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Montreux, entre Vietnam et Irak

Trois légendes pour un concert. swissinfo.ch

Légendes de Woodstock, Crosby, Stills & Nash ont joué mardi soir dans le cadre du Montreux Jazz Festival. Voix et guitares en vedette. A cette occasion, le journaliste de swissinfo a manifestement subi un assez grave - voire très grave - dérèglement temporel.

Mardi matin, en écoutant mon ‘transistor’, j’ai été étonné de ne rien entendre sur le Vietnam. Et le nom de Richard Nixon, le président des Etats-Unis, n’a pas été prononcé une seule fois, pas plus que celui de Rudolf Gnägi, de Roger Bonvin, de Nello Celio ou d’un autre des Sept Sages de Berne.

A vrai dire, les seuls noms qui aient évoqué quelque chose en moi à la radio, ce sont ceux de Crosby, Stills & Nash, annoncés pour un concert le jour même à Montreux. Oui, CS&N, comme à Woodstock l’année dernière.

Montreux, ce lieu de villégiature un peu fané, au bord du Lac Léman, où un freluquet du nom de Claude Nobs a lancé un festival de jazz il y a trois ans, en 1967. Dans cette charmante bourgade, il parvient également à faire venir des stars de la pop la plus «in», Ten Years After, Led Zeppelin…

Casino ou Congrès?

J’ai donc enfilé mes fringues au look de circonstance – jeans pattes d’eph’, T-shirt en batik et foulard indien. Avec ma 2CV, j’ai voulu prendre la route nationale… et je me suis retrouvé soudain canalisé sur une autoroute dont j’ignorais jusqu’à l’existence. C’est incroyable ce qu’on construit vite, ici.

Arrivé à Montreux, j’ai eu un choc. Sur les quais, je pensais trouver surtout des freaks comme moi, jeunes et dans le coup. J’en ai bien vu quelques-uns, mais… franchement, ils n’étaient pas majoritaires. Il y avait des gens de tous styles, de tous âges. Pas mal de 40-50 ans, habillés ‘sport’, comme disent mes parents, et le cheveu résolument court. Etrange, non?

D’abord, je suis allé au casino, haut lieu du festival. Je ne m’attendais pas à voir un bâtiment comme ça: je croyais me souvenir que le Casino de Montreux datait de la fin du 19ème siècle. Là, j’ai vu une construction moderne. Comme si celle de mon souvenir était partie en fumée. Fumée sur l’eau… Tiens, cela ferait un bon titre de chanson, ça. Surtout en anglais: ‘Smoke on the Water’… pas mal, non?

Mais au Casino, erreur, ce sont les ‘Manhattan Transfer’ qui étaient programmés, des jeunes vocalistes jazzeux qui se lancent. J’ai fait demi-tour. On m’a alors orienté vers le ‘Centre des Congrès’. Depuis quand les princes de Woodstock jouent-ils dans des ‘centres des Congrès’ aux allures de temple futuriste?

Révolution

La première partie était assurée par Steve Earle. Pour moi, inconnu au bataillon. Il a déboulé seul en scène, l’air teigneux, guitare à la main et harmonica autour du cou, comme le jeune Dylan. Voix chaude, moins nasillarde que celle de Bob.

Il a attaqué par une chanson intitulée ‘Jerusalem’. Puis a fait allusion à un sommet des pays les plus riches du monde qui se tiendrait en Ecosse. «En Ecosse, il n’y aura rien pour l’Afrique, a-t-il dit. Juste des accords commerciaux. Et quiconque signe des accords commerciaux avec George W. Bush se fait couillonner».

Mais qui est ce Bush? Qui est, par ailleurs, cette «Condi» qu’il chante, et à laquelle il fait des propositions audacieuses? Quoi qu’il en soit, Steve Earle est un type en colère. Son dernier album s’appelle d’ailleurs «The Revolution Starts Now» et il salue le public en levant le poing.

En colère contre les riches. En colère contre l’impérialisme américain. Normal, en cette époque où la jeunesse se lève et secoue une société usée et bornée. Ah, j’ai oublié de le signaler… Steve Earle est texan. Une sorte de communiste sudiste. Etonnant, non?

Des voix et des cordes

Claude Nobs annonce ensuite la concrétisation de l’un de ses «wildest dreams» en 39 ans de festival. 39 ans?! Il a créé la manifestation en 1967, il y a donc trois ans. Qu’est-ce qu’il nous fait, là? Quoi qu’il en soit, Crosby, Stills & Nash entrent en scène, accompagnés de cinq autres musiciens.

Et c’est parti pour une première heure franchement électrique, mais moins ‘acid rock’ qu’attendu. Belle mécanique inspirée, déferlante de guitares dominée par les soli efficaces de Stephen Stills. Et puis bien sûr ces trois voix, magiques, complémentaires, incroyablement sophistiquées dans les jeux harmoniques.

Mais… deux questions m’assaillent. Pourquoi se sont-ils teint les cheveux en blanc (sauf Stills)? Et pourquoi sont-ils si gros (sauf Nash)? Mystère. J’ai soudain l’impression d’avoir fait un saut en avant dans le temps d’au moins 30 ans…

Je dois divaguer. A un moment, Nash nous gratifie d’un «We are the other half of America» (‘nous sommes l’autre moitié de l’Amérique’), suivi d’un «Peace!» accompagné d’un signe de la victoire. J’ai immédiatement pensé au Vietnam. Mais mes voisins ont prononcé le mot ‘Irak’. Quel rapport entre l’Irak et les USA? Je ne vois pas.

Au-delà de ces questions politiques, des moments à retenir bien sûr: ‘Marrakech Express’, ‘Wounded World’ (un blues tendu chanté par Stills et sa voix rugueuse), et ‘Déjà vu’, long, éclaté, superbe, pour conclure le premier set. Car CS&N s’accordent alors un break…

Le deuxième set sera acoustique pour commencer, avec des titres comme «Guinnevere» ou «Find the Cost of Freedom». Puis résolument électrique à nouveau avec une déferlante de titres forts: «Love The One You’re With», «Chicago», et un «Almost Cut my Hair» somptueux chanté par un Crosby très en voix.

Et en ultime rappel, ce sera «Teach Your Children». Avec autant de talent et une vision aussi saine des choses, on peut prédire une belle carrière à ces trois-là. Sans erreur de parcours. Ce n’est pas des gens comme eux qui pourraient se laisser aller à des actes de violence, ni à une défonce déraisonnable. Enfin, il me semble…

Sortie dans la nuit, une nuit qui vibre encore de notes de musique. Peace, brothers & sisters! Pour moi, le rêve ne s’arrêtera pas là: ce mercredi, la jeune blondinette Marianne Faithfull, pour qui Jagger et Richards ont écrit ‘As tears Goes by’ en 1964, chante ce mercredi à Montreux.

Tiens, à propos, il paraît qu’elle vient de quitter Jagger…

swissinfo, Bernard Léchot à Montreux

Le 39e Jazz Festival de Montreux a lieu jusqu’au 16 juillet.

Il se décline en une multitude de lieux: le cœur de la manifestation, le Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi le Casino Barrière.

La fête se prolonge en général au ‘Montreux Jazz Café’ ou au ‘Montreux Jazz Club’.

Et c’est sur plusieurs scènes le long des quais que se tient le festival off, gratuit, rebaptisé depuis peu ‘Montreux Jazz Under The Sky’.

Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.

– CS&N : Trio légendaire qui réunit le californien David Crosby, le texan Stephen Stills, le britannique Graham Nash.

– Lorsqu’ils se rencontrent en 1968, les trois ont un passé déjà respectable: Crosby vient du groupe ‘The Byrds’, Stills de ‘Buffalo Springfield’ et Nash des ‘Hollies’.

– En 1969 paraît leur 1er album commun, «Crosby, Stills & Nash», qui deviendra un classique: ‘Suite: Judy Blue Eyes’ (Stills), ‘Pre-Road Downs’ (Nash) et ‘Long Time Gone’ (Crosby) y figurent. 1969, c’est aussi l’année de Woodstock…

– Ils y sont rejoints pour quelques chansons par le Canadien Neil Young (lui aussi ex-Buffalo Springfield), qui ralliera ensuite le groupe, lequel devient alors CSN&Y. Album «Déjà vu» en 1970.

– Séparations, reformations, carrières solo, géométrie variable, leur épopée s’est poursuivie dans différentes formules. Epopée perturbée par les affaires de drogue, de port d’arme, de violence qui ont marqué les parcours de Crosby et Stills.

– Dernier album en date de CS&N: «Looking Forward» (1999)

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