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Pakistan: le crépuscule de Pervez Musharraf

Fauzia Wahab, proche de Benazir Bhutto, rescapée d'attentat, assurée d'être élue. swissinfo

Les élections législatives de lundi vont démontrer une fois de plus la faible audience des partis islamistes dans le Pays des Purs.

Les résultats qui devraient tomber mardi matin peuvent déclencher des contestations qui, si elles s’aggravent, déboucheront sur une demande de destitution du président Pervez Musharraf.

Elle l’avait appris par un appel de Suisse: le second choc, le plus terrible. Au bout du fil, une amie en larmes apprenait à Fauzia Wahab que Benazir Bhutto venait d’être tuée à Rawalpindi.

Deux mois auparavant, à Karachi, la députée était sur le pont de ce camion, avec l’héritière du clan Bhutto, quand deux kamikazes avaient déjà tenté de briser le retour triomphal au pays de l’ancien Premier ministre. Les deux femmes avaient échappé par miracle à ce carnage.

Ce lundi, Fauzia Wahab est candidate du Parti du peuple du Pakistan (PPP) à l’Assemblée nationale, et elle sait qu’elle sera réélue. Du sud au nord du pays, de Karachi à Peshawar, l’image de Benazir est aussi omniprésente – en madone martyre, en ombre protectrice derrière les candidats – que celle du président Pervez Musharraf est absente.

Un coup de force judiciaire

Le nom de l’ancien général, bien sûr, n’est aujourd’hui sur aucune liste : il s’est fait réélire à la tête de l’Etat il y a quatre mois par un coup de force judiciaire. Mais la manière dont les candidats du PML-Q (la faction de la Ligue musulmane fidèle à Musharraf) ont évacué toute référence à leur patron en dit long sur la popularité réelle de l’homme qui vantait en janvier, de Davos à Londres, sa «modération éclairée», et promettait pour le 18 février des élections «honnêtes et transparentes».

Avec une commission électorale sous le contrôle étroit de la présidence, la promesse faite aux Européens a rencontré pas mal de doutes. Mais dans le Pakistan qui vote dans la peur, où l’abstention sera aggravée par la crainte des bombes, les électeurs ont déjà fait connaître leurs sentiments.

Le retour des partis féodaux

Deux organismes américains, plutôt indépendants, ont conduit des études d’opinion à la veille du vote. Elles montrent les mêmes tendances : les deux grands partis féodaux reviennent. Le PPP des Bhutto (Asif Ali Zardari, le veuf inéligible pour cause de corruption, chaperonne l’héritier Bilawal) devrait recueillir entre le tiers et la moitié des voix, et bien au-delà de son fief du Sindh.

La Ligue musulmane restée fidèle à Nawaz Sharif, l’ancien Premier ministre et rival permanent de Benazir Bhutto, devrait obtenir le quart des suffrages ou plus, et pas seulement dans le Pendjab qui est sa base. Sharif lui-même est inéligible, pour cause de détournement d’avion : en 1999, au moment du coup d’Etat de Pervez Musharraf, il avait tenté d’empêcher l’appareil du général d’atterrir dans la capitale.

Selon les études américaines, le PML-Q lié à la présidence serait réduit à un peu plus de 10% des voix.

Les partis islamistes vont connaître une déroute. Le Jamiat-i-islami (JI), le plus vieux d’entre eux, boycotte l’élection, parce qu’il ne les croit pas honnêtes, ou parce qu’il ne veut pas afficher sa faiblesse. Son concurrent, le Jamiat Ulema-e-Islam (JUI), est prêt à entrer dans une coalition sous la houlette de Pervez Musharraf.

L’allergie au radicalisme islamique

Car le Pakistan, contrairement à ce que peuvent laisser penser des épouvantails agités en Occident, n’est pas à la veille de basculer dans le radicalisme islamique. Les Pakistanais sont profondément allergiques à ce bouillon-là, que des généraux (Zia Ul-Haq) ont voulu leur faire avaler pour des motifs de politique extérieure.

Les chancres du pays sont au dehors: le Cachemire, l’Afghanistan ; ils alimentent un extrémisme armé, minoritaire et instrumentalisé. Le conflit afghan est d’autant plus déstabilisant qu’il mobilise la population pachtoune, aux nord-ouest, et des deux côtés de la frontière.

Dans la première guerre, contre l’Armée rouge, les Pachtounes étaient du parti des vainqueurs, appuyés par les Américains. Dans la seconde, après le 11 septembre 2001, les bombes leur tombent sur la tête, et les tribus considèrent que cette guerre qu’on leur impose n’est pas la leur. C’est aussi l’avis de l’écrasante majorité des Pakistanais. Et c’est le problème central de Pervez Musharraf puisque cette guerre impopulaire, il a accepté de la mener.

Les transitions politiques, pour sortir d’une période d’autoritarisme, ont rarement été douces au Pakistan. Mais le pire n’est jamais sûr. Les résultats qui commenceront à tomber mardi matin peuvent déclencher des contestations qui, si elles s’aggravent, déboucheront sur une demande de destitution du président. Un marchandage n’est pourtant pas exclu. Après tout, c’est ce qu’avait entrepris et presque conclu Benazir Bhutto, juste avant de mourir.

swissinfo, Alain Campiotti, de retour de Karachi et Peshawar

Pour la Suisse, le Pakistan est un pays intéressant, à manier avec des pincettes. Balance commercialement très largement excédentaire : plus de 300 millions de francs d’exportations, dix fois moins d’importations. Récemment, le Conseil fédéral (gouvernement) a suspendu un contrat d’armement (systèmes de défense antiaérienne) compte tenu du conflit aggravé dans la province du Nord-Ouest, sur la frontière afghane.

La Suisse a goûté aussi au mal endémique du Pakistan, la corruption, par les deux bouts. Au ras du sol, elle a dû faire le ménage dans ses représentations (Islamabad et Karachi) après avoir découvert un gros trafic de visas.

Au sommet, la justice genevoise a dû se pencher sur des commissions que les époux Bhutto encaissaient quand ils étaient aux commandes. Asif Ali Zardari, veuf et héritier, était connu aux Pakistan sous le surnom de «Mr 10%». Il a passé onze années en prison, jurant qu’il était innocent.swissinfo, Alain Campiotti

La Suisse a reconnu l’indépendance du Pakistan dès sa proclamation, en 1947. Les deux pays ont établi des relations diplomatiques en 1949.

En 1966, ils ont signé un accord de coopération technique, complété en 1975 par un accord sur l’aide en cas de catastrophe.

Après que le Pakistan a été choisi comme pays prioritaire de la coopération suisse au développement, l’agence suisse de coopération (DDC) a ouvert un bureau de coordination à Islamabad en 1977.

Pendant le conflit du Bangladesh entre l’Inde et le Pakistan (1971), la Suisse représentait les intérêts du Pakistan en Inde et ceux de l’Inde au Pakistan. Dans les années 1970 et 1980, elle a conclu plusieurs accords de rééchelonnement de la dette avec le Pakistan.

Le Pakistan est aujourd’hui un partenaire important de la Suisse en Asie. Une série d’accords économiques facilitent les affaires. La coopération au développement continue à jouer un rôle important.

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