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Pascal Couchepin intrigue les Libanais

Le président suisse a effectué une visite éclair, mais non dénuée de courtoisie aux pensionnaires de l'association «Mission de vie». Pierre Vaudan

Le président de la Confédération a quitté le Liban dimanche après une visite inédite de trois jours. Non sans avoir piqué la curiosité des Libanais par ses déclarations sur la question palestinienne. Reportage.

La précision suisse n’a décidément pas cours au Liban. Sur les hauts d’Antélias, bourgade située à quelques kilomètres au nord de Beyrouth, pensionnaires et missionnaires de l’association «Mission de vie» piaffent d’impatience en ce samedi après-midi, deuxième jour de la visite officielle de Pascal Couchepin au Liban.

Alors que le président de la Confédération était attendu à 17 heures, il n’a toujours pas donné signe de vie quarante minutes plus tard.

Dans ce centre flambant neuf dévolu à l’accueil des plus démunis et construit grâce à des capitaux suisses, c’est donc l’occasion pour les plus petits pensionnaires de répéter chansons et poèmes.

Du côté des services de sécurité postés tout autour de l’immense complexe de béton, on préfère revoir sa check-list, contrôler encore quelques sacs et papiers d’identité, se promener l’œil aux aguets en marmonnant des consignes à son col de chemise, un doigt pressé sur son oreillette.

Les journalistes, eux, s’ennuient, revoient leurs notes, les photographes prennent des photos qui ne seront jamais publiées.

Coup de sang

Soudain, on stresse du côté de la sécurité. Face à l’entrée du bâtiment où doit s’arrêter le président suisse, de l’autre côté d’un profond ravin, une voiture s’est arrêtée et l’on distingue nettement ses occupants debout derrière les portières ouvertes qui regardent en direction du centre.

Les talkies-walkies crépitent. Un gendarme à moto démarre en trombe et une poignée de barbouzes grimpent sur un monticule de terre pour former un bouclier et signifier aux inconnus qu’ils ont été repérés. La manœuvre fonctionne. Une poignée de minutes de ce face-à-face tendu et la voiture décampe. Personne n’aura le fin mot de l’histoire. La tension retombe.

Les journalistes ne relisent plus leurs notes et regardent le soleil qui décline sur le littoral, les photographes ne prennent plus de photos. Derrière, un groupe de cadets a entonné une nouvelle série de «Viva».

Au pas de charge

Il est dix-huit heures et la sirène d’une moto de police annonce la visite tant attendue. Quelques instants plus tard, c’est un Pascal Couchepin en tenue sportive, chemise «Mammut» et baskets de randonnée, qui émerge de l’un des 4×4 noirs aux vitres teintées du convoi.

Il faut dire qu’après les réceptions, conférence de presse et dîner officiels de la veille, le président vient de passer une journée «informelle» avec son homologue libanais Michel Sleiman dans la montagne.

Manifestement de bonne humeur, Pascal Couchepin a un mot gentil ou une plaisanterie pour chacun et s’émeut de savoir que, parmi les plus petits pensionnaires, certains ont des parents en prison, et que d’autres sont des enfants des rues.

La visite des locaux se fait toutefois au pas de charge. Une dégustation de taboulé dans des cuisines «offertes par l’Etat du Valais» et quelques chansons et poèmes plus tard, c’est l’heure d’une mini-conférence de presse improvisée avant le départ.

Question palestinienne sensible

L’occasion pour une journaliste d’An-Nahar, grand quotidien libanais de langue arabe, de demander au président de préciser sa pensée sur une déclaration faite la veille et dans laquelle il estimait que s’il y avait bien un «droit au retour» reconnu des réfugiés palestiniens installés au Liban, il soulignait que «dans la pratique, on ne pouvait imaginer de droit à un retour massif». Des mots qui ont fait ici l’effet d’une bombe.

Car malgré les profondes divisions qui minent la classe politique libanaise, une question au moins fait l’unanimité, la volonté de tous de voir les réfugiés palestiniens quitter le Liban tôt ou tard.

«Le Liban avec sa population ne peut pas absorber 300 ou 400’000 réfugiés, reconnaît Pascal Couchepin. Ces gens ont une patrie, ils avaient des villages et des maisons donc il y a un droit de retour, mais qui est difficilement praticable. Il faut donc trouver une solution pour qu’ils aient au moins une compensation s’ils ne peuvent pas retourner chez eux.»

Est-ce un message que le président suisse est venu délivrer au Liban ? La journaliste d’An-Nahar ne le saura pas. «Il faut régler le problème palestinien à l’échelle internationale et dans ce cadre-là régler le problème des réfugiés palestiniens au Liban», conclut le président, qui plaide pour un subtil équilibre entre «justice et réalisme».

Aux Libanais d’agir

Le président suisse se refuse à faire un bilan politique de sa visite mais confie qu’après avoir connu le Liban en 1982, juste avant l’invasion israélienne, puis en 1998, durant l’occupation syrienne, son sentiment est qu’il y a «un net progrès».

«Petit à petit renaît un gouvernement qui regroupe toutes les forces politiques, constate-t-il. Le président Sleiman essaie de réunir les Libanais et partout on parle ‘réconciliation’». Pascal Couchepin croit-il à cette réconciliation? «Si on n’y croit pas, il faut arrêter de faire de la politique», assène-t-il.

Quant aux bons offices suisses, s’ils ont sans doute aidé à l’Accord de Doha de mai dernier – qui devait mettre un terme à deux ans de crise institutionnelle -, Pascal Couchepin estime aujourd’hui que «si les Libanais peuvent régler leur problème eux-mêmes, c’est mieux de le faire sans les Suisses et sans les autres». Un message?

swissinfo, Pierre Vaudan à Antélias

Après des combats qui ont fait plusieurs dizaines de morts à Beyrouth et dans la montagne en mai dernier, un accord signé au Qatar entre les parties libanaises a permis l’élection du général Michel Sleiman à la présidence alors que le poste était vacant depuis cinq mois.

Un gouvernement d’entente nationale a même été formé le 11 juillet suivant.

Le président libanais «qui aborde son travail avec un œil neuf dans le but de recréer l’unité du Liban», selon Pascal Couchepin, a aussi lancé il y a quelques semaines un dialogue national dont le premier round a été un échec.

Dans le nord du pays, à Tripoli, des attentats à la bombe visant l’armée se succèdent après des affrontements sanglants entre Alaouites et Sunnites.

Par ailleurs, si des tentatives de réconciliation ont été menées récemment entre parties sunnites et chiites, c’est le camp chrétien qui apparaît aujourd’hui le plus divisé.

Il y a une quinzaine de jours, des heurts entre les Forces Libanaises de Samir Geagea et les Marada de Sleiman Frangié ont même fait deux morts.

Mais comme le souligne Pascal Couchepin, la tâche entreprise par le président libanais «est un travail de longue haleine».

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