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Michel Bühler, de la lettre au réquisitoire

«Lettre à Menétrey», détail de la couverture. (Campiche) swissinfo.ch

Bühler le chanteur, Bühler l’écrivain. C’est ce dernier qui se manifeste cet automne avec un ouvrage fort: «Lettre à Menétrey».

A la fois un hommage à un ami, un journal intime et un cri de colère contre un monde à la dérive.

Il y a d’abord l’ami Menétrey, décédé il y a deux ans. Vous ne le connaissiez pas, moi non plus, mais Bühler, si. Et à l’entendre en parler, pardon, à le lire quand il en parle, ce Menétrey-là était un sacré personnage. Bon vivant, grande gueule… «Tonitruant», dit Bühler.

Alors cette «Lettre», c’est un signe à un ami parti, une façon de tenter de s’accommoder avec sa mort en évoquant les souvenirs, les moments partagés, ici et autour du monde. Une façon de «faire le deuil», comme disent les psys et ma concierge.

C’est une conversation, aussi, car dans une lettre, on dit «tu». On s’adresse à l’autre, on l’interpelle. Mais à l’arrivée, on le sait bien, et Michel Bühler également, cette conversation est un monologue.

Comme celui qu’on tisse dans un journal intime. Le nombrilisme en moins. Apparemment en prenant ses souvenirs dans l’ordre où ils arrivent, c’est-à-dire pêle-mêle, Michel Bühler mélange le passé et le présent, l’ici et l’ailleurs.

Ici, c’est-à-dire l’Auberson où il vit, Paris où il séjourne régulièrement, ainsi que Verbier. Et l’ailleurs, le Hoggar, le Sénégal, le Midi de la France, Israël et la Palestine, le Québec, bien d’autres endroits encore, puisque Bühler – Menétrey aussi manifestement – est un voyageur impénitent.

Et les paysages, les ambiances lointaines, les rencontres de voyage, l’auteur vaudois sait les dire, avec les couleurs et les parfums, que ce soit en chanson ou en prose.

Le bonheur et le cafard. Michel Bühler aborde les deux: «La vie… Ses grands bonheurs, et ses merdes noires…» écrit-il avec un sens certain du condensé.

Nostalgie et colère

«Lettre à Menétrey» est un livre nostalgique. Nostalgie d’un ami disparu, nostalgie du temps qui file, constat des souvenirs qui s’amassent. Et nostalgie d’un temps et d’un monde résolument passés.

Cet aspect-là des choses se transforme, chez Michel Bühler, en vraie colère. Colère contre un monde où les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Colère contre un pays, la Suisse, qui se sclérose, rejette de plus en plus l’étranger et vote UDC.

Colère contre «la pensée fast-food américaine». Colère contre les geôliers de Guantanamo. Colère contre la mainmise israélienne sur les territoires occupés. Et la liste pourrait être longue.

«Qu’on me montre un endroit du monde où le libéralisme a apporté le bonheur à tous, sans rabaisser personne». Et Bühler d’admettre toutefois qu’il n’est pas question de «retourner en arrière, dans les années sombres du stalinisme».

Alors il interroge: «Où aller, que faire?» Et répond: «D’abord cesser de tout avaler». Car tout avaler, c’est le meilleur moyen de penser que les choses sont «inéluctables», et de ce mot-là, l’écrivain n’en veut pas.

«Je m’énerve. Pas toi?»

Le présent le hérisse. Bühler l’homme de gauche, Bühler l’ami des humains, se cogne quotidiennement à une société qui foule aux pieds tous ses idéaux, et par rapport à laquelle il se sent de plus en plus étranger.

Il attaque, dégomme, force le trait, joue parfois de la mauvaise foi (sa description d’Expo.02), de la simplification hâtive et d’un certain sentimentalisme (son souvenir d’un socialisme du terroir).

Un problème d’âge, des symptômes qui vont généralement avec: regret du passé, incapacité à s’adapter au présent?

Lui-même se pose d’ailleurs la question: «Et la distance avec laquelle je considère tout ce qui est aux yeux de la majorité, ‘moderne’, n’est-elle pas la marque classique d’un esprit vieillissant, tourné vers le passé»?

Et puis, force est de constater que Michel Bühler met le doigt là où ça démange. Qu’il s’agisse de grands problèmes internationaux, ou de «détails» régionaux. Ainsi quand il évoque la destinée de la gare de Vallorbe, transformée en no man’s land pour cause de manque de rentabilité…

«Je m’énerve. Pas toi?» écrit-il. Si si, Michel, on s’énerve aussi. Sans être sûr que tout allait mieux du temps de la guerre du Vietnam ou de l’initiative Schwarzenbach, qui déjà visait à expulser les étrangers hors des frontières suisses.

Mais il est vrai que le cumul des horreurs et des scandales devient vertigineux. Le mépris et l’arrogance, omniprésents. L’égocentrisme, normalisé. La discrétion des remises en question, stupéfiante. Dans ce contexte de dérive généralisée, le livre de Michel Bühler fait du bien.

Bernard Léchot, swissinfo

«Lettre à Menétrey» est un livre fort, dédié à un ami disparu.
Michel Bühler y évoque le temps qui file et les souvenirs qu’il laisse.
L’occasion pour l’auteur de dénoncer le monde actuel.

– Né en 1945 à Berne, le Vaudois Michel Bühler, après quelques années d’enseignement, se lance dans la chanson dès 1969.

– C’est en 1987 que paraît son premier roman, «La Parole volée», que suivront «Cabarete», «Un notable», et cet automne, «Lettre à Menétrey».

– Au-delà de ses activités artistiques (on pourrait aussi évoquer le théâtre et la comédie musicale), Bühler est en voyageur convaincu et engagé.

– A titre «humanitaire, journalistique ou privé» dans le golfe du Siam, dans le Hoggar, en Israël et dans les Territoires Occupés, au Sénégal, dans de nombreux pays d’Amérique latine, aux USA etc.

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