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La Suisse veut sauver ses médecins de famille

Les peuple et les cantons ont plébiscité le soutien aux médecins de famille. Keystone

Les Suisses ont exprimé leur soutien dimanche à la profession des médecins de famille, menacée de déclin, en plébiscitant un article constitutionnel sur les soins médicaux de base. Un vote qui s’inscrit dans les efforts pour faire face au vieillissement démographique et rééquilibrer la répartition des médecins sur le territoire.

Le texte, accepté par 88% des votants et par la totalité des cantons, stipule d’une part que la Confédération et les cantons doivent s’engager à ce que chacun ait accès à des soins médicaux de base suffisants et de qualité. D’autre part, les autorités sont invitées à promouvoir la médecine de famille comme une composante essentielle de ces soins.

Les professionnels de la santé n’ont pas caché leur satisfaction face à ce résultat en forme de plébiscite. François Héritier, vice-président de l’Association des médecins de famille, a jugé que l’argument de la pénurie de médecins de famille a fait mouche. L’organisation faîtière des assurances Santésuisse a constaté pour sa part que ce vote montre l’attachement de la population à la médecine de proximité.

Berne devra maintenant légiférer pour favoriser la formation et le perfectionnement des professionnels exerçant la médecine de base, et leur garantir une rémunération appropriée. Ces mesures doivent viser en particulier à lutter contre la pénurie de médecins de familles – surtout dans les régions périphériques – favorisée notamment par les conditions salariales moins avantageuses qui s’offrent à ces médecins par rapport aux spécialistes.

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Vieillissement et maladies chroniques

L’article constitutionnel approuvé dimanche avait été présenté par le Parlement comme contre-projet à l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille», lancée par les professionnels du secteur en 2009, et qui avait recueilli en six mois seulement plus de 200’000 signatures valables, soit le double du nombre nécessaire. Avant cela, les blouses blanches étaient descendues dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol, un fait inédit en Suisse.

Le texte demandait à la Confédération de promouvoir le rôle des médecins de famille, et d’améliorer leur situation professionnelle et financière.

Selon les promoteurs, la Suisse aura besoin dans les prochaines années d’un nombre bien supérieur de médecins de famille en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques et multiples. Or, depuis plusieurs années, leurs effectifs ne font que diminuer. Actuellement, seuls 10% des étudiants en médecine choisissent cette branche, alors que la grande majorité opte pour la spécialisation, beaucoup mieux rémunérée. Ainsi, au moment de la retraite, de nombreux médecins de famille n’ont pas de successeur.

Gouvernement et Parlement ont reconnu la légitimité des préoccupations des initiants, mais ils ont jugé problématique le fait que le texte se focalise sur une seule profession, celle de médecin de famille. Ils ont donc décidé de lui opposer un contre-projet direct, accepté dimanche. Ce texte avait mis presque tout le monde d’accord. Au point que les promoteurs de «Oui à la médecine de famille» avaient retiré leur initiative.

Art. 117a (nouveau) – Soins médicaux de base

1 Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons veillent à ce que chacun ait accès à des soins médicaux de base suffisants et de qualité. Ils reconnaissent la médecine de famille comme une composante essentielle des soins médicaux de base et l’encouragent.

2 La Confédération légifère:
a. sur la formation de base et la formation spécialisée dans le domaine des professions des soins médicaux de base et sur les conditions d’exercice de ces professions;
b. sur la rémunération appropriée des prestations de la médecine de famille.

Approche globale indispensable

L’objectif du contre-projet est d’avoir un nombre suffisant de professionnels de la santé, adéquatement formés pour garantir une assistance sanitaire à toute la population, partout dans le pays, rapidement et selon des standards de qualité élevés. En plus des médecins de famille, les soins de base devraient englober également les spécialistes, les pharmaciens, les ergothérapeutes, les physiothérapeutes ou encore les nutritionnistes.

Une approche globale indispensable pour faire face à l’augmentation des maladies chroniques, soulignent les professionnels de la santé.

Au Parlement, l’opposition au projet s’est limitée à l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice). Dans les derniers jours de la campagne, un comité formé de politiciens de droite et de médecins est toutefois monté au créneau pour mettre en garde contre les risques d’une « nationalisation de la santé » et de hausse des coûts de la santé. A leurs yeux également, le fait d’inscrire dans la Constitution un droit à des revenus plus élevés pour une seule catégorie professionnelle est contraire aux principes d’un Etat libéral.

Une critique répétée dimanche par le parlementaire UDC Toni Bortoluzzi, selon lequel la dépendance des médecins à l’égard de l’Etat va s’accroître.

Mesures déjà en cours

En plus de l’article constitutionnel, la Confédération, les cantons et les organisations de médecins planchent actuellement sur une série de mesures, notamment dans le domaine de la formation, applicables à court et à moyen terme, à l’initiative du ministre de la santé Alain Berset.

Le gouvernement fédéral a par ailleurs l’intention d’autoriser une hausse du prix des analyses de laboratoire effectuées dans les cabinets des médecins de famille, qui devrait leur rapporter globalement 35 millions de francs de plus par année. En outre, une augmentation du tarif des prestations devrait leur rapporter 200 autres millions de plus.

Explosion des coûts

Reste que ce vote ne va pas résoudre les problèmes chroniques dont souffre depuis des années le système de santé suisse, qui fait face à une hausse constante des coûts et des primes d’assurances pour les caisses maladie.

Selon les chiffres publiés il y a quelques jours par l’Office fédéral de la santé publique, les coûts de la santé ont encore augmenté de 5,3% en 2012, par rapport à l’année précédente. Chaque habitant du pays a en moyenne occasionné des coûts pour 709 francs par mois, pour un total de 68 milliards de francs. Les dépenses de santé équivalent à 11.5% du Produit Intérieur Brut (PIB).

Depuis de nombreuses années, gouvernement et parlement tentent en vain de se mettre d’accord sur des mesures pour enrayer cette spirale des coûts. Et les projets de réforme sont régulièrement combattus par les parties concernées, médecins, pharmaciens, hôpitaux ou encore assureurs, qui disposent de relais puissants aux Chambres fédérales.

Selon les chiffres de la Fédération des médecins suisses (FMH), il y avait 31’858 praticiens dans le pays en 2012, soit 3,3% de plus que l’année précédente. 62,5% étaient des hommes et 37,5% des femmes. La progression de nombre de femmes a été plus marquée (+5,8%) que celle du nombre d’hommes (+1,8%).

53,1% des médecins exercent principalement dans le secteur ambulatoire, 45,2% dans le secteur hospitalier et 1,7% dans d’autres cadres. Les professionnels de la médecine de soins primaires (y compris les pédiatres) représentent environ 45% du corps médical.

La part des femmes est de 42,2% dans le secteur hospitalier, 33,9% dans le secteur ambulatoire et 26,8% dans les autres. Mais les femmes sont majoritaires dans la tranche d’âge 25-34 ans. Au vu de l’augmentation de la proportion de femmes parmi les étudiants en médecine et parmi les médecins de moins de 40 ans, la part féminine va croître dans les prochaines années, d’autant que de nombreux médecins hommes vont prendre leur retraite.

L’âge moyen des médecins est de 48,8 ans: 45 ans pour les femmes, 51 ans pour les hommes.

La féminisation de la profession accentue encore le problème de la relève chez les médecins de famille, parce que beaucoup de femmes optent pour une activité à temps partiel, afin de pouvoir s’occuper de leurs enfants. Or en 2012, 88% des médecins généralistes (hommes et femmes) déclaraient travailler en moyenne plus de 55 heures par semaine.

(avec la collaboration de Sonia Fenazzi et Armando Mombelli)

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