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«Je ne peux pas sortir de l’aide sociale: la crèche coûte trop cher»

Des enfants sur un lit
Les enfants accroissent le risque de pauvreté en Suisse. La photo montre deux jeunes jouant dans la brocante d'Emmen [image d'illustration]. Keystone / Christof Schuerpf

Parmi les bénéficiaires de l'aide sociale en Suisse figurent de nombreuses mères célibataires. Entretien avec l’une d’elles qui dépend de l'aide sociale malgré un emploi à temps partiel, une pension alimentaire et les allocations familiales.

La pauvreté est un sujet difficile à aborder en Suisse, car les personnes touchées se retrouvent dans des situations complexes et précaires. De plus, la dépendance à l’égard de l’aide sociale est souvent mal perçue par la frange de la population qui ne doit pas affronter de tels problèmes.

Une personne a toutefois accepté de nous raconter son histoire, mais elle souhaite rester anonyme. Nous rencontrons cette mère célibataire dans un café, pendant que les enfants sont à la crèche et à l’école.

L’aide sociale en Suisse

Ultime filet du système de sécurité sociale (après épuisement des indemnités de l’assurance chômage, de l’assurance invalidité ou de l’assurance perte de gain en cas de maladie), l’aide sociale assure le minimum vital. Les prestations doivent être remboursées si la situation économique du bénéficiaire s’est améliorée ou en cas d’héritage par exemple. Les conditionsLien externe varient d’un canton à l’autre.

swissinfo.ch: Pourquoi avez-vous fait appel à l’aide sociale?

Je suis mère célibataire et n’arrive pas à joindre les deux bouts. J’ai eu un fils en 2009. Ma grossesse n’était pas planifiée: je ne vivais pas avec le père de l’enfant.

Avez-vous toujours travaillé?

Oui. La plupart du temps, à 40 ou à 50%. Pour l’heure, je travaille un jour par semaine seulement. Je ne peux pas sortir de l’aide sociale, car la crèche coûte très cher. Ayant désormais deux enfants, je ne souhaite pas travailler à 100%. Si je trouvais un bon emploi, je pourrais travailler à 60 ou à 70%. La crèche pour ma fille de trois ans coûte 150 francs par jour. Je ne peux pas payer moi-même les frais de garde. Ceux-ci sont actuellement couverts par l’aide sociale.

Effet de seuil

Selon la CSIAS, l’interaction entre les prestations sociales, le revenu provenant d’une activité lucrative et les impôts peuvent être source d’«effets de seuil». La personne concernée verra ainsi son revenu diminuer malgré (ou à cause d’) une augmentation du revenu provenant d’une activité lucrative. Le «revenu disponible» désigne le montant dont dispose une famille après déduction des frais fixes et des impôts. Selon la CSIAS, les effets de seuil conduisent à des incitations négatives au travail et contredisent le principe selon lequel le travail doit être payant. Une élimination des effets de seuil permet de faciliter la sortie de l’aide sociale.

Source: CSIASLien externe

On parle de l’«effet de seuil». Lorsqu’une mère célibataire augmente son taux d’activité pour quitter l’aide sociale, elle dispose de moins d’argent. Combien devriez-vous gagner pour renoncer à l’aide sociale et vivre plus confortablement?

Mmmh… J’ai un loyer de 1700 francs par mois pour un appartement de quatre pièces et paie environ 50 francs pour le téléphone, l’électricité et Internet. L’assurance maladie coûte très cher: 500 francs par mois pour nous trois. Ayant «seulement» fait un apprentissage de vendeuse, je gagne 21 à 22 francs bruts par heure. Il me faudrait sans doute gagner 5000 francs par mois, mais, avec ma formation, je ne toucherai jamais autant, même en travaillant à 100 %. Je ne pense pas pouvoir sortir de l’aide sociale tant que la crèche – si chère – reste nécessaire avant que mes enfants n’entrent à l’école.

De quel montant disposez-vous par mois après déduction des frais fixes?

Je reçois, en moyenne, 1400 francs par mois pour couvrir les besoins de base. Avec cela, je paye la nourriture, les factures et les vêtements pour les enfants. C’est vite dépensé.


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Quels sont les postes de dépenses qui posent problème?

Je dirais la nourriture et l’habillement. Les enfants grandissent si vite. Deux fois par saison, je dois acheter de nouvelles chaussures. Je vais au marché aux puces et fais les soldes. Parfois, des amis m’offrent quelque chose. La nourriture et les vêtements pour les enfants constituent les plus grosses dépenses.

Avoir des enfants accroît le risque de pauvreté

En Suisse, quelque 278 000 personnes, soit 3,3% de la population, sont au bénéfice de l’aide sociale. Un tiers d’entre elles sont des enfants et des adolescents. Les familles monoparentales présentent un risque accru de dépendre de l’aide sociale.

Source: Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS)Lien externe

Ne peut-on plus se permettre d’avoir des enfants en Suisse? Sont-ils devenus un luxe?

Un enfant coûte très cher. Il faut en tenir compte avant d’en avoir un. Les enfants sont un plaisir qui revient cher, mais aussi une source de bonheur (rires). Je me dis toujours: j’ai un appartement et à manger, je peux payer les factures et même partir en vacances, si c’est bon marché. Ce qui est déjà bien en comparaison avec d’autres pays.

Vous ne vous sentez donc pas abandonnée?

J’ai une amie – également mère célibataire – qui vit en Allemagne. Selon elle, on ne reçoit rien en Allemagne. Nous nous en sortons bien ici. Mais les frais de garde des enfants sont mieux pris en charge dans d’autres pays. En Suisse, sur ce plan-là, nous sommes à l’âge de pierre.

En Suisse, outre les frais de garde, les loyers sont très élevés.

Oui, je dois payer 100 francs pour l’appartement. Les frais couverts par l’aide sociale pour le logement s’élèvent à 1600 francs seulement. Je voulais vivre en ville. A la campagne, les loyers sont moins chers, mais mes prestations financières de l’aide sociale diminueraient.

Comment réagissent les gens lorsque vous leur dites que vous êtes au bénéfice de l’aide sociale?

Certaines personnes pensent que je ne fais que me tourner les pouces. Mais j’ai toujours travaillé. Et j’ai deux enfants à la maison, ce qui représente déjà beaucoup de travail.

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A quoi devez-vous renoncer? Qu’est-ce que vous ne pouvez pas vous permettre, même si c’est important?

Je ne fais presque rien pour moi, comme du shopping ou un repas au restaurant. Ou encore un tatouage: c’est cher, mais j’aimerais ne pas devoir y renoncer. Des amis m’offrent parfois des bons pour me faire tatouer.

Qu’en est-il des frais de santé?

J’ai une assurance complémentaire facultative, que je paie moi-même, parce que l’aide sociale ne la couvre pas. J’envoie toutes les factures médicales, puis dois patienter pour savoir si elles seront remboursées ou non. J’ai récemment reçu, à la suite d’un accident, une facture d’ambulance s’élevant à 900 francs. Je dois désormais vérifier auprès de mon employeur si l’assurance accident couvre ce risque.

 L’aide sociale couvre-t-elle les frais de dentiste?

Cela varie. J’aurais besoin d’un traitement de racine sur deux dents, mais c’est extrêmement cher. L’aide sociale ne paie pas ce type de traitement, seulement les arrachements de dents. J’ai deux trous actuellement. Mon fils a, lui, besoin d’un appareil dentaire pour corriger un prognathisme inférieur. Le père de mon fils prendrait en charge la moitié des frais. L’appareil dentaire coûte 5000 francs. Je dois maintenant vérifier si l’autre moitié sera payée par l’aide sociale.

Les enfants souffrent-ils de la situation?

L’aîné souhaite parfois aller en vacances à un endroit précis ou au cinéma. Je réponds alors qu’on n’a pas tant d’argent que cela. Je fais attention à ne pas dire: «Nous sommes pauvres.» Je ne pense pas que nous soyons pauvres. Je lui dis que nous avons tout ce dont nous avons besoin. Les enfants ne manquent de rien.

Plus

Est-il difficile en Suisse de vivre avec peu, alors que d’autres personnes ont tant?

Pas forcément. Quand mes amis me disent qu’ils sortent dîner ou qu’ils vont à Zurich, j’aimerais bien les accompagner. Je ne le peux pas, car le budget ne me le permet pas, mais je ne me sens pas pauvre. Je suis une personne positive.

Quel est votre souhait le plus cher pour l’avenir?

Ne plus dépendre de l’Etat. Que je puisse payer toutes mes dépenses moi-même, grâce à mon emploi.

Traduction de l’allemand: Zélie Schaller

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