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Enfants du Web, les «grillini» innovent en politique

Artiste de cabaret et ex-star de la télé, Beppe Grillo sait charmer les foules. Reuters

Cabotin de la TV publique, Beppe Grillo a su exploiter le potentiel de la Toile et de la place publique pour véhiculer son indignation et ébouriffer les poncifs de la politique italienne. Son mouvement est appelé désormais à affronter l’épreuve de l'institution. La démocratie de la base survivra-t-elle aux petits jeux et à aux pressions médiatiques?

Avant les élections, ils n’avaient pas besoin de se rencontrer tous face à face. Parce que leur siège était le Web, accessible, démocratique et participatif. Au sein du Mouvement 5 étoiles (M5S) tout se déroule sur les réseaux sociaux: c’est là que les militants discutent, organisent des rencontres, élaborent leurs priorités et leurs stratégies.

«A la télévision, il y n’a pas d’interaction. Sur Internet par contre, les gens ne se bornent pas à recevoir un message, mais ils le partagent et le commentent. Et ils ont le sentiment de participer à un mouvement d’idées. Beppe Grillo a été un des premier à politiser les nouvelles technologies et à en exploiter le potentiel, même avant Barack Obama», explique Sébastien Salerno, expert des mouvements sociaux et de communication politique à l’Université de Genève, lui-même italien de seconde génération.

Les candidats, ou «porte-voix» comme ils aiment à se définir, ont été désignés via un système de primaires sur Web 2.0: il fallait ne pas avoir fait de politique ou n’appartenir à aucun parti, être de simples citoyens, sans casier judiciaire et avec un bon niveau de formation. En effet, 88% d’entre eux, peut-on lire sur le blog du comique, ont un diplôme universitaire et leur âge moyen est de 39 ans. La plus jeune, Marta Grande, a à peine 25 ans.

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Ce contenu a été publié sur Les graffitis apparaissent souvent de nuit et dans le brouillard. Leur message peut être politique, mais pas forcément.

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Du Web à la place publique

Après avoir été exclu de la télévision publique en 1986 – pour un sketch sur la gauche et le premier ministre de l’époque Bettino Craxi – Beppe Grillo n’est plus réapparu sur le petit écran. En tout cas en Italie. À l’étranger, il a été reçu à plusieurs reprises par la Radiotélévision de la Suisse italienne, qui a diffusé nombre de ses spectacles, lui offrant une certaine visibilité aussi dans le nord de la Péninsule.

A partir de 2005, son mode de communication s’est reporté sur Internet. Son blog est l’un des plus visités d’Italie et, en 2008, il figurait parmi les dix plus influents du monde, selon l’hebdomadaire britannique The Observer. Ainsi, pendant que les partis traditionnels se disputaient leurs passages dans les journaux et les télévisions, le sexagénaire, avec l’aide de son «stratège» Gianroberto Casaleggio, s’attribuait le monopole des réseaux sociaux. Un choix qui s’est avéré payant puisque, lors des élections législatives des 24 et 25 février, le M5S a récolté 8 millions de suffrages et conquis 163 sièges au Parlement.

Mais ce succès n’est pas exclusivement celui de Web 2.0. Le comique génois est une bête de scène avec un charme fou. En 2007, il avait réussi à attirer 50’000 personnes à Bologne pour un rassemblement et, pendant la campagne électorale, il a fait le tour de l’Italie en camping-car pour sa «tournée tsunami». De fait, il a été le seul à se réapproprier les places publiques, haranguant les foules pendant des heures, suant et hurlant à tue-tête. Son langage direct, son ton sarcastique et cru peut cependant aussi devenir violent. En Italie il a été traité de tous les noms: populiste, démagogue…

«Beppe Grillo a osé aborder des sujets brûlants que les autres politiciens ont souvent préféré éviter. Il a réussi à se faire entendre de la jeunesse et à se faire le porte-voix de leur colère contre le manque de perspectives. Avec son sens de la provocation et le rire, il a pu se permettre de dire des horreurs, désinhibant le public. Un peu comme un fou du roi, un bouffon. Du reste, tous ceux qui ont voté pour lui ne sont pas forcément d’accord avec ses manières mais le M5S leur permet de rompre avec l’ordre établi», commente Hervé Rayner, professeur de sciences politiques à l’Université de Lausanne et auteur de différents livres sur l’Italie.

Né à Gênes (Ligurie) en 1948.

Diplômé en comptabilité, il se lance comme artiste de cabaret puis il passe à la télévision. En 1978 il dirige le festival de Sanremo, rendez-vous incontournable de la chanson en Italie.

Dans les années 80, il se fait un nom comme comique satirique. Mais il est licencié par la RAI en 1986, pour un sketch sur le parti socialiste et le premier ministre de l’époque Bettino Craxi.

Il commence à faire des tournées en Italie avec des spectacles sur les thèmes de l’environnement et de la politique. Il est parmi les premier à dénoncer les grands scandales et à vanter les avantages du Web.

Censuré sur les chaines italiennes, il trouve une visibilité à la Radiotélévision de la Suisse italienne, et sur les chaînes françaises.

En 2004 il ouvre le blog avec l’entrepreneur italien Gianroberto Casaleggio, qui l’aide à élaborer sa stratégie.

En 2007, il organise de grands rassemblements dans différentes villes italiennes pour protester contre les privilèges de la classe politique. L’initiative populaire lancée par Grillo recueille plus de 330’00 signatures en quelques heures.

En 2009, il lance le Mouvement 5 Étoiles qui, aux élections législatives des 24 et 25 février 2013, devient le premier parti du Parlement avec 163 sièges.

Beppe Grillo refuse de se porter candidat en raison d’un précédent pénal. En 1981, les trois compagnons de voyage du comique ont trouvé la mort dans un accident de la circulation. Grillo a été condamné définitivement en 1988.

Depuis quelque années, Beppe Grillo a acheté un appartement à Lugano, en Suisse, «pour se prémunir en cas de blocage de son blog».

Une alliance d’idées et non de partis

Privée de majorité au Parlement, l’Italie risque la paralysie politique et un retour aux urnes. L’avenir du nouveau gouvernement dépend donc du M5S, et probablement aussi celui du pays. Nombre de personnes se demandent comment ces néophytes de la politique accompliront leur tâche. Eux-mêmes croient et répètent qu’ils n’entendent pas conclure d’alliances, mais discuter et voter chaque proposition selon leurs convictions et non selon une logique partisane.

Une position qui semble toutefois irresponsable à nombre de gens et qui laisse beaucoup d’inconnues, puisqu’elle sort des sentiers battus. En réalité, il existe un exemple à petite échelle: la Sicile. Dans cette région du sud de la Botte, le M5S s’était imposé l’automne dernier comme premier parti, alors que Rosario Crocetta, du Parti Démocratique (PD), était élu au poste de gouverneur. «Le bilan est positif jusqu’à présent, affirme Sébastien Salerno. Le M5S a assuré un soutien ponctuel au PD sur des grands sujets comme la réduction des coûts de la politique. Crocetta fait même l’éloge de cette collaboration.»

Cette dynamique pourrait-elle se reproduire au niveau national? Nos experts ont du mal à répondre. Cela dépendra beaucoup de la ligne de Beppe Grillo et aussi de la manière d’agir des différents individus qui composent le mouvement. Ceci parce que, si lui-même n’aime pas se définir comme un leader et soutient que les décisions sont prises de manière participative, c’est quand même lui qui, depuis le début, trace la ligne du M5S. Et il ne s’est pas toujours montré tendre avec ceux qui sortent du rang.

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«A la fin, tout le monde est politiquement actif»

Ce contenu a été publié sur En «occupant Wall Street» ou en lançant des «flash mobs», des citoyens s’engagent politiquement pour façonner la société. C’est l’avis de la Suissesse Dorothée Nève et de l’Autrichienne Tina Olteanu, deux politologues qui viennent de présenter à Berlin un livre (Participation politique au-delà des conventions) sur la question.   swissinfo.ch: Qu’entendez-vous par formes de participation…

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Pressions des médias et jeux politiques

Condamné pour homicide par imprudence, Beppe Grillo n’a pas voulu siéger au Parlement. Un choix personnel en phase avec la ligne du M5S, laquelle interdit d’élection qui a un passé pénal. Les nouveaux élus devront donc se débrouiller seuls pour faire leurs premiers pas, loin de l’aile protectrice du Web et de leur leader. «Avec le risque que le M5S échappe à son fondateur et se dilue comme d’autres mouvements dans le passé. Mais ils pourraient aussi apporter une bouffée d’air frais dans un pays à genou et pousser les autres partis à se rénover», explique Hervé Rayner.

Ce qui est certain, c’est que les «grillini» ne sont pas familiarisés avec les jeux politiques, continue le professeur. «Il est possible qu’ils soient tiraillés entre la droite et la gauche et qu’ils ne réussissent pas à tenir un discours unique. Dans un mouvement tel que celui-ci, l’expression des désaccords fait partie de la culture politique et les débats peuvent être virulents. Mais au Parlement, ils devront probablement se plier à des règles différentes.»

À quoi s’ajoute la pression des médias qui ont harcelé les nouveaux élus ces derniers jours, jusqu’à ce que Beppe Grillo y mette le holà. Lors de la rencontre organisée à Rome, les téléphones portables étaient éteints et aucune interview n’a été accordée aux médias italiens. Une manière de les protéger de l’assaut des journalistes. Ou peut-être de garder le contrôle de la situation.

1. Loi anticorruption

2. «Revenu de citoyenneté» (revenu garanti pour tous)

3. Abolition des subventions publiques aux partis

4. Abolition du financement de journaux et création d’une chaîne unique de télévision publique, sans publicité et indépendante des partis

5. Référendum sur l’euro

6. Élimination des privilèges des députés, dont le droit à la retraite après deux ans et demi

7. Pas d’éligibilité aux charges publiques pour les personnes condamnées

8. Loi sur les conflits d’intérêts

9. Mesures immédiates pour relancer les petites et moyennes entreprises

10. Suppression des coupes budgétaires dans la santé et l’école publique mais coupes dans les grands travaux comme les trains à grande vitesse

11. Accès Internet gratuit pour tous les citoyens italiens et généralisation de la couverture ADSL

12. Abolition des grands monopoles de fait.

13. Garantie des allocations de chômage.

(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)

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