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Comment la coopération suisse travaille avec le secteur privé

Ecole primaire au Benin.
Ecole primaire au Bénin. «Un jeune n’a pas envie d’être assisté toute sa vie. Il veut pouvoir saisir les opportunités qui passent par un accès à des services de base comme l’éducation ou la santé.» Photononstop via AFP

Le secteur privé et la philanthropie s’investissent toujours plus dans l’aide humanitaire et les projets de développement. Un engagement salué par l’agence suisse de coopération (DDC), avec toutefois quelques bémols. Les explications de Chantal Nicod, cheffe de la division Afrique de l’Ouest de la DDC.

«Les philanthropes peuvent-ils révolutionner le développement international?» C’est la question posée par une conférenceLien externe organisée au début du mois à Genève par Le TempsLien externe, le Monde AfriqueLien externe et le Graduate Institute (IHEIDLien externe).

Cheffe de la Division Afrique de l’Ouest au sein de la Direction pour le développement et la coopération (DDCLien externe), Chantal Nicod a donné son point de vue au côté d’intervenantsLien externe aussi divers qu’Ariane de Rothschild, très active au sein des fondations familiales, ou de Michael Faye, cofondateur de GiveDirectly et de Segovia Technology, des organisations philanthropiques qui assurent «permettre aux organisations de transférer de l’argent à toute personne, à tout moment et dans tout pays émergent.»

Chantal Nicod
Chantal Nicod devant la Maison de la Paix où s’est tenue la conférence sur les nouvelles voies de la philantropie. Frédéric Burnand/swissinfo.ch

swissinfo.ch: La philanthropie joue-t-elle un rôle croissant dans l’aide humanitaire et la coopération au développement?

Chantal Nicod: Il y a bien une augmentation de la philanthropie. Ce qui est très positif. Il manque encore beaucoup de moyens pour financer le développement dans le monde et joindre les efforts de tous ne pourra qu’être positif. Le rôle croissant des acteurs privés va dans la direction de l’Agenda 2030Lien externe et des accords pris au niveau international, comme par exemple lors de la conférence d’Addis AbebaLien externe sur le financement du développement. La DDC recherche constamment des possibilités de partenariats avec le secteur privéLien externe.

Ce qui est aussi à saluer, c’est que la philanthropie cherche elle-même de nouvelles manières d’agir et à innover dans ses modalités d’intervention. La DDC construit par exemple des partenariats avec Swiss Re dans le domaine de l’assurance et la réassurance.

Mais Il est important de faire la différence entre les organisations philanthropiques et les activités entrepreneuriales du secteur privé. Le véritable défi, c’est que le secteur privé agisse de manière responsable, du point de vue environnemental et social, tout en générant des bénéfices, ce qui est tout-à-fait légitime.

L’ancien secrétaire général de l’ONU avait lancé il y a près de 20 ans un pacte mondial avec les entreprises pour les responsabiliser en comptant sur leur bonne volonté. Les ONG, elles, réclament des organes indépendants de vérifications ou d’autres formes de contraintes pour ces entreprises. Quel est votre point de vue?

Ce pacte mondialLien externe continue d’exister et une série d’entreprises suissesLien externe y participent. Dans ce cadre, l’ONU travaille à la formulation de standards – ce qui est le rôle des Nations Unies. La DDC appuie également certains pays pour la mise en œuvre de ces standards.

Quant à la question des mesures coercitives pour mettre en œuvre ces standards, il y a deux niveaux d’interventions possibles.

Il faut d’une part que les législations nationales s’adaptent à ces standards internationaux. C’est un premier levier coercitif. Et les Nations Unies, tout comme les agences de coopération, peuvent aider ces pays à mettre en place une législation nationale en la matière.

D’autre part, le consommateur peut agir. Ces dernières décennies, il y a une prise de conscience croissante du consommateur sur l’origine du produit ou son mode de fabrication. Autrement dit, le marché via le consommateur et le cadre légal national  peuvent mettre une certaine pression sur les entreprises qui elles-mêmes progressent dans leur propre prise de conscience dans ce domaine. Certaines entreprises font d’ailleurs elles-mêmes ce chemin, sentant actuellement la nécessité de revoir les modalités dans la manière de faire des affaires.

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N’est-il pas paradoxal de mettre en avant la philanthropie, qui est aussi un moyen de se soustraire à l’impôt, tout en soulignant que sans Etat viable il n’y a pas de développement possible, une capacité qui dépend justement de l’impôt? 

Les fondations philanthropiques sont aussi dans ce débat. Comme l’a dit Ariane de Rothschild, il s’agit de faire le lien entre les buts de la fondation et les pratiques de la banque qui la finance. Cela passe par l’examen des dommages que peut causer la banque sur le plan social ou environnemental et la recherche de solutions alternatives. C’est un exemple qui montre que les fondations philanthropiques avancent beaucoup sur ces questions.

Et l’impôt?

Certains pays ont les moyens de leur développement, comme par exemple certains pays émergents. Il s’agit là de les soutenir dans leurs efforts de définir des politiques fiscales équitables qui permettent à l’Etat d’assumer ses responsabilités. La coopération multilatérale, en particulier les banques de développement, disposent de compétences pour soutenir les Etats dans leur volonté d’agir. La Suisse contribue à ces institutions et s’engage dans ce sens.

Lors de la conférence, vous avez décrit les vertus et les limites du transfert d’argent aux victimes de crises humanitaires, une formule que la coopération suisse pratique depuis 1998. Est-ce la solution ?

Les anciennes formules d’aide sont toujours nécessaires. Mais le transfert direct d’argentLien externe aux personnes sinistrées a donné de bons résultats. D’abord, le bénéficiaire peut ainsi choisir et acheter au meilleur prix ce dont il a besoin sur le marché local. Le transfert d’argent permet aussi de stimuler l’économie locale, car les personnes recevant ces transferts l’investissent parfois dans des activités économiques, même modestes, leur permettant de diminuer leur dépendance envers l’aide externe.

A titre d’exemple, j’ai visité il y a quelques mois des réfugiés près du lac Tchad. Avec l’argent donné directement, une dame vivant dans un village de réfugiés a commencé à acheter du tissu et des aiguilles et a ainsi pu confectionner des habits pour ensuite les vendre dans le village d’à côté. Cet exemple montre que les gens sont responsables et connaissent (mieux que nous) leur réalité. Ils doivent donc pouvoir décider ce qui est le plus efficace pour eux.

C’est donc une manière de rompre avec un certain paternalisme qui a longtemps marqué l’aide au développement, tant des Etats que des ONG?

C’est un pas vers l’efficacité et la durabilité des actions d’assistance. Ce transfert d’argent est aussi un moyen d’augmenter l’impact de l’argent versé, puisque cette formule permet de faire le lien entre l’urgence humanitaire et le développement. Il convient cependant de préciser que cette modalité a également certaines limites. A moyen terme, la coopération au développement, en particulier l’aide publique, vise à changer des systèmes, afin que les politiques publiques permettent, entre autres, d’améliorer la résilience des populations et créer un cadre favorable aux opportunités. Il s’agit donc de combiner différents types d’intervention.

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En matière de développement, le transfert d’argent est donc loin de suffire?

En effet, ce n’est pas LA solution, même dans l’aide humanitaire. Mais il est nécessaire de changer d’optique. Les gens dans le besoin cherchent des opportunités, non à être assistés. Un jeune de 16 ou 18 ans n’a pas envie qu’on lui dise qu’il sera assisté pour les 40 prochaine années de sa vie. Il demande d’avoir une chance de saisir des opportunités qui passent par un accès à des services de base comme l’éducation ou la santé, mais également à vivre dans un environnement sûr, un Etat de droit, trouver un travail ou développer son activité propre dans des marchés locaux qui fonctionnent.

Mais cela signifie de pouvoir critiquer un Etat pour ses déficiences. Or ce genre de critiques extérieures passent de moins en moins bien, au nom de la non-ingérence dans les politiques nationales. Et ce alors que de nouvelles puissances comme la Chine ne mettent pas ce genre de conditions pour leur aide ou leur investissement. Comment faire alors?

Il ne faut pas oublier que la responsabilité première n’est pas du côté des agences de développement qui sont des facilitateurs. Les gouvernements ont effectivement le rôle primordial de créer les conditions cadre pour permettre le développement. Les actions de la DDC sont alignées sur les plan nationaux de développement définis par les Etats eux-mêmes, en consultation avec les autres acteurs du pays, que ce soit la société civile, le secteur privé ou les différentes forces politiques.

Dans un monde idéal, l’aide au développement verserait les fonds aux gouvernements qui, eux, mettraient en place des politiques publiques équitables et efficaces, créant également un cadre favorable au développement d’un secteur privé responsable.

Comme agence de coopération de gouvernement à gouvernement, nous considérons qu’il est nécessaire d’avoir des politiques publiques qui fonctionnent. Ce qui prend du temps. Et la DDC travaille dans ce sens avec les gouvernements dans un esprit de renforcement des capacités institutionnelles.

Mais la coopération au développement doit aussi s’ouvrir à de nouveaux acteurs. La collaboration avec les fondations privées, qui est le sujet de cette conférence, en est l’illustration. La DDC s’efforce d’appuyer des agents de changement et il s’agit de trouver les canaux au travers desquels ces derniers d’expriment. Ceci peut aller d’organisations de la société civile comme les ONG ou encore des mouvements sociaux.


Mais que fait-on avec des gouvernements qui considèrent ce soutien à des mouvements sociaux comme de l’ingérence, des mouvements eux-mêmes de plus en plus contrôlés sur leurs financements venus de l’étranger?

La coopération suisse s’efforce de créer des ponts, en facilitant le dialogue entre les différents acteurs. La stabilité et des mécanismes de gouvernance permettant de trouver des solutions constructives au lieu de la confrontation violente est une contribution au développement.

Nous travaillons à la réalisation d’actions concrètes qui permettent de construire ou de rétablir la confiance entre les différents acteurs. Ceci peut se réaliser au niveau local, en impliquant par exemple les municipalités et la population à prioriser les investissements locaux ensemble et ensuite rendre des compte sur les deniers publics. Au niveau national, faciliter le dialogue entre un gouvernement et des associations nationales de municipalités ou de paysans, par exemple, permet la mise en place de politiques publiques répondant aux attentes de la population.

Vous avez des exemples d’Etats déficients ou autoritaires qui sont ouverts à de tels dialogues?

L’Etat n’est pas un bloc. Partout, vous avez des agents de changement. Dans l’Etat, dans la société civile, il y a ceux qui refusent le changement et ceux qui sont ouverts aux réformes. Un de nos défis est justement de trouver ces acteurs du changement. Même dans des Etats réputés autoritaires, on trouve – sur le plan technique au début –  des personnes qui sont prêtes à travailler ensemble sur des projets concrets. La volonté de réformes d’un gouvernement est un critère important qui permet de définir nos modalités d’aide. Si des réformes sont en marche, nous sommes heureux d’y contribuer. 

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