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L’Europe sommée d’agir après un énième drame de l’immigration

Près de 1600 migrants ont déjà péri en Méditerranée depuis le début de l'année. Keystone

La stratégie européenne visant à dissuader les migrants de traverser la Méditerranée est un fiasco total, constate la presse suisse à la suite d’un naufrage qui a coûté la vie à des centaines de personnes au large de la Libye. Mais que faire pour éviter de nouvelles tragédies?

Colère et consternation s’affichent en une de nombreux quotidiens helvétiques ce lundi, au lendemain du naufrage d’un chalutier chargé de migrants qui fait redouter la «pire tragédie» de ce type en Méditerranée. Des survivants, cités par le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), ont fait état de la présence de 700 personnes à bord du bateau.

Le parquet de Catane, en Sicile, a indiqué de son côté dimanche soir qu’un de ces 28 survivants, qu’elle a pu interroger, avait mentionné la présence de 950 personnes à bord du chalutier, dont une cinquantaine d’enfants et quelque 200 femmes. 

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«L’Europe fait face à un échec morbide», titre Le Matin. Avec 1600 morts depuis janvier, la stratégie européenne visant à dissuader les traversées ne fonctionne pas, constate le quotidien édité à Lausanne. Et de rappeler que l’opération ‘Mare Nostrum’, jugée trop coûteuse par Bruxelles, a été remplacée par l’opération ‘Triton’ en novembre 2014.

«Une erreur fatale», estime la Berner Zeitung. Car le «calcul cynique» consistant à ne plus sauver les migrants en Méditerranée n’a eu aucun effet  sur le nombre de personnes prêtes à mettre leur vie en danger pour tenter de rejoindre l’Europe, note la Neue Luzerner Zeitung.

C’est ce que constate également  Gauri Van Gulik, directrice du programme Europe à Amnesty International, citée dans Le Matin: «L’Europe a réduit sa capacité de recherche et de sauvetage en faisant valoir l’argument biaisé que ces opérations avaient un ‘effet d’appel’, attirant plus de migrants. Mais la réalité montre que cela est faux, car le nombre de personnes essayant de venir en Europe ne fait qu’augmenter.»

Place aux actes

Cette tragédie était prévisible, estime ainsi l’Aargauer Zeitung, qui adresse également ses critiques à l’égard de la Suisse en tant que membre de l’espace Schengen et Dublin. «L’Europe doit répondre à deux niveaux, relève le quotidien argovien. Premièrement, elle doit aider les réfugiés qui se trouvent dans une situation de détresse aiguë. Deuxièmement, elle doit développer une nouvelle politique d’asile pour éviter que des personnes ne tentent le voyage vers l’Europe à bord d’embarcations surchargées et délabrées».

L’éditorialiste du Blick lance ce vibrant appel: «Ces tragédies ne sont pas une fatalité. Elles peuvent être évitées. […] Nous avons le choix: sauver des gens ou les laisser se noyer». Quant à la Berner Zeitung, elle plaide pour des actes immédiats. «Bien sûr que les causes de l’exil et le trafic des migrants doivent être combattus. D’ici là, cependant, ces hommes et ces femmes doivent être sauvés sans aucune restriction». 

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Même son de cloche dans 24heures de Lausanne: «L’Europe doit quitter le terrain des mots pour passer à l’action, et mettre sur pied un plan concerté avec l’ensemble de ses alliés – dont la Suisse. Il faut organiser la prise en charge logistique et financière d’une réalité à laquelle on n’échappera pas. Il est légitime de lutter contre l’immigration clandestine, mais maintenir le plan actuel baptisé ‘Triton’, moins cher parce que privé de réels moyens, reviendrait à accepter que de telles tragédies se répètent sans fin»

«Irréaliste»

«Il ne suffit pas d’accuser et de se révolter», répondent le Bund et le Tages-Anzeiger en écho à ces incantations. Aux yeux des deux quotidiens germanophones, il n’y a qu’une seule solution pour stopper immédiatement ces drames: l’établissement de ponts maritimes et aériens entre l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée, qui font office de stations de transit pour les centaines de milliers voire millions de réfugiés qui fuient la guerre et la misère en Afrique subsaharienne ou en Syrie.

«Les portes vers la forteresse Europe doivent être complètement ouvertes. Le commerce des passeurs s’arrêterait du jour au lendemain. Une grande partie des réfugiés quitteraient ainsi ces Etats instables pour s’établir en Europe selon une clé de répartition fixée par pays.»

Cette solution est toutefois «complètement irréaliste», écrivent le Bund et le Tages-Anzeiger. «Cela mènerait à une migration de populations entières. Et à un soulèvement populaire garanti en Europe». Même un redémarrage de l’opération Mare Nostrum serait politiquement difficile à appliquer, soulignent-ils, fatalistes, au terme de leur démonstration.

Stopper l’explosion démographique

Comme toujours, lorsque le nombre de victimes atteint un certain seuil psychologique, les «plus jamais ça» résonnent à Bruxelles et dans les chancelleries européennes, comme ce fut le cas lorsque près de 400 migrants périrent au large de Lampedusa fin 2013. Mais jusqu’ici, ces paroles n’ont jamais été suivies d’effet, constate de son côté la Neue Luzerner Zeitung.

La volonté de l’UE fait défaut, écrit également avec une certaine amertume la Berner Zeitung. «Les Etats européens, confrontés à des mouvements xénophobes tels que Pegida, Ukip ou le Front National, ont peur de montrer trop de compassion. Une honte».

La Basler Zeitung, un quotidien proche de la droite conservatrice, prend le contre-pied de ces critiques adressées à l’Union européenne. «Les vraies raisons de ces flux toujours plus importants de réfugiés ne sont pas à chercher dans une politique archaïque de l’Occident. Elles sont bien plus le symptôme d’une maladie qui trouve ses racines dans les Etats mal gérés d’Afrique et du Moyen-Orient. Beaucoup de réfugiés africains qui fuient à travers le Méditerranée viennent de Somalie, un pays privé d’Etat depuis près de 25 ans ainsi que d’Erythrée, où un dirigeant stalinien tyrannise son peuple».

Pour éviter une nouvelle escalade, ce sont en premier lieu les conditions sur place qui doivent être changées, avance le quotidien bâlois. «Il serait par exemple important de stopper l’explosion démographique en Afrique, qui annihile chaque petit progrès réalisé […] C’est seulement lorsque l’Afrique parviendra à créer sa propre dynamique interne et à bâtir les institutions politiques nécessaires que la pression sur l’Europe retombera». 

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