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Pervez Musharraf a payé la guerre dans les urnes

Au pouvoir depuis un putsch en 1999, Pervez Musharraf est de plus en plus isolé. Keystone

Le président pakistanais a payé son engagement dans la «guerre contre le terrorisme» que les électeurs tiennent pour un conflit importé.

Les deux partis d’opposition auraient obtenu 154 des 268 sièges parlementaires en jeu lundi. Malgré ce revers, Pervez Musharraf refuse de démissionner.

Le Pakistan a vécu lundi une révolution démocratique. Le président Pervez Musharraf, qui le matin contrôlait tous les pouvoirs, n’était plus le soir qu’un ex-général sur un siège vacillant : le Parlement est désormais dressé contre lui. Il faudra pourtant plus que des élections honnêtes pour apaiser le Pays des Purs.

Marc Bouvier le sait bien. Ce Jurassien dirige à Peshawar la grosse délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans la Province du Nord-ouest travaillée par la guerre.

L’insécurité est telle dans les zones tribales collées à la frontière afghane que le CICR hésite a dépêcher des secours dans les vallées où des populations déplacées en auraient besoin. Au début du mois, deux de ses employés locaux, qui accompagnaient un convoi dans l’agence de Khyber, sur la route de Kaboul, ont été enlevés.

Quelque chose a basculé

Même Peshawar, capitale apparemment calme de la province, est une ville à haut risque. Lundi, les femmes étaient très peu nombreuses dans les bureaux de vote. Des tracts et le bouche à oreille l’avaient fait savoir: les électrices seraient en danger si elles enfreignaient l’ordre taliban de ne pas approcher des urnes.

Le résultat des élections dans la NWFP (la province troublées des tribus pachtounes) semble pourtant indiquer que quelque chose a basculé.

En 2002, une alliance de partis islamistes y avait réalisé une percée spectaculaire. Six ans plus tard, le Jamiat Ulema-e-Islam (JUI), le principal de ces mouvements, a essuyé un cuisant revers. Son chef, Fazal ur-Rehman, figure nationale, n’a même pas été réélu à Dera Ismail Khan, son fief, ou sud-ouest de Peshawar.

Le sens d’une déroute

Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette déroute. Le leader du JUI, dont le parti fut pendant la première guerre d’Afghanistan un vivier pour les combattants talibans, s’était rapproché au cours des dernières années de Pervez Musharraf, et il menait des discussions avec les Américains.

Si le Jamiat accompagne dans la défaite la faction de la Ligne musulmane (PML-Q) fidèle au président, c’est parce que les Pakistanais rejettent en masse la guerre qui descend de la frontière afghane, jusque dans les villes, comme une guerre importée.

Depuis le début de l’année, les Américains ont multiplié les pressions sur Islamabad afin que l’armée pakistanaise s’implique davantage dans la traque à Al Qaida et aux talibans dans la zone frontière.

Insistance américaine contre-productive

Mike Mullen, le «joint chief of staff», et le directeur de la CIA, Michael Hayden, ont tous deux fait le déplacement de Rawalpindi pour convaincre les ex-collègues de Pervez Musharraf, qui n’est plus général depuis l’automne dernier.

Et comme pour montrer l’exemple, ils ont exécuté un lieutenant d’Oussama ben Laden, près de la frontière afghane mais sur sol pakistanais, au moyen d’un missile Hellfire tiré par un drone. L’état-major pakistanais n’avait pas donné son feu vert: il n’avait même pas été informé.

L’insistance américaine a eu dans le pays un effet parfaitement contre-productif. Une centaine d’officiers supérieurs à la retraite ont signé en janvier une pétition demandant à Pervez Musharraf de se retirer.

Argument principal: leur ancien chef a eu le grand tort d’associer le Pakistan, sur son propre sol, à un conflit qui n’est pas le sien.

Cette sortie des généraux était à l’unisson de l’opinion, massivement opposée à la guerre, avec parfois des arguments irrationnels. Il n’est pas rare d’entendre des Pakistanais expliquer, surtout chez les Pachtounes, que la «talibanisation», bien réelle dans le Nord-Ouest, est une manipulation américaine pour briser leur pays.

Un terrible boomerang

Pour Pervez Musharraf, c’est un terrible boomerang. Quand il s’était emparé du pouvoir en 1999, le général était tout à fait acquis à l’intervention de l’armée, ouverte ou clandestine, au Cachemire et en Afghanistan, pour donner au Pakistan une «profondeur stratégique».

Après le 11 septembre 2001, sommé par les Etats-Unis qui voulaient détruire le régime taliban de Kaboul et ses hôtes d’Al Qaida, Musharraf a accepté de combattre ceux que la veille il contribuait à armer.

La guerre, très vite, a traversé la frontière. Et l’an passé, au moment de la prise de la Mosquée Rouge par un groupe extrémiste, puis de son écrasement en juillet, le conflit venu d’ailleurs a touché le cœur même de la capitale.

Le général-président accentuait en même temps le caractère autoritaire de son pouvoir. L’opposition à celui qui prétendait s’inspirer d’une «modération éclairée» s’est radicalisée.

Lundi, il a payé la facture. L’étonnant, c’est que la sanction est venue par des élections réellement libres et honnêtes, comme il l’avait promis, dans l’incrédulité générale.

swissinfo, Alain Campiotti, de retour de Peshawar

Pour la Suisse, le Pakistan est un pays intéressant, à manier avec des pincettes. Balance commerciale très largement excédentaire : plus de 300 millions de francs d’exportations, dix fois moins d’importations. Récemment, le Conseil fédéral (gouvernement) a suspendu un contrat d’armement (systèmes de défense antiaérienne) compte tenu du conflit aggravé dans la province du Nord-Ouest, sur la frontière afghane.

La Suisse a goûté aussi au mal endémique du Pakistan, la corruption, par les deux bouts. Au ras du sol, elle a dû faire le ménage dans ses représentations (Islamabad et Karachi) après avoir découvert un gros trafic de visas.

Au sommet, la justice genevoise a dû se pencher sur des commissions que les époux Bhutto encaissaient quand ils étaient aux commandes. Asif Ali Zardari, veuf et héritier, était connu aux Pakistan sous le surnom de «Mr 10%». Il a passé onze années en prison, jurant qu’il était innocent.

La Suisse a reconnu l’indépendance du Pakistan dès sa proclamation, en 1947. Les deux pays ont établi des relations diplomatiques en 1949.

En 1966, ils ont signé un accord de coopération technique, complété en 1975 par un accord sur l’aide en cas de catastrophe.

Après que le Pakistan a été choisi comme pays prioritaire de la coopération suisse au développement, l’agence suisse de coopération (DDC) a ouvert un bureau de coordination à Islamabad en 1977.

Pendant le conflit du Bangladesh entre l’Inde et le Pakistan (1971), la Suisse représentait les intérêts du Pakistan en Inde et ceux de l’Inde au Pakistan. Dans les années 1970 et 1980, elle a conclu plusieurs accords de rééchelonnement de la dette avec le Pakistan.

Le Pakistan est aujourd’hui un partenaire important de la Suisse en Asie. Une série d’accords économiques facilitent les affaires. La coopération au développement continue à jouer un rôle important.

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