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Nicolas Bouvier, très beau voyage sur scène

Quand les voyages de Bouvier se théâtralisent... Mario Del Curto

En 1963, l’écrivain genevois publie «L’Usage du monde». Magnifique reflet des cultures lointaines, ce récit est porté au théâtre par Dorian Rossel. Créé en novembre dernier à Lausanne, le spectacle sera présenté bientôt au Centre Culturel Suisse, à Paris. On reste sous le charme.

L’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan offrent une oasis de bonheur au lecteur et spectateur de «L’Usage du monde».

A l’origine de ce célèbre récit de Nicolas Bouvier, un voyage que l’écrivain entreprit, entre 1953 et 1954, avec le peintre Thierry Vernet. Les deux amis genevois quittent alors la Suisse à bord d’une Fiat Topolino. Leur but: atteindre  l’Hindou-Kouch en passant par les Balkans   et l’Asie centrale.

Ce récit plein de saveurs, de parfums, d’odeurs âcres, d’aventures, de rencontres inopinées, d’humour, de déceptions, de souffrances, d’espoir, est adapté à la scène par Dorian Rossel.  «L’Usage du monde», qui sera présenté à partir du 17 mai au Centre Culturel Suisse, à Paris,  apporte une dimension humaine à des pays placés aujourd’hui sous le feu d’une actualité sanglante, alimentée par le terrorisme et les assassinats, quand ce n’est pas par la guerre.

Heureux hasard donc que ce spectacle qui valorise la réflexion menée par Bouvier sur une partie du monde aujourd’hui observée par des médias pressés. Pressés par les événements qu’ils relatent de manière anecdotique, préférant souvent la forme au fond.

 

Un regard qui passe par le cœur

Quand il a créé son spectacle en novembre dernier, Dorian Rossel ne savait pas ce qui allait se passer à Abbottabad quelques mois après.  L’autre soir, il nous confiait: «Ce que je lis aujourd’hui sur le Pakistan dans la presse ne me dit rien sur la population là-bas. J’en ai appris beaucoup plus avec Bouvier, fascinant dans son approche de l’identité. Son regard sur le monde évite les généralités. Il reste profondément singulier parce que tout passe par son cœur et non par l’immédiateté des faits».

L’essence  d’une civilisation. C’est ce que recherche Nicolas Bouvier, qui écrit: «Cette Asie centrale à laquelle, après la chute de Byzance, les historiens européens n’ont plus rien compris». La phrase résonne dans le spectacle comme un défi à la connaissance.

Comment garder l’esprit éveillé, curieux, généreux? En observant une certaine humilité, comme l’a fait Bouvier, comme le font les cinq comédiens qui interprètent son texte. Leur récit fait reluire sur la peau des peuples la grande Histoire, celle qui conditionne la petite histoire et façonne les coutumes et les croyances d’une communauté.

La Yougoslavie que traversent Bouvier et Vernet a connu le nazisme puis le communisme. Une femme croisée aux environs de Belgrade n’a pas d’ongles aux doigts, c’est que la torture est passée par là. La souffrance marque une culture, elle scelle même le destin de certaines nations.

 

Ankara, Tabriz, Chiraz, Quetta… 

Après la Serbie et la Macédoine, viennent les plateaux d’Anatolie, les rivières de l’Azerbaïdjan et le désert d’Afghanistan. Ankara, Tabriz, Chiraz, Kaboul, Quetta… La Fiat va son chemin, de pays en pays. Une petite Fiat qui tient dans la paume d’une main. Les comédiens la font passer de table en table. Une vingtaine de tables basses, serrées  les unes contre les autres comme autant de plateaux offrant leur surface colorée à l’imaginaire des comédiens qui y glissent leur récit. «Routes asphaltées mais creusées de nids de poules» et chargées de bétail, de femmes et d’enfants.

Il  y a en Asie «une mystique du chemin si vivace au cœur des Orientaux», dit Nicolas Bouvier par la voix d’un comédien. Dorian Rossel n’a pas monté, bien sûr, la totalité du texte de l’écrivain-voyageur. Il  en a retenu les passages les plus sacrés, dirions-nous, ceux qui mettent l’accent sur la complexité de l’homme.

«Bouvier était capable de faire dix croquis d’un même personnage dans une même page, lâche le metteur en scène. Une des raisons qui m’ont poussé à monter ce texte c’est la richesse de  points de vue qu’il recèle. Je voulais le regard d’un Suisse sur des cultures lointaines. C’est important par temps de nationalisme exacerbé».

«L’idéal serait, poursuit-il, que je puisse présenter ce spectacle dans nos consulats ou nos ambassades. C’est un projet que j’ai. S’il se réalise, j’aurais su, à mon humble manière, faire du monde un bon usage».  

Genève. Ecrivain-voyageur, né à Genève en 1929.

Précoce. A 17 ans, il part en solitaire en Norvège. A son retour, il suit des cours d’Histoire médiévale et de sanskrit à Genève.

 

Reporter. En 1948, il est envoyé en reportage en Finlande par le journal La Tribune de Genève , puis en 1950 dans le Sahara algérien, par Le Courrier.

 

Voyage. En  juin 1953, il part en Fiat Topolino avec Thierry Vernet, de Belgrade à Kaboul,  à travers la Yougoslavie, la Turquie, l’Iran et le Pakistan. Un an et six mois plus tard, les deux voyageurs se séparent à Kaboul, Nicolas Bouvier continuant seul sa route vers l’Inde.

 

Ceylan. La route étant fermée pour des raisons politiques, il gagne Ceylan où, malade et déprimé, il reste sept mois.

 

Mariage. En 1958, il épouse Eliane Petitpierre, fille du conseiller fédéral Max Petitpierre et nièce de Denis de Rougemont.

 

Décès. Atteint d’un cancer, il meurt le 17 février 1998. Il est inhumé à Cologny (Genève).

 

Œuvres. Parmi ses œuvres on citera: L’Usage du monde, Le Poisson-scorpion, Chronique japonaise, Journal d’Aran et d’autres lieux…

Franco-suisse. Metteur en scène franco- suisse, établi en Suisse romande.

STT. Il  a fondé en 2003 la Compagnie STT. Depuis, il a créé une quinzaine de pièces, installations, performances, saluées en Suisse et à l’étranger.

 

Non théâtral. Un des traits distinctifs de sa compagnie réside dans le choix de textes non théâtraux : une œuvre romanesque, un film, un essai, une BD, une problématique sociale…

 

Allusif. Son esthétique évite les effets spectaculaires et avantage les touches allusives.

 

Spectacles. Parmi ses spectacles les plus récents, citons: Libération sexuelle, Je me mets au  milieu mais laissez-moi dormir, Quartier lointain et Soupçons.

«L’Usage du monde» de Nicolas Bouvier, dans une mise en scène Dorian Rossel.

Neuchâtel, Théâtre du Passage, 10 mai

 

Le Creusot (France), L’Arc, 12 mai

 

Paris, Centre Culturel Suisse, du 17 au 20 mai

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