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Abus sexuels: la réponse de l’Eglise ne convainc pas

L’Eglise catholique Suisse a ses propres directives en matière de prévention des abus. akg images

Les nouvelles directives de l’Eglise catholique suisse sur les «abus sexuels dans le contexte ecclésial» ne sont pas suffisantes, aux yeux des victimes. L’Eglise se défend en mettant en avant les progrès réalisés.

La Suisse est également touchée par le scandale des prêtes abuseurs de l’Eglise catholique, qui comptent des victimes dans le monde entier. Mais «où sont les prêtres suisses accusés?», demande Gérard Falcioni, guide de ski et berger à Bramois, dans le canton du Valais.

Lui-même victime d’abus perpétrés par un prêtre local lorsqu’il était enfant, Gérard Falcioni est l’un des rares, en Suisse, à dire haut et fort ce qu’il pense de l’Eglise catholique et à raconter son histoire, dans deux livres et dans les médias. Mais il en a assez.

«Nous nous heurtons à un mur, nous ne pouvons rien faire, dit-il. Les prêtres eux, sont libres de faire ce qu’ils veulent.» Il n’est pas le seul à critiquer le manque de progrès faits pour s’attaquer aux abus sexuels au sein de l’Eglise.

Ainsi, pour Jean-Marie Fürbringer, président de l’association «Faire le pas», qui vient en aide aux victimes, l’Eglise a certes ouvert la porte au dialogue après de nouvelles révélations en 2010. «Mais nous avons l’impression que les problèmes et que la culture du silence demeurent», regrette-t-il.

«Les officiels serrent les mains des victimes, expriment leurs regrets mais on ne parle pas d’indemnisation et tout est toujours extrêmement discret. Nous avons l’impression que l’Eglise ne prend pas son rôle très au sérieux», ajoute Jean-Marie Fürbringer.

Selon ce fin connaisseur du dossier, l’Eglise est généralement mal informée. «Il y a quelques années, j’ai rencontré des prêtres qui étaient terrifiés que le problème soit bien plus grave qu’ils n’imaginaient.»

Dans un rapport, le premier depuis 14 ans, présenté début janvier à Genève, le comité de l’ONU sur les droits des enfants dénonce le fait que «le Vatican a placé continuellement la réputation de l’Eglise et la protection des coupables au-dessus des intérêts des enfants».

Le Vatican a ratifié la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant en 1990.

Pour les experts, le Vatican «a insuffisamment pris en considération les droits des enfants dans ses procédures judiciaires, législatives, administratives et dans ses programmes». Ces pratiques ont permis «la poursuite des abus et l’impunité des coupables».

Le Comité, composé de juristes, dénonce encore le fait que «des auteurs connus d’abus sexuels ont été transférés de paroisse en paroisse ou dans d’autres pays dans le but de couvrir de tels crimes, une pratique documentée par plusieurs commissions d’enquête nationales»

Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies demande au Vatican de déférer devant la justice tous les pédophiles au sein de l’Eglise. Il lui recommande aussi de former les prêtres et tous les membres des ordres ou des institutions sur la question des droits de l’enfant.

Nouvelles directives

A la fin du mois de janvier, au moment du long interrogatoire de responsables du Vatican par les experts de la protection de l’enfance de l’ONU à Genève et de la publication d’un rapport, l’Eglise catholique suisse a publié la troisième édition de ses directives sur les «Abus sexuels dans le contexte ecclésial». Elles sont signées conjointement par la Conférence des évêques suisses (CES) et par l’Union des supérieurs majeurs religieux de Suisse (USM).

«Par rapport aux éditions de décembre 2002 et juin 2010, les directives actuelles mettent plus fortement l’accent sur la prévention, que ce soit dans la formation ou la formation permanente», explique la CES. Le nombre de cercles concernés est également plus grand, car il inclut des activités non religieuses liées à l’Eglise (bénévolat, travail social, musique, par exemple).

Les directives visent aussi à garantir une meilleure transparence. De plus, «l’admission de séminaristes ou des candidats aux ordres ou aux communautés religieuses, par exemple, exige la présentation d’un extrait du casier judiciaire».  

«Les critiques de l’ONU ne s’appliquent pas à l’Eglise catholique suisse, dont l’attitude a toujours été systématique et transparente», déclare Joseph Bonnemain, secrétaire de la commission d’experts mise en place par l’Eglise suisse sur les abus sexuels.

Pointe de l’iceberg

Selon les dernières statistiques de la CES, entre 2009 et 2012, 193 victimes ont annoncé avoir subi des abus de la part de 172 prêtes et membres du clergé laïque dans des diocèses suisses depuis 1960. La plupart des cas concernent les clergés de St-Gall, Coire et Bâle.

Après l’avalanche de cas révélés en 2010, peu de nouvelles accusations ont été déposées. Le délai de prescription est presque toujours échu depuis longtemps. Dans certains cas, les prêtres coupables sont morts. Seule une minorité d’affaires ont donné lieu à une condamnation en justice, à l’éviction du prêtre ou à une compensation.

L’association «Faire le pas» continue à accueillir des victimes. «Mais nombre d’entre elles ont peur de dire ce qui leur est arrivé», souligne Jean-Marie Fürbringer, qui estime ne représenter qu’une petite minorité des cas – la pointe de l’iceberg.

Un autre groupe prenant en charge des victimes, le Groupe Sapec, se dit confiant dans la direction prise par l’Eglise. Les récents efforts «vont dans la bonne direction», note le président Jacques Nuoffer, qui a lui aussi subi des abus, dans la région de Fribourg. «Mais la mise en œuvre des mesures est très lente. De plus, les responsabilités sont régionales. Chaque évêque fait ce qu’il veut.

Le Saint-Siège a répondu qu’il examinerait les observations du comité «avec attention», mais a aussi critiqué «une tentative d’ingérence dans l’enseignement de l’Église sur la dignité de la personne et l’exercice de la liberté religieuse».

Depuis 2009 et l’éclatement du scandale de l’étendue des cas d’abus sexuels dans l’Église, le Saint-Siège s’est montré plus ferme envers les coupables. En janvier dernier encore, 400 prêtres ont été destitués pour ces raisons.



Le Pape François a également mis en place début décembre une commission pour la protection des mineurs chargée de prévenir les problèmes de pédophilie dans l’Église.

En avril 2013, le pape nouvellement élu avait déjà demandé d’agir avec détermination contre les sévices sexuels commis par des membres du clergé. Il souhaitait alors que soient promues les mesures de protection des mineurs et l’application des procédures prévues à l’encontre des coupables d’abus sur des enfants.
 

(sources: agences, France 24).

«Cela prend du temps»

Joseph Bonnemain rejette cette critique. Selon lui, l’attitude de l’Eglise envers les victimes et les normes mises en place «sont plus précises et plus complètes» que par le passé.

Les nouvelles directives doivent précisément donner un cadre «plus équilibré sur le plan suisse», ajoute le prêtre, dont la commission n’a aucune fonction de monitoring ni de pouvoir décisionnel. «Nous préférons offrir une offre professionnelle aux diocèses et aux autres organisations religieuses afin qu’elles abordent le dossier avec le sérieux et les compétences nécessaires. Convaincre et encourager les gens, cela prend du temps.»

Jacques Nuoffer, du Groupe Sapec, est tout à fait déterminé à continuer son combat pour la justice et la vérité, pour lui et pour les autres victimes. En 2012, il a écrit à la congrégation franco-suisse des missionnaires de St-François de Sales pour avoir des informations sur son abuseur et pour demander une réparation. La congrégation a refusé. Mais Jacques Nuoffer ne baisse pas les bras.

«Je veux être informé et je veux que l’Eglise reconnaissance le traumatisme que j’ai subi et m’accorde une indemnisation», revendique Jacques Nuoffer. Le mois dernier, il a pris place, en tant que représentant des victimes, au sein d’une commission de l’Eglise catholique chargée d’évaluer la question des réparations.

Jacques Nuoffer est également soutenu par une douzaine de parlementaires de Suisse romande pour créer, sur le modèle de ce qui existe en Belgique, un organe indépendant qui examinerait les cas et ferait office de médiateur.

«Nous devons trouver des solutions pour réparer les torts commis dans les affaires où le délai de prescription est déjà échu et pour trouver des mesures de prévention adéquates, estime le président du Groupe Sapec. Aussi longtemps que l’Eglise gère les cas, rien ne se passera. Certains évêques continuent à camper sur leurs positions et à rejeter toute solution de compensation.»

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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