beuys, artiste, pédagogue, historien et théoricien de l’art, donne des conférences à l’Université. Le jeune Markus Brüderlin les suit avec assiduité. «Un nouveau monde s’ouvrait à moi, un monde que l’on n’avait jusque là pas encore perçu comme tel à Bâle.»

Entre l’art et la transmission de l’art



Lorsqu’il était étudiant, Markus Brüderlin se voulait aussi artiste. Aujourd’hui, la question d’un destin manqué dans cette voie-là n’en est plus une: «Etre un artiste, c’est une décision existentielle fondamentale, une décision difficile, fantastique et non révocable. J’ai préféré la transmission de l’art.»

C’est aussi à Vienne que Markus Brüderlin obtient son doctorat, avec une thèse sur «L’art abstrait au 20e siècle». Il travaille ensuite comme essayiste dans le domaine de l’art et comme commissaire d’expositions indépendant.

«Dans les années 80, il y avait à Vienne une scène artistique jeune et dynamique, qui se réveillait de façon spectaculaire de la somnolence de l’après-guerre. Elle se plaçait parmi les meilleures au niveau international», s’enflamme le Bâlois. Lui-même y participe alors activement.

Entre 1994 et 1996, Markus Brüderlin est engagé comme curateur par le Ministère fédéral autrichien pour l’Enseignement et les Arts. Il est chargé de distribuer les fonds d’encouragement. «Moi, citoyen suisse, je répartissais une partie des impôts autrichiens», constate-t-il, amusé. Il avait chaque année 4 millions de francs à disposition pour soutenir des projets innovants.

Zaha Hadid à Wolfsburg



Markus Brüderlin retourne à Bâle en 1997. Il y est appelé en tant que conservateur principal de la Fondation Beyeler, dont les bâtiments, dessinés par l’architecte Renzo Piano, sont alors en construction.

C’est là qu’il reçoit la demande du Musée des Beaux-Arts de Wolfsburg. Il y prendra ses fonctions de directeur début 2006. Depuis, il a déjà fait sensation avec plusieurs de ses expositions. La plus récente «Swiss Made – Précision et folie», couvre 150 ans d’art suisse.

Bien que ville industrielle de province, Wolfsburg offre un programme culturel remarquable, dit Markus Brüderlin. Zaha Hadid, la grande architecte irakienne, y a ainsi réalisé un bâtiment futuriste dédié à l’art, tout près de la gare.

Zaha Hadid, dont les Bâlois viennent de rejeter le projet de «Stadtcasino» à Bâle, ce qui fait encore enrager l’expatrié. «J’ai été horrifié en apprenant le résultat de la votation, dit-il. Bâle revient 30 ans en arrière.»

Dans ces cas-là, songe tout haut Markus Brüderlin, comme pour faire écho à Paul Nizon qui avait décrit l’étroitesse helvétique dans les années 1970, «malgré le mal du pays et le manque des montagnes, je suis à nouveau heureux d’être à Wolfsburg, où nous avons une construction de Zaha Hadid. Le bâtiment est bien là et il resplendit.»

swissinfo, Susanne Schanda à Wolfsburg
(Traduction de l’allemand et adaptation: Ariane Gigon Bormann)

Markus Brüderlin a conçu l’exposition «Swiss Made – précision et folie» (titre original: «Swiss Made – Präzision und Wahnsinn») au Musée des Beaux-Arts de Wolfsburg. Elle est ouverte jusqu’au 21 octobre et présente des œuvres d’art suisses, de Hodler à Hirschhorn.

Le 22 septembre 2007 s’ouvrira la prochaine exposition conçue par Markus Brüderlin, «Japan und der Westen – Die erfüllte Leere» (littéralement «Le Japon et l’Occident – le vide comblé»).

Naissance en 1958 à Bâle.

Etudes à Vienne.

Entre 1994 et 1996, curateur pour le Ministère autrichien pour l’enseignement et l’art.

Fondateur du «Kunstraum Wien» et du magazine «Springer».

1997-2005: conservateur principal de la Fondation Beyeler, à Riehen.

Depuis janvier 2006: directeur du Musée des Beaux-Arts de Wolfsburg, en Allemagne.

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