Des perspectives suisses en 10 langues

Minarets: le monde regarde la Suisse

Dimanche soir, une manifestation de protestation s'est tenue sur la Place fédérale contre l'interdiction des minarets. Reuters

Rarement votation populaire en Suisse aura été aussi largement répercutée et commentée dans la presse étrangère que celle qui a vu peuple et cantons accepter l'interdiction de construire des minarets. Et rarement on aura vu désapprobation aussi générale.

Très largement diffusée dans le monde arabe et musulman, la nouvelle n’en est pas pour autant très commentée. Il est vrai qu’en terre d’Islam, on célèbre ces jours l’Aïd el-Kébir, la Fête du Sacrifice, la plus importante du calendrier. Les réactions pourraient donc venir plus tard.

Reste que dans un premier temps, c’est la surprise qui domine. Plusieurs sites et journaux arabes rappellent les paroles du grand Mufti d’Egypte, Ali Gomaa, qui considère l’interdiction des minarets en Suisse comme «une humiliation». En Arabie Saoudite, Al Ryadh dénonce largement «un pas qui renforce la haine».

Au Liban, le quotidien Assafir titre sur «L’islamophobie, qui a vaincu le pays de la pluralité», tandis que Annahar insiste sur le message du Gouvernement suisse, qui veut «rassurer les musulmans».

Le journal cite également le penseur genevois Tariq Ramadan, pour qui ce résultat est «catastrophique», car «les Suisses ont exprimé une vraie peur, un questionnement profond sur la question de l’islam en Suisse».

Islam Online parle lui de la «confusion» et de la «surprise» qui s’emparent des musulmans de Suisse.

Le site Internet donne la parole à Hicham Abou Maizer, président de la Fédération des organisations musulmanes en Suisse, qui déclare: «nous ne voulons pas qu’on brûle les drapeaux suisses ni qu’on nuise aux intérêts suisses à l’étranger, car ces actes là ne seront ni utiles ni bénéfiques. Mais nous appelons à la sagesse et nous demandons d’observer jusqu’où iront les initiants racistes».

«Défaite de la raison»

«Absurde», titre le quotidien français Libération, pour qui la Suisse a adopté, contre des musulmans dont «la plupart mènent une vie parfaitement respectueuse du droit, une mesure ostensiblement discriminatoire».

«La force absurde du préjugé se vérifie d’autant plus que ce sont les cantons où il y a le moins de musulmans qui ont le plus approuvé la mesure anti-islam réclamée par la droite extrême», ajoute l’éditorialiste.

Le Monde diplomatique online voit quant à lui dans ce résultat «une victoire de l’islamophobie» et «une défaite de la raison».

En France encore, Bernard Kouchner, interrogé sur RTL, s’est dit «un peu scandalisé» par cette «expression d’intolérance». «J’espère que les Suisses reviendront sur cette décision assez vite, a ajouté le ministre des Affaires étrangères. Et de conclure, avec une naïveté feinte: «Est-ce que c’est une offense dans un pays de montagnes qu’il y ait une construction un peu plus élevée ?»

«L’islam a droit de cité s’il se fait discret et transparent; l’islam est toléré s’il n’empiète pas sur l’espace public», écrit Le Soir de Belgique. Pour le quotidien, «il y a gros à parier que si la votation existait en Belgique, une majorité de citoyens se prononceraient contre, eux aussi. Fascistes notoires et néo populistes se faisant fort d’attiser les passions les plus basses».

Et de conclure que «prendre pour cible des tours verticales en s’attaquant, en réalité, aux fidèles qui sont en bas, c’est hypocrite et fallacieux. Et par les temps qui courent, un jeu dangereux».

Les Lumières au panier

A Londres, le Financial Times titre sur cette interdiction des minarets «qui nourrit la peur des représailles». Tandis qu’aux Etats-Unis, le Wall Street Journal estime que cette votation «a mis en évidence le conflit persistant sur l’intégration à la société civile d’une population musulmane européenne en augmentation».

En Allemagne, Die Welt estime carrément que ce résultat «rejette la Suisse au-dessous du niveau des Lumières et de la tolérance que l’Europe a si laborieusement atteinte dans le passé».

A peine plus tendre, l’éditorialiste du Spiegel online évoque les dommages de ce refus pour l’image de la Suisse, «gardienne des droits de l’homme, pays de la Croix-Rouge et des Conventions de Genève […] qui discrimine un seul groupe religieux, les musulmans».

En Autriche, la presse juge que cette votation «a détruit sans raison la paix religieuse».

Plus radical enfin, l’hebdomadaire bosniaque Oslobodjenje rappelle qu’avant la votation, la Commission fédérale contre le racisme avait qualifié cette initiative d’«appel à la haine».

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire se dit «très préoccupée». Selon son président, cette décision risque «d’encourager des sentiments d’exclusion et d’approfondir les clivages» dans nos sociétés. Ce vote «témoigne des craintes au sein de la population suisse – et européenne en général – envers l’intégrisme islamiste», ajoute le communiqué.

L’ONU «étudie la conformité de l’interdiction des minarets avec le droit international».

Indonésie. La Nahdlatul Ulama, principale organisation musulmane, voit «un signe de haine des Suisses vis à vis des musulmans». Le chef de cette organisation appelle cependant les croyants à «ne pas réagir avec excès».

Libye. L’agence Jana parle de «décision raciste» et considère que les affiches de l’UDC montrant une femme voilée et des missiles représentant des minarets ont préparé le terrain.

Kosovo. Peu pratiquants, les quelques 200’000 Kosovars de Suisse se sentent visés, souligne leur ambassadeur Naim Malaj. «C’est comme si l’initiative voulait éveiller chez les Kosovars ou les Albanais en général» un sentiment religieux ‘invisible’ en Suisse», ajoute-t-il.

A ce concert de réprobation et d’inquiétude répond la jubilation des extrêmes droites européennes.

Italie. «Même la patiente Suisse s’est fatiguée de l’expansion de l’immigration et de l’islam, a dit le sénateur Maurizio Gasparri,du parti néo-fasciste Alliance nationale. «En Italie aussi, nous devons continuer la politique de rigueur. Nous en avons pleinement le droit».

De même pour le ministre de la simplification administrative, Roberto Calderoli, membre du parti populiste et xénophobe de la Ligue du Nord: «de la Suisse nous parvient un signal clair: oui aux clochers, non aux minarets».

Son collègue de parti Roberto Castelli, sénateur et vice-ministre des infrastructures, demande. lui, que la croix soit sur le drapeau italien.

Pays-Bas. Cette votation «montre encore une fois que les gouvernements ne veulent pas voir ce que ressentent les gens», clame le député d’extrême-droite néerlandais Geert Wilders, qui promet de demander l’organisation d’un référendum similaire.

Autriche.. Le chef du Parti de la Liberté, Heinz-Christian Strache, a salué «un signal clair contre l’islamisme radical».

Avis partagé par le parti de feu Jörg Haider, qui veut que la loi sur l’aménagement du territoire soit adaptée pour interdire la construction de minarets dans toute l’Autriche.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision