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Une loi spéciale pour sortir les banques du guêpier américain

Widmer-Schlumpf : « Il s'agissait d'une offre unilatérale, que l'on ne pouvait pas négocier.» Keystone

Le gouvernement suisse a adopté une base juridique qui doit permettre aux banques helvétiques de régler leur contentieux fiscal avec les Etats-Unis. Elles pourront coopérer avec la justice américaine sans violer le secret bancaire.

Cette autorisation spéciale adoptée mercredi doit permettre aux banques suisses de livrer de nouvelles informations sur le comportement de leur personnel et de leurs clients qui ont fraudé le fisc américain à hauteur de plusieurs milliards de dollars.

En annonçant cette mesure devant la presse, la ministre suisse des finances Eveline Widmer-Schlumpf n’a fourni aucun détail sur les amendes que les banques pourraient avoir à payer. Mais des sources ont articulé un montant total de 10 milliards de dollars.

Le différend fiscal entre la Suisse et les Etats-Unis sur les citoyens américains qui ont caché leurs avoirs dans des banques suisses dure depuis plus de cinq ans.

Première visée par le fisc américain, la banque UBS a réussi à se sortir d’affaire en 2010. Pour les autres, il aura fallu attendre ce mercredi. Les principales étapes de ce conflit:

11 juin 2008: les autorités américaines soupçonnent des conseillers d’UBS d’avoir incité des clients américains à frauder le fisc américain (IRS) et demandent l’entraide judiciaire de la Suisse. Elles exigent de l’UBS les données de 20’000 clients américains.

19 juin 2008: l’ancien banquier Bradley Birkenfeld reconnaît devant la justice avoir aidé des clients à frauder le fisc lorsqu’il était au service de l’UBS.

18 février 2009: pour mettre un terme au différend fiscal, l’Autorité suisse de surveillance des marchés financiers (FINMA) autorise l’UBS à livrer des données bancaires de 300 clients aux autorités américaines. La banque verse 780 millions de dollars à la justice américaine.

19 février 2009: les autorités fiscales américaines exigent la livraison d’informations concernant les comptes de 52’000 clients. L’UBS refuse.

19 août 2009: la Suisse et les Etats-Unis signent un accord dans lequel Berne s’engage à livrer, dans un délai d’un an, des données concernant 4450 comptes de clients américains de l’UBS. En échange, Washington renonce à une plainte civile pour forcer la banque à fournir au fisc le nom des 52’000 clients.

22 janvier 2010: le Tribunal administratif fédéral accepte le recours d’une contribuable américaine dont le dossier figure parmi les 4450 que Berne s’est engagée à livrer aux autorités américaines. Il estime qu’il n’y a pas de base légale suffisante pour l’accord d’août 2009. L’entraide aux Etats-Unis est stoppée.

Session de juin 2010: le Parlement adopte l’accord avec Washington après de longues tergiversations.

ATS

La solution trouvée avec les Etats-Unis prévoit que chaque banque devra choisir si elle veut participer à un programme américain réglant son passé. «La participation est individuelle et facultative, mais non négociable», a déclaré la ministre.

Cette solution est ancrée dans une loi urgente qui sera valable une seule année. Les Chambres fédérales (Parlement) devront se prononcer lors de la session d’été qui débute lundi prochain.

Les Etats-Unis ne dévoileront le contenu de ce programme proposé aux banques suisses qu’après le feu vert du Parlement helvétique. Il n’appartient pas au gouvernement suisse de divulguer cette offre américaine unilatérale, selon Eveline Widmer-Schlumpf.

La Suisse n’a donc pas signé d’accord avec les Etats-Unis. Mais elle a participé aux discussions sur le contenu du programme offert par Washington et a pu faire valoir plusieurs points, selon la grande argentière. «Les deux années de négociation n’ont donc pas servi à rien », a répondu Eveline Widmer-Schlumpf à une question d’un journaliste.

Elle a souligné que la livraison de noms de clients ne fait pas partie de l’accord annoncé mercredi. Pour cela, les autorités américaines devront passer par la voie normale de l’entraide judiciaire.

Selon le communiqué du ministère suisse des finances, «les banques qui collaborent avec le département américain de la justice sont tenues d’assurer la plus large protection possible aux membres de leur personnel.

Cette protection inclut l’obligation d’informer à l’avance les personnes concernées, le droit des membres du personnel d’être renseignés, le devoir d’assistance contractuel et la protection contre la discrimination et le licenciement.

De son coté, l’Association suisse des employés de banque (ASEB) déclare avoir trouvé un accord avec l’Association suisse des banquiers (ASB) et l’association patronale des banques.

«Grâce à cet accord entre partenaires sociaux, les collaborateurs dont le nom doit être livré bénéficient de garanties contre les conséquences en Suisse de cette livraison», assure l’ASEB.

Au Parlement d’agir

Et d’avertir que le Parlement serait bien avisé d’accepter la seule solution raisonnable qui lui est soumise. D’autant plus que le temps presse: les Etats-Unis ont entamé les préparatifs pour poursuivre plusieurs autres banques, selon la ministre.

Parmi les établissements déjà sous enquête formelle aux États-Unis figurent Credit Suisse, Julius Baer, ​​la branche suisse de la banque britannique HSBC, la banque privée Pictet à Genève ou les banques cantonales de Zurich et de Bâle.

UBS, la plus grande banque du pays, a été contrainte en 2009 de payer une amende de 780 millions de dollars et de livrer les noms de plus de 4000 clients, fournissant ainsi aux autorités américaines des informations qui leur ont ensuite permis de poursuivre d’autres banques suisses.

Il y a deux ans, le gouvernement suisse a entamé des négociations avec les autorités américaines pour tenter de résoudre le litige fiscal. Mais il a été paralysé par les lois sur le secret bancaire ainsi que les querelles entre les banques du pays à ce sujet.

La ministre des Finances a aussi déclaré que le gouvernement n’allait pas offrir une aide financière pour les banques qui cherchent un règlement individuel.

Des partis très réticents

La solution exposée mercredi par la ministre des finances n’enthousiasme guère les partis gouvernementaux.

Pour le parti socialiste (PS) il n’est pas normal d’appuyer des établissements qui se sont mis eux-mêmes en difficulté face à la justice américaine. Les socialistes ne voteront pas l’accord au Parlement. Pour eux, il faut plutôt relancer l’idée d’un passage à l’échange automatique d’informations en matière fiscale.

L’UDC (droite conservatrice) qualifie l’accord de “débâcle”. Dans un communiqué, le parti estime que la solution proposée n’est pas une solution globale, contredisant complètement la volonté initiale du Conseil fédéral.

Il n’est pas question que l’UDC offre son concours à un exercice précipité et dénué de tout sérieux. Le conflit fiscal avec les Etats-Unis est une guerre économique et du rançonnage, poursuit l’UDC, qui ne précise toutefois pas clairement s’il votera contre l’arrangement avec les Américains.

Pour le PLR (droite), le Conseil fédéral fait endosser la responsabilité au Parlement sans que celui-ci ne connaisse la solution dans les détails. Selon l’un de ses représentants, Ruedi Noser, Berne aurait pu conclure le deal il y a deux ans déjà sans avoir recours à l’urgence et sans consulter le Parlement. Pour cela, il n’y a pas besoin d’une loi, estime-t-il.

Le parlementaire démocrate-chrétien (centre) Pirmin Bischof soutient l’idée que les banques doivent elles-mêmes se mettre d’accord avec les Etats-Unis. En revanche, il se montre beaucoup plus réticent sur la procédure d’urgence voulue par le Conseil fédéral.

Seul le PBD – parti de la ministre des finances – soutient la solution présentée par sa conseillère fédérale, estimant qu’il est grand temps de tirer un trait sur le conflit fiscal avec les Etats-Unis.

De son côté, l’Association suisse des banquiers (ASB) approuve en estimant que la problématique fiscale pourra être réglée de façon juridiquement irréprochable et exhaustive grâce à la nouvelle loi.

Par contre, les banquiers suisses se disent surpris que le contenu du programme proposé aux établissements helvétiques par Washington ne soit pas dévoilé.

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