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Banquier suisse à Singapour: juteux mais éprouvant

Singapur Keystone

Singapour attire en masse les fortunes et les banques étrangères. Mais les banquiers suisses qui ouvrent des succursales dans la cité-Etat découvrent un terrain très concurrentiel et une clientèle souvent insatiable. Reportage.

Dans le quartier des affaires de Singapour, animé, bruyant et accablé de chaleur, le hall de la nouvelle succursale de la banque privée suisse Bordier offre une oasis de tranquillité, à quelques encablures de la Raffles place.

A peine entrés, les visiteurs tombent sur un imposant livre vieux d’un siècle contenant des entrées manuscrites des dépôts et des prêts à la clientèle.

Evrard Bordier s’est personnellement chargé de transporter à Singapour ce livre de comptes. Et ce pour à la fois marquer  l’ancienneté de la banque Bordier et l’importance qu’elle accorde à l’Asie du Sud-Est pour son futur.

Située au cœur d’une région en plein essor économique, Singapour aspire la richesse des pays voisins, comme la Chine et l’Indonésie. Analyste des tendances en matière de grandes fortunes, le cabinet WealthInsight estime que Singapour va dépasser la Suisse comme plus gros gestionnaire mondial de la fortune offshore d’ici 2020.

Contenu externe

Source: WealthInsight


*Estimation approximative

Longtemps championnes du monde dans la gestion des patrimoines, les banques suisses lorgnent depuis quelque temps vers Singapour pour y installer des succursales.

Ces deux dernières années, les banques Bordier et Gonet ont rejoint les leaders UBS, Credit Suisse, Julius Bär, Lombard Odier et Pictet. Et l’Union Bancaire Privée a reçu une licence de banque privée à Singapour plus tôt cette année.

La part de la richesse mondiale qui coule à Singapour est impressionnante, avec des actifs sous gestion en hausse de 22 % l’an dernier à 1’630 milliards de dollars singapouriens (1’150 milliard de francs suisses).

4 banques suisses ont ouvert des bureaux de représentation.

9 établissements bénéficient d‘une licence bancaire, principalement actifs dans la gestion de fortune privée.

5 sociétés d’assurances y sont également présentes.

Les sociétés financières suisses emploient environ 9’000 personnes, faisant de la Suisse un acteur important sur la place financière singapourienne.

Source : SECO

Des clients pressés

Mais la banque privée à Singapour  – un marché bondé avec un nombre croissant de concurrents – est plus difficile qu’on ne l’imagine. Les clients asiatiques exigent des résultats plus rapides et plus spectaculaires que dans d’autres parties du monde. Ils cherchent plus vigoureusement la meilleure affaire possible.

Un état d’esprit qui peut constituer un choc pour les banquiers suisses, selon Evrard Bordier.  

Un éminent banquier suisse préférant l’anonymat confirme: «Nous avons examiné Singapour pour finalement renoncer à nous y installer. Les clients ne semblent intéressés qu’aux rabais. Certains s’attendent à des prêts aux entreprises avant même qu’ils ne déposent des actifs. »

Les banques doivent investir davantage dans la technologie pour les clients à la recherche de services commerciaux. Les dépenses en personnel ont atteint des sommes  astronomiques, la recherche des meilleurs talents dépassant l’offre. Les coûts ont également pris l’ascenseur suite à l’entrée en vigueur de réglementations contre l’évasion fiscale.

Avec une superficie de 712 kilomètres carrés, (Suisse : 41’290 km2) Singapour compte plus de 5 millions d’habitants, au pouvoir d’achat important (2e PIB/habitant après le Qatar).

Singapour figure parmi les toutes premières destinations des investissements directs suisses en Asie. Avec une augmentation spectaculaire de 80% au cours des dix dernières années, la Cité-Etat se retrouve devant le Japon et la Chine.

Selon les dernières statistiques de la Banque nationale suisse (2012), le montant en capital cumulé des investissements directs suisses à Singapour a atteint 19.3 milliards (CHF) en 2011.

Quelque 300 entreprises suisses sont présentes à Singapour et y emploient environ 28’000 collaborateurs.

De sources singapouriennes, les investissements suisses se répartissent dans le secteur manufacturier (57 %), commerce de gros et de détail, hôtels et restaurants (15 %), transport et entreposage (2 %), information et communication (4 %), services financiers et assurance (13 %), services professionnels, techniques, administratifs et de support (9 %).

La Suisse figure en 7ème place sur la liste des principaux pays-investisseurs étrangers.

Source : SECO

Une implacable concurrence locale

Solution Providers, un cabinet de conseil basé à Zurich, aide les institutions financières européennes à se développer à Singapour. Yves Roesti, chef des services de conseil en banque au bureau de Singapour, commente : «Il y a dix ans, le modèle bancaire suisse était beaucoup plus sophistiqué et raffiné que celui des banques locales. Mais les joueurs locaux sont en train de rattraper leur retard. Et ils veulent dépasser les grandes banques étrangères.»

Yves Roesti croit que la seule façon pour de nombreuses banques de survivre est d’externaliser les opérations de back office et de se concentrer davantage sur les clients.

Les joueurs du cru, comme la Banque de Singapour (BoS), ont aussi l’avantage d’avoir de nombreux points de vente dans la rue. De quoi attirer de grands volumes de clients, dont beaucoup restent fidèles à la banque qui les a accompagnés vers la fortune.

BoS est l’une des plus grandes banques locales. Directeur au sein de l’institution, Renato de Guzman prophétise l’agonie et la mort d’un certain nombre de banques étrangères, vu la concurrence acharnée qui règne sur cette place financière.

«La hausse des coûts a fortement diminué les marges bénéficiaires, ce qui rend de plus en plus difficile de rivaliser en Asie », relève Renato de Guzman, tout en précisant que les grandes banques peuvent absorber plus facilement le coût de la logistique informatique  et le fardeau administratif du resserrement de la réglementation.

Le marché évolue

Pour surmonter ces coûts élevés, les banques ont adopté différentes stratégies. Julius Baer a massivement augmenté sa présence en Asie l’année dernière en achetant la gestion de fortune hors Etats-Unis de Merrill Lynch, s’épargnant ainsi la peine de trouver et de cultiver elle-même ces clients.

Vontobel a fait équipe avec  la Banque d’Australie et de Nouvelle -Zélande (ANZ) pour distribuer ses produits, sans avoir à mettre en place sa propre infrastructure.

Evrard Bordier estime néanmoins qu’il y a de la place pour les petites banques comme la sienne. Le marché local évolue. Une clientèle attirée par le savoir-faire helvétique apparait, selon le banquier genevois.

«Tous les clients ne veulent pas faire un maximum d’argent. Certains apprécient de construire une relation avec leur banquier et de ne pas être sans cesse sollicités par leur banques pour de nouveaux produits.»

Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand

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