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Un Pacte pour les migrations conforme à l’intérêt de la Suisse

Rédaction Swissinfo

Tout en approuvant le Pacte sur les migrations - un catalogue de mesures à même de réguler les mouvements de populations à l’échelle du monde -, le gouvernement suisse a finalement renoncé à se rendre à Marrakech en décembre pour la signature de ce document non contraignant. Ancien ambassadeur, François Nordmann explique pourquoi la valse-hésitation du gouvernement est dommageable pour l’équilibre des institutions helvétiques. Une analyse produite pour la revue Domaine PublicLien externe.

Sous le nom d’Initiative de Berne, la Suisse est à l’origine du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui sera ouvert à la signature des Etats les 10 et 11 décembre prochain. En 2002, elle a lancé des consultations entre experts pour définir une approche internationale du phénomène de la migration.

Ce premier effort débouchera sur la Déclaration de BerneLien externe sur les migrations, puis un Forum mondialLien externe prendra le relais. L’Onu a fini par s’approprier ce dossier en l’intégrant aux fameux Objectifs du développement durableLien externe adoptés en 2015. La Suisse a repris le problème de la migration dans sa stratégie nationaleLien externe de mise en œuvre du développement durable sous le double aspect de «migration et santé» et «migration et développement».

En 2016, l’Assemblée générale de l’Onu décida d’élaborer un Pacte pour la migrationLien externe et parallèlement un document sur la politique envers les réfugiés, sous l’empire de l’émotion suscitée par les foules de migrants du Proche-Orient qui marchaient vers l’Europe à l’été 2015. Deux des pays qui avaient accueilli le Forum mondial sur la migration et le développement, la Suisse et le Mexique, furent chargés de piloter conjointement les travaux du groupe intergouvernemental qui devait rédiger le Pacte sur les migrants; pour ce qui est des réfugiés, la tâche incomba au Haut Commissariat aux réfugiés. L’Onu et l’Organisation internationale des migrations assurèrent le secrétariat. Il s’ensuivit une série de consultations d’experts et de gouvernements avant l’adoption le 13 juillet dernier de la version finaleLien externe du Pacte.

Des lignes directrices non contraignantes

Ce document porte mal son nom: il n’a pas de caractère contraignant, à la demande notamment de l’Union européenne. C’est un ensemble de principes et d’engagements politiques destinés à organiser le parcours et la prise en charge des migrants, «compact» en anglais.

Inspiré par les clubs de réflexion politique qui se développent en France au début des années 60, Domaine Public paraît pour la première fois en octobre 1963. Indépendante, la revue exprime les idées de la gauche réformiste en Suisse romande. En 2006, Domaine Public abandonne le print pour se déployer sur le net, en accès libre. Son conseil d’administration est présidé par Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération.   

Tout homme a le droit de quitter son pays et d’y revenir, proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme. Divers instruments juridiques protègent les migrants – pactes sur les droits humains, interdiction de la traite, de la discrimination et de l’exploitation, convention sur le travail des migrants, etc. Un accent particulier est mis sur les migrants les plus vulnérables, dont les femmes et les enfants. En même temps, le droit des Etats à faire respecter leur souveraineté et notamment leur législation sur l’admission des étrangers est également rappelé.

Le Pacte comporte trois parties, dix principes directeurs et 23 objectifs. Pour chaque objectif, les Etats sont invités à choisir librement des instruments facultatifs de mise en œuvre.

La première partie du Pacte offre une conception d’ensemble de la coopération internationale pour gérer les migrations. Aucun Etat ne peut prétendre régler seul la question.

La seconde partie, plus opérationnelle, indique les moyens d’éviter le processus d’une migration forcée ou désordonnée en lui fixant un cadre. Il s’agit de signaler les situations qui forcent les migrants à partir, notamment par l’échange de données et d’information, de lutter contre l’immigration irrégulière, notamment en renforçant la sécurité aux frontières, d’indiquer les éléments d’une migration sûre et ordonnée et de prévoir des mesures d’intégration et des politiques de développement dans les pays d’origine et dans les pays de destination. Le Pacte préconise également des mesures de sécurité, de protection et de sauvetage dans les pays de transit, y compris des facilités de communication.

Le thème «migration et développement» forme la troisième partie du document.

Une nécessaire coopération entre les Etats

Après avoir détaillé les politiques d’intégration et de développement applicable aux migrants, le Pacte souligne la nécessaire coopération entre les Etats pour assurer la réadmission des migrants qui doivent rentrer chez eux. Il rappelle l’obligation des pays d’origine de réadmettre leurs nationaux, d’aider à les identifier et à leur donner les documents nécessaires. La mise en œuvre des engagements volontaires pris, le cas échéant, par les pays signataires donnera lieu à une conférence d’examen tous les quatre ans, permettant de revoir les expériences et les pratiques des différents acteurs.

Même si le Pacte ne crée pas d’obligations nouvelles, il a été l’objet d’attaques par les milieux populistes et les mouvements hostiles aux migrants pour deux raisons principales. D’abord il s’inspire d’une philosophie réaliste, qui voit dans la migration un phénomène irréversible, amplifié par la mondialisation, qu’il convient d’encadrer et d’humaniser à l’aide des instruments existants. Il indique la voie à suivre pour un transit et une intégration réussis, sans rien enlever au droit des Etats de refuser l’admission de migrants sur leur territoire. Mais le Pacte considère aussi que la migration est une source de développement et de prospérité dont tous les participants pourraient bénéficier au vu de la situation démographique – travail dans les pays développés vieillissants à court de main-d’œuvre, envoi d’argent aux familles restées dans les pays d’origine des migrants…

La valse-hésitation helvétique

Le Conseil fédéralLien externe n’a pu que constater que le Pacte «correspond aux intérêts de la Suisse en matière migratoire» et que notre pays applique déjà les recommandations du Pacte dans les divers domaines politiques envisagés, quitte à clarifier par une déclaration explicative l’un ou l’autre instrument facultatif de mise en œuvre. Il a donc décidé, en date du 10 octobre dernier, d’approuver le Pacte mondial des Nations unies sur les migrations.

Un ministre des affaires étrangères plus motivé aurait pu empêcher que des commissions parlementaires mal avisées ne remettent en cause cette décision, qui est clairement de la compétence de l’exécutif. Aujourd’hui, on en est réduit à attendre les débats parlementaires qui auront lieu au début décembre avant de pouvoir signer le Pacte: cette confusion des pouvoirs nuit à l’équilibre des institutions et au fonctionnement de la Constitution fédérale.

Cette article a été publiéLien externe le 22 novembre 2018 dans la revue DOMAINE PUBLICLien externe.

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