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Montreux la francophone fait le plein d’Afrique

Angélique Kidjo, pour des interprétations tour à tour funky et débridées ou cœur brisé, la larme à l’œil. Montreux Jazz Festival © Lionel Flusin

S’associant au prochain Sommet de la Francophonie, le Montreux Jazz Festival célébrait l’Afrique vendredi soir. Et Mama Africa en particulier - Miriam Makeba, décédée en 2008. Un concert en forme d’hommage très réussi sous la houlette d’Angélique Kidjo.

Francophone dans une Suisse au parler majoritairement germanique, Montreux le sera doublement cette année avec le 13e Sommet de la Francophonie, qui s’y tient à la mi-octobre. 70 chefs d’Etat et de gouvernement, 3000 délégués et 600 journalistes sont annoncés.

Le Montreux Jazz Festival se devait de marquer l’événement ce qui a donc été fait vendredi, par le biais de l’Afrique, démographiquement la région francophone la plus dynamique, espoir de la langue de Molière.

Pour incarner cette dynamique, une femme énergique, activiste, amie des amis de ses amis… En tournée à géométrie variable pour rendre un hommage à Miriam Makeba décédée en 2008, la Béninoise Angélique Kidjo expliquait récemment sa position au magazine québécois Voir.

«Je me positionne comme une Africaine francophone dans le monde. (…) Je n’ai pas demandé à être colonisée par la France, mais je ne la renie pas plus. Nous, les francophones, nous n’avons pas suffisamment confiance en nos talents pour faire concurrence aux Anglo-Saxons. Ils ne nous laisseront pas le temps de gérer nos insécurités. Ils prendront toute la place disponible.»

Et concernant Miriam Makeba, dans Le Matin: «Au Bénin, on me disait: Tu ne vas pas chanter, une femme doit se marier, avoir des enfants et rester à la maison. J’ai refusé! Je me suis dit que, si une femme africaine avait réussi à avoir une carrière internationale, je pouvais faire la même chose.»

«Du coup je suis devenue une dévoreuse des œuvres de Miriam, j’ai commencé à chanter Miriam sans arrêt, je la mettais à toutes les sauces. Et ma mère me la faisait écouter sans arrêt, elle utilisait d’ailleurs sa musique pour son association de soutien aux femmes.»

Condensé de génie musical

Montreux pour nouer la gerbe, qui pourrait s’en plaindre? En tout cas pas le public de l’Auditorium Stravinski, qui a eu droit à un concert comme on en voit peu, humble et souriant, vif et touchant. Un aperçu (rapide) du génie musical divers du continent noir, un florilège de ses langues aussi.

En définitive, un bel hommage à Miriam Makeba sous la forme d’un voyage guidé, conduit par Angélique Kidjo, au sein d’un répertoire fort, d’une vie rude. Un héritage partagé, en vingt chansons.

«Ce soir, nous allons être submergés par une nuit d’étoile» avait prévenu le griot au moment de lancer le concert, ouvert par les choristes de Miriam Makeba, clavier, guitare, basse, batterie, percussion, et la voix rugissante d’Angélique Kidjo.

Ensuite, le collier commun n’a cessé de caresser, au fil des perles, chacune à sa manière, la légende de Mama Africa. La très prometteuse guinéenne Sayon Bamba Camara, d’abord, voix claire, presque asiatique, agile comme un oiseau, a fondu ses deux titres dans un chaudron hypermoderne.

funky ou cœur brisé

En maîtresse de maison, Angélique Kidjo est revenue, comme après chacun de ses convives, pour des interprétations tour à tour funky et débridées ou cœur brisé, la larme à l’œil.

En 1963, Miriam Makeba avait été la première Noire a demander devant les Nations Unies le boycott du régime de l’apartheid, a-t-elle rappelé avant le passage du Sud-africain Vusi Mahlasela, ancien opposant de l’intérieur.

Ce géant à la voix d’ange a pris les atours d’un joyeux révérant, showman titillé par le gospel et le blues. Au tour ensuite de Baaba Maal, avec sa voix habitée, lancée vers le ciel, chantant «Africa, Africa» sur une rythmique lancinante.

Un des sommets émotionnels de ce concert a sans doute été la reprise de «Malaïka» par le Sénégalais et Angélique Kidjo. Une «chanson phare du continent africain», chantée il y a longtemps par Miriam Makeba et Harry Belafonte.

Football en Afrique du Sud

Plus pop, voix soul et look urbain, la Nigériane Asa a cité Makeba – «Je ne chante pas la politique, je chante la vérité». Puis, vers la fin, Angélique Kidjo a confié qu’elle partait samedi pour l’Afrique du Sud et sa coupe du monde de foot.

«Pour une fois, mon continent est dans tous les médias, et pas pour la faim et la misère. C’est le plus grand continent de la planète et pourtant, on l’oublie souvent.»

«Nous sommes tous des Africains, a-t-elle poursuivi. Nous sommes tous de la même espèce et notre ADN vient d’Afrique, quelle que soit notre couleur. Nous sommes d’une humanité riche de sa diversité. Chantons la beauté de l’âme humaine, chantons les beautés de l’Afrique»…

A ce moment-là, tous les interprètes de la soirée, rejoints par Youssou N’Dour, étaient de retour sur scène alors que la salle se muait en un chœur gigantesque. Emotion.

«Pata, Pata» et Youssou

Ensuite? «Pata, Pata», le tube définitif de Miriam Makeba, offert sur tempo rapide, menant tout droit à l’euphorie et un final débridé, suivi de «Soweto Blues» en rappel.

Le griot l’a dit, «sa lumière est posée sur nos âmes. Ce qu’elle nous offre, c’est le bonheur d’être ensemble. Merci Miriam Makeba.»

La deuxième partie de soirée voyait le retour à Montreux de Youssou N’Dour, trois ans après son projet jazzistique lié au film de Pierre-Yves Borgeaud, «Retour à Gorée».

Avec son Super Etoile de Dakar, pas loin de vingt musiciens sur scène, le Sénégalais a égrainé son projet Dakar Kingston, décidément plus efficace en live que sur galette en chambre.

Une voix irremplaçable, entre arabesques et haute voltige et du reggae rapide, dynamique, dansant, auquel rien ne résiste. Ni «Seven seconds», le hit planétaire, ni «Redemption song», la complainte de Bob Marley.

Pierre-François Besson, Montreux, swissinfo.ch

Née en 1932 à Johannesbourg, «Mama Afrika» est décédée dans la région de Naples en 2008, lors d’un concert pour les employés africains d’un quartier misérable.

Militante et symbole de la cause anti-apartheid, chantant la paix et la tolérance, Miriam Makeba rêvait d’une Afrique unie et passa plus de tente ans en exil, en Guinée, en Europe, aux Etats-Unis.

La chanteuse africaine la plus connue dans le monde sans doute, elle fut le première Noire à obtenir un Grammy Award. Elle a enregistré plus d’une trentaine d’albums et obtenu la citoyenneté d’honneur dans une dizaine de pays, dont la France.

Née en 1960 au Bénin, la chanteuse auteur compositeur, qui fut une amie de Miriam Makeba, est une aventurière de la musique qui multiplie collaborations et projets, avec des artistes comme Bono, Alicia Keys, Cassandra Wilson, Branford Marsalis, Peter Gabriel…

Très active sur la scène de l’humanitaire et de la défense des femmes, elle est notamment ambassadrice itinérante de l’Unicef. Tout comme Miriam Makeba, elle a obtenu un Grammy Award.

Plus de deux semaines. Le 44ème MJF se tient du 1er au 17 juillet.

Partout! Outre les concerts payants donnés dans les deux salles principales du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), de nombreuses spectacles et animations complètent le menu, dont les multiples concerts gratuits, les croisières musicales sur le Léman, les workshops instrumentaux, les concours.

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