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Mission: sauvegarde de la Désalpe

Keystone

Chants, danses, recettes, dentelles et autres fêtes traditionnelles: la Suisse planche sur un inventaire de son patrimoine culturel immatériel. A sa manière, à la fois décentralisée et participative, explique Diego Gradis, vice-président de la commission suisse pour l'Unesco.

Ce dernier est surtout un homme de terrain. Il préside une ONG qui accompagne les peuples autochtones d’Amérique latine dans leurs efforts pour revitaliser leurs expressions culturelles traditionnelles.

swissinfo: Quel est le sens d’un inventaire du patrimoine immatériel?

Diego Gradis: C’est une mesure de base pour la sauvegarde. Il existe un cas d’école sur lequel l’Unesco a beaucoup travaillé, celui du trafic illicite des biens culturels (convention ratifiée par la Suisse). On s’est tout de suite rendu compte que pour pouvoir bloquer ce trafic illicite, il fallait d’abord savoir quoi bloquer. La situation est semblable pour le patrimoine immatériel: que doit-on sauvegarder?

Mais la sauvegarde n’est pas simplement l’objectif, la liste d’un inventaire. C’est aussi un processus de conscientisation. L’inventaire que nous allons mettre en place vise à valoriser le patrimoine en lui-même et à sensibiliser les porteurs – ceux qui détiennent ce patrimoine, qui l’ont transmis de génération en génération – pour qu’ils se rendent compte de leurs responsabilités.

swissinfo: Concrètement, qu’est-ce qui est en jeu?

D.G.: Cet inventaire est pour la Suisse une obligation contractuelle. Elle a ratifié la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, qui a peu d’exigences pour les Etats-parties, sinon celle d’établir une liste et un inventaire.

Il y aura une liste mondiale du patrimoine immatériel, comme il y a la liste du Patrimoine mondial – avec en Suisse, notamment, les couvents de St-Gall ou de Müstair, la vieille ville de Berne, Lavaux, etc. Pour entrer sur la liste de l’Unesco, un élément du patrimoine immatériel devra être inscrit dans un inventaire national. C’est une condition.

swissinfo: Quels sont les exemples concrets d’éléments qui entreront dans cet inventaire…

D.G.: Des éléments très connus comme le Carnaval de Bâle, par exemple. Ou la Désalpe. Certains savoir-faire aussi, comme le travail du bois ou le travail de la dentelle dans certaines vallées du Haut-Valais.

L’aspect gastronomie est aussi discuté. Pour être inventorié, le patrimoine doit être associé à une communauté. On a parlé du cervelas, mais aucune communauté n’est associée au cervelas. Par contre, certaines recettes particulières détenues par une communauté restreinte pourront en faire partie.

La Convention de l’Unesco évoque les formes d’expression mais aussi les processus de transmission et de sauvegarde qui ont permis la préservation de ce patrimoine jusqu’aujourd’hui. La nature du patrimoine compte, mais aussi le contexte dans lequel il est exprimé. Notamment par le fait et la nécessité qu’une communauté doit s’identifier à ce patrimoine.

swissinfo: A quel stade en est-on de la constitution de cet inventaire?

D.G.: L’obligation contractuelle de la Suisse est en force depuis le 16 octobre. Mais la Suisse avait anticipé, avec un groupe de travail constitué sous l’égide de l’Office fédéral de la culture. Ce groupe de travail réunit porteurs, experts, représentants des cantons et d’ONG, pour définir cet inventaire.

Cet inventaire a récemment été soumis à la Conférence des directeurs cantonaux de la culture, qui doit l’étudier. Dans sa forme définitive, il pourrait être opérationnel mi-2009. Ce qui permettra d’y inscrire les premiers éléments.

swissinfo: «Nous jouons avec le feu», dites-vous. Pourquoi?

D.G.: Il y a des risques – trois surtout. Le premier, c’est le risque de rompre la dynamique du patrimoine vivant, qui est en permanente évolution. Le fait d’inventorier ne doit pas momifier et figer.

Le second risque est celui de la récupération commerciale d’une musique, d’une recette, d’une technique, qui détournerait la finalité du patrimoine vivant. Le patrimoine vivant est un élément de culture, d’expression et d’identification, et non un élément éminemment commercial.

Le troisième risque est celui d’un détournement par le tourisme de la nature d’une forme d’expression culturelle. Nous avons conscience de ces risques. Il ne faut pas jouer avec le feu, mais il faut aussi savoir que si nous n’entamons pas cette démarche claire de sauvegarde, nous serons confrontés à un autre incendie: la disparition annoncée de ce patrimoine immatériel.

swissinfo: Cela dit, il faut de l’argent pour sauvegarder. C’est un problème, non?

D.G.: Et ça va le devenir davantage. Pour le moment, l’option choisie a été d’aller de l’avant et de définir le cadre. Dans un second temps, nous verrons combien cela coûte.

Mais il ne faut pas imaginer des coûts monstrueux, en raison notamment de la participation des détenteurs du patrimoine. Ces porteurs ne travaillent pas sur des bases de rémunération, mais de passion, d’enthousiasme et de responsabilité sociale.

swissinfo: Dans ce processus d’inventaire, la Suisse adopte-elle une approche originale?

D.G.: Elle adopte l’approche suisse – décentralisée, «bottom-up», où la préoccupation est exprimée par les détenteurs, qui demanderont que leur savoir ou les éléments qu’ils détiennent soient inscrits sur une liste cantonale, puis nationale.

Cette particularité répond à l’esprit de la convention, où les porteurs sont au cœur des mécanismes à mettre en place. La Suisse est connue pour accorder à la société civile une place importante par son système de démocratie directe, ce que reflète l’élaboration de cet inventaire.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Le Patrimoine culturel immatériel (PCI) regroupe les traditions et expressions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ainsi que les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.

L’Unesco a adopté la Convention pour la sauvegarde du PCI en 2003. Elle a été ratifiée par plus de 100 pays, et notamment par la Suisse en mars 2008, où elle s’applique depuis le 16 octobre dernier.

Ce texte a donné lieu à la création d’un répertoire électronique pays par pays et à la «Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral».

Sur le plan mondial, une Liste représentative et une autre regroupant le patrimoine nécessitant une sauvegarde urgente sont prévues, les premières inscriptions devant intervenir sous peu.

Une soixante d’acteurs concernés par le patrimoine culturel immatériel se sont réunis à Berne à la mi-novembre à l’initiative de la commission suisse pour l’Unesco.

Ils ont adopté par acclamation un message à l’intention de la Confédération et des cantons. Objectif: encourager les autorités à soutenir une mise en œuvre rapide de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel.

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