Des perspectives suisses en 10 langues

«JF Comment n’a jamais recherché la reconnaissance ou les mondanités»

Un homme peint
Jean-François Comment au début des années 1960. Max Meury

Peintre jurassien à l’œuvre prolifique, au tempérament fort et au succès digne, Jean-François Comment aurait eu 100 ans cette année. Son fils Bernard commémore cet anniversaire avec trois expositions dont «l’impact se verra dans un proche avenir», estime-t-il.

Dans l’imposant ouvrage illustré, parcouru d’analyses et publié sous le titre «Jean-François Comment 100 ans», on découvre une photo du peintre jurassien portant sur ses épaules son fils Bernard avec ce regard amusé d’enfant heureux. Aujourd’hui, c’est Bernard Comment qui porte son père, né en 1919 à Porrentruy et mort dans cette même ville en 2002. La photo est attendrissante, autant qu’est rigoureux le travail entrepris par le fils qui a créé en 2008 la Fondation Jean-François Comment Lien externeainsi qu’un musée virtuel dédié à la très riche œuvre de son père (vitraux, aquarelles, huile sur toile, lithographies…).

Aujourd’hui, c’est le centenaire de la naissance de JF Comment que le fils célèbre avec la publication du livre susmentionné et une grande rétrospective réunissant les œuvres du peintre en trois expositions. L’une s’est achevée le 11 août dernier, les deux autres portent sur deux périodes clés de la vie du peintre: la figuration et l’abstraction. Elles courent jusqu’en novembre et se tiennent dans le Jura, à Porrentruy et à Moutier. Entretien à cette occasion avec Bernard Comment, écrivain et éditeur, établi à Paris.

Un tableau rouge
Bernard Comment

swissinfo.ch: Jean-François Comment «fut un père formidable», dites-vous. Le fils que vous êtes le lui rend-il bien aujourd’hui?

Bernard Comment: En tout cas j’essaie. Mon frère et moi avons eu l’idée de créer cette Fondation qui nous aide à maintenir vivante l’œuvre de mon père. Nous avons par ailleurs saisi l’occasion du centenaire pour réaliser un travail de mémoire et d’hommage au peintre. C’est dans cet esprit que la grande rétrospective est organisée. Je pense que tout cela prend une ampleur dont l’impact se verra dans un proche avenir.

En 1960, votre père connaît dans son travail une grande mutation: il passe de la figuration à l’abstraction. Or cette année-là est celle de votre naissance. Y voyez-vous un heureux hasard?

«Il essaiera toute sa vie de restituer cette magie.»

(Rires). Je n’ai pas la prétention de jouer un rôle déterminant dans l’orientation qu’a connue la peinture de mon père. Je pense qu’il s’agit là d’une maturation lente. Le passage de la figuration à l’abstraction fut accéléré par la première commande de vitraux faite à mon père en 1955 et qui aboutira plus tard à la réalisation des vitraux pour la chapelle de l’hôpital de Porrentruy. C’est à cette époque-là que Jean-François Comment découvre la technique du vitrail chez Barillet, grand maître verrier parisien qui l’avait emmené en forêt de Fontainebleau pour lui faire connaître les artisans de la fonderie et la magie de leur travail. Cette découverte va le marquer durablement: il essaiera toute sa vie de restituer cette magie.

Autre date importante dans le passage à l’abstraction: 1958 qui marque la première exposition des peintres américains à la Kunsthalle de Bâle.

Un tableau avec un cheval rouge
Écuyère, 1954. Bernard Comment

Pollock, Rothko, de Kooning, on a parfois dit que la peinture de votre père rappelle celle de ces artistes américains. Y voyez-vous néanmoins une différence?

Ah oui! Il y a beaucoup de différences. Je précise que mon père ne connaissait pas ces peintres. Ce fut donc un choc très exaltant pour lui lorsqu’en 1958 il les découvre à Bâle et constate qu’il existe de l’autre côté de l’Atlantique des artistes qui mènent des recherches assez proches des siennes. 

Mon père avait son univers à lui. Un historien de l’art un peu pressé serait tenté d’établir des liens entre le style de Jean-François Comment et celui de telle ou telle école. Or c’est faux. Disons qu’il y avait entre mon père et les Américains une sorte de fraternité télépathique. L’abstraction chez lui pouvait être l’expression d’un tourment intérieur.

Vous parlez de «l’omniprésence du danger» dans lœuvre de votre père. Peut-on y lire une peur de la catastrophe souvent constatée dans la peinture, la littérature ou le cinéma suisse?

Disons qu’on peut y lire une certaine noirceur du temps, mais toujours accompagnée d’une lueur: d’espoir. Mon père était taraudé par la question jurassienne. L’indépendance du Jura fut un combat pour lui; il est resté profondément fidèle à sa terre natale, alors que les collectionneurs lui conseillaient de s’installer à Bâle ou à New-York.

«L’abstraction chez lui pouvait être l’expression d’un tourment intérieur.»

Vous dites précisément que son combat a nui à sa carrière. C’est-à-dire?

Il s’est trouvé à un moment donné dans de réelles difficultés financières. Le canton de Berne, dont le Jura faisait partie, avait une politique culturelle forte: il achetait des tableaux à des peintres suisses. Or, en raison de l’engagement politique de mon père, les commandes publiques qui lui étaient faites auparavant baissaient. Cela ressemblait à des mesures de rétorsion.

Un homme qui peint
Jean-François Comment au travail dans les années 70. Bernard Comment

Lœuvre de JF Comment fut exposée au Japon, en Grèce, en Italie, entre autres. Sa reconnaissance internationale arrive au début des années 60, vers l’âge de 44 ans. Est-elle tardive à vos yeux?

Non, elle est plutôt pertinente car elle arrive au moment où il s’engage pleinement dans l’abstraction, avec une touche et un style affirmés. Ses tableaux se retrouvent donc dans les grandes expositions internationales. À sa manière, il participe à la modernité artistique. Il représentera la Suisse à la prestigieuse biennale de Tokyo, en 1963.

Son succès à l’étranger a-t-il renforcé son succès local?

Les deux sont allés de pair. Mais ce qui a confirmé sa notoriété en Suisse, c’est surtout un portrait que lui avait consacré la Télévision suisse romande en 1971. Ceci dit, Jean-François Comment n’a jamais recherché la reconnaissance ou les mondanités. Il ne s’est jamais «installé» dans le succès. Il remettait toujours en question son travail.

Vous dites qu’il avait «la grandeur naïve». Un commentaire?

C’est-à-dire qu’il n’était pas carriériste, il pensait que son œuvre suffisait et qu’il n’y avait pas besoin de manigancer pour que ses tableaux plaisent.

Contenu externe

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision