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Philias ou l’idéalisme pragmatique

Bettina Ferdman Guerrier: «Je crois que Philias peut changer le monde. Avec modestie et pas à pas.» (Photo: Edipresse / Pascal Frautschi) Edipresse / Pascal Frautschi

La fondation à but non lucratif Philias, qui s'est donnée pour mission de promouvoir le rôle social des entreprises, fête ses cinq ans.

La clé de sa réussite: associer idéaux et logique commerciale. Rencontre avec sa fondatrice et directrice Bettina Ferdman Guerrier.

Pour Bettina Ferdman Guerrier, la responsabilité sociale est une préoccupation de longue date. A 18 ans, elle lance une association avec des amis pour faire de la prévention contre le sida.

Ce projet l’amène à collaborer avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Par la suite, elle développe différents projets avec ces mêmes partenaires.

En 2000, Bettina Ferdman Guerrier crée la fondation Philias, à Genève.

swissinfo: Quelle est la philosophie de Philias?

Bettina Ferdman Guerrier: L’entreprise est un moteur de notre société. Elle est là pour faire du profit et créer des emplois. Mais elle peut aussi agir en tant que citoyen responsable.

Nous sommes là pour promouvoir ce rôle social et aider l’entreprise à le mettre en place concrètement. Nous ne la jugeons pas, nous l’accompagnons dans son projet.

swissinfo: Pratiquement, comment collaborez-vous avec les entreprises?

B.F.G.: Il y a deux chemins différents. Parfois, c’est l’entreprise qui nous contacte parce qu’elle a la volonté d’agir dans un domaine. Nous l’aidons à donner vie à des valeurs abstraites.

Par exemple, la banque BNP Paribas nous a approchés parce qu’elle souhaitait agir pour les enfants en Suisse. Mais beaucoup de projets existent déjà dans ce domaine. Après quelques recherches, nous avons trouvé un secteur qui n’était pas encore soutenu: l’art-thérapie. Cela permet aux enfants gravement malades ou en fin de vie d’exprimer leurs douleurs et leurs angoisses. La banque s’est engagée dans ce projet.

L’autre méthode, c’est lorsque l’impulsion vient de nous. Il y a deux ans, nous avons par exemple développé un partenariat avec l’Etat de Genève pour l’intégration des handicapés dans le monde du travail.

swissinfo: Vous ne craignez pas que les entreprises se servent de vous comme outil de marketing? Autrement dit, vous n’avez pas peur d’être manipulés?

B.F.G.: Notre position est claire face à cela. Si les entreprises agissent positivement et souhaitent ensuite communiquer, on n’y voit pas de mal. Cela peut même encourager d’autres entreprises à s’engager. Bien sûr, nos projets n’ont pas pour priorité de redorer le blason des entreprises.

Avons-nous déjà été manipulés ou utilisés? Utilisés, d’une certaine manière, oui. Mais cela a permis de mettre sur pied des projets qui ont un impact dans la société.

swissinfo: Jusqu’ici, vous n’avez jamais dû renoncer à une collaboration pour ces raisons-là?

B.F.G.: Non. Mais on verra dans le futur. On se laisse évidemment toute la liberté d’arrêter de travailler avec une entreprise qui se serait servie de nous pour des raisons qui ne sont pas honnêtes ou utiles pour la société.

swissinfo: Selon vous, pourquoi parle-t-on plus d’éthique dans les entreprises aujourd’hui qu’hier? Est-ce le fait d’une prise de conscience ou d’une nécessité accrue?

B.F.G.: Un peu des deux. D’une part, il y a eu une prise de conscience liée notamment à des scandales, comme Swissair ou Enron. Aujourd’hui, les citoyens ne se contentent plus d’un produit de qualité. Ils veulent aussi savoir comment l’entreprise se comporte.

D’autre part, les inégalités sociales sont de plus en plus importantes. Ces inégalités, présentes dans la société, se retrouvent dans le fonctionnement des entreprises qui sont confrontées à leur capacité non seulement à faire du profit mais à agir pour que notre société soit saine.

swissinfo: Au départ, cette prise de conscience était surtout tournée vers l’environnement – le consommateur se soucie de l’écologie – mais moins vers l’aspect social. Va-t-on vers un changement?

B.F.G.: Même s’il reste beaucoup à faire, je pense que les choses sont en train de changer. Il est vrai que lorsqu’on parle de développement durable, on pense surtout environnement. C’est surtout le cas en Suisse alémanique.

Je pense qu’il y a plusieurs explications. D’abord, il y a eu un événement marquant: la catastrophe de Schweizerhalle, à Bâle, avec Sandoz. Et puis, c’est plus facile de mesurer les actes en matière d’écologie.

Au niveau social, c’est moins tangible. Comment mesurer les aspects liés à l’absentéisme, à l’intégration de personnes handicapées ou les questions liées au mobbing?

En plus, ce sont des problématiques qui remettent en question ceux qui s’en occupent au sein de l’entreprise…

swissinfo: Philias existe depuis cinq ans. Qu’est-ce qui vous donne l’envie de poursuivre votre mission au quotidien?

B.F.G.: C’est difficile à dire. Je crois que Philias peut… changer le monde. En tout cas, y participer. Tout en restant modeste et pragmatique.

C’est ce qui nous fait nous lever le matin pour venir travailler. Cette impression qu’on peut faire la différence.

swissinfo: Ça doit être difficile de transmettre un message idéaliste dans le monde du business… Le pragmatisme, le pas à pas, c’est la recette de votre réussite?

B.F.G.: Oui. Il n’y a que ça, j’en suis certaine. Un idéalisme accompagné d’arguments avec une logique commerciale à toute épreuve.

Interview swissinfo: Alexandra Richard

– Philias a été créée en 2000 à Genève.

– La fondation s’est donnée pour mission d’encourager et de soutenir les entreprises dans la prise de conscience et le développement de leur responsabilité sociale.

– Cinq ans plus tard, la fondation à but non lucratif a grandi.

– Au début de l’année, une antenne a été ouverte à Zurich. Sa priorité sera de convaincre les entreprises alémaniques que le développement durable passe non seulement par l’écologie, mais aussi par l’aspect social.

– Philias a également développé un réseau international. Elle collabore avec 18 fondations similaires en Europe. Parmi ses contacts: le Prince Charles, président du partenaire britannique de Philias.

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