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Pluie d’amendes sur les sociétés suisses aux USA

Treize millions de lésés par Zurich Financial Services toucheront 35 dollars chacun. Keystone

UBS, Credit Suisse, Zurich Financial Services, Novartis, ABB…. Au cours des 24 derniers mois, les sociétés suisses ont écopé de centaines de millions de dollars de pénalité aux Etats-Unis.

ABB: 58,3 millions de dollars, en septembre. Novartis: 422 millions, en septembre aussi. Zurich Financial Services: 455 millions, le mois dernier. UBS n’est de loin pas la seule à avoir perdu des plumes sur le marché américain. Si la banque a atteint un plafond en se voyant infliger une pénalité de 780 millions de dollars pour évasion fiscale, la liste des entreprises suisses amendées aux Etats-Unis ces derniers mois est longue comme le bras (lire ci-contre).

Et les amendes – ou les arrangements auxquels les entreprises souscrivent pour couper court aux procédures judiciaires – sont extrêmement coûteuses. Qu’il soit question d’entente cartellaire, de corruption dans des pays étrangers, de marketing illicite de médicaments ou de violation d’embargos, les factures se libellent outre-Atlantique en dizaines ou en centaines de millions.

Un marché dangereux pour tout le monde

«Les entreprises helvétiques ne sont pas la cible d’une chasse aux sorcières», rassure Peter Widmer avocat chez Homburger, qui fut l’un des négociateurs clé de l’accord entre les grandes banques suisses et les Etats-Unis dans l’affaire des fonds en déshérence. «Mais au niveau légal, le marché américain est dangereux pour tout le monde». Un terrain miné, qu’il s’agisse de contentieux civils ou pénaux.

«La SEC [gendarme américain des marchés financiers, ndlr] jouit d’un pouvoir énorme. Je ne connais pas d’autre instance de surveillance des marchés avec une marge de manœuvre aussi importante», illustre Jean-Marc Carnicé, de chez BCCC, avocat aux barreaux de Genève et de New York.

Les particuliers aussi ont le pouvoir de mettre les entreprises à leur pied, notamment via le levier de la «class action» qui permet de regrouper les plaignants pour multiplier leurs forces. Si Zurich Financial Services doit débourser 455 millions dans une affaire d’honoraires excessifs, c’est parce qu’il a fallu passer un accord avec 13 millions de lésés… qui ne toucheront que la modique somme de 35 dollars chacun.

Montants pharaoniques

Dans le droit suisse, nulle trace de ces dédommagements à grande échelle. Ni de condamnations à hauteur de montants pharaoniques (exception faite du domaine de la concurrence, lire ci-contre).

«La justice suisse n’est pas laxiste, elle ne dispose tout simplement pas des mêmes outils», estime Jean-Marc Carnicé. Il n’est par exemple possible d’attaquer une entreprise sur le plan pénal que depuis 2003. Et d’après l’article 102 du Code pénal, l’amende maximum à laquelle celle-ci s’expose est alors de 5 millions de francs.

Pénalités en hausse

«La justice américaine peut se permettre d’être sévère parce que les entreprises ont quoi qu’il arrive besoin d’être présentes aux Etats-Unis», ajoute Jean-Marc Carnicé. «Le marché helvétique n’a pas la même attractivité. Si la Suisse infligeait des amendes de 500 millions aux multinationales, elles iraient voir ailleurs.»

Dominant de ce rapport de force, Washington continue de serrer la vis. «Ces deux dernières années, nous observons un nombre croissant de pénalités très élevées, explique Harry First, professeur de droit à la New York University et spécialiste des crimes économiques. C’est le fruit d’une tendance palpable depuis les années 1990: les instances judiciaires s’intéressent de plus en plus aux crimes économiques.»

Frais exorbitants

ABB en a récemment fait les frais. Accusée d’avoir payé des pots-de-vin au Mexique et en Irak pour décrocher des marchés, l’entreprise suisse a été contrainte de débourser 58,3 millions. L’entreprise est tombée sous le coup du FCPA, loi qui traite des cas de corruption d’officiels dans les pays étrangers.

Les PME ne sont pas épargnées. Ainsi, la société américano-fribourgeoise Maxwell (équipements électriques, 101 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2009) est sous le coup d’une procédure pour un cas présumé de corruption en Chine, remontant vraisemblablement à 2009. L’entreprise dit s’attendre à devoir payer 6,35 millions de dollars.

«Le FCPA est en vigueur depuis 1977. Mais pendant longtemps, la loi n’a pas été suffisamment appliquée, commente Harry First. Il ne faut pas oublier que, d’une certaine manière, il y a une composante politique dans l’assiduité avec laquelle les dossiers sont traités.»

Dans le cas d’ABB, l’entreprise a signé le chèque avant la fin de la procédure. Aux Etats-Unis, les «settlements», ou accords à l’amiable, scellent de nombreux cas. A l’instar du fameux litige UBS-USA qui a tenu la Suisse en haleine pendant des mois. Car outre-Atlantique, les frais de justice sont colossaux et les procédures dangereusement longues. ZFS doit ainsi payer 90 millions de dollars d’honoraires à ses avocats, dans le cadre du cas réglé le mois dernier et que la justice avait ouvert… en 2003.

«L’issue est toujours incertaine, même lorsque les entreprises sont convaincues d’être dans leur bon droit», analyse Peter Widmer.

La tentation est alors grande de céder aux arrangements. Même si ceux-ci résonnent toujours comme des aveux de culpabilité.

Pénalités de sociétés suisses aux USA, en dollars

780 millions: Le 18 février 2009, UBS trouve un accord avec la justice américaine pour clore la plus grande affaire d’évasion fiscale de toute l’histoire suisse. Il lui en coûtera 780 millions.

536 millions: le 16 décembre 2009, Credit Suisse écope de l’amende la plus élevée jamais infligée pour violation d’embargo économique. Elle doit payer 536 millions pour avoir traité avec des Iraniens, Lybiens et Soudanais.

455 millions: Le 7 octobre 2010, l’assureur Zurich Financial Services annonce qu’il versera 455 millions à des assurés de sa filiale Farmers pour régler un contentieux lié à des frais de commission.

422 millions: Le 30 septembre 2010, le groupe Novartis annonce qu’il plaidera coupable d’infraction aux directives de commercialisation (pour le Trileptal) et que cela lui coûtera 422,5 millions.

354 millions: Le 24 mars 2009, la Cour fédérale de New York tranche: Credit Suisse doit verser 354 millions à STMicroelectronics pour un contentieux lié à des produits financiers.

250 millions: Le 19 mai 2010, Novartis doit payer ce qui est selon Bloomberg la pénalité la plus élevée pour de la discrimination, soit 250 millions, à 5600 employées, pour avoir versé des salaires inférieures aux femmes.

58,3 millions: Le 29 septembre 2010, le groupe ABB solde des poursuites pour corruption en Irak et au Mexique par un paiement de 58,3 millions.

22 millions: Le 30 septembre 2010, les groupes de logistique Panalpina et Kühne+Nagel écopent d’une amende de 12 millions pour le premier et 10 millions pour le second, pour entente cartellaire.

En Suisse et en Europe, seule l’entrave à la concurrence est réprimée avec autant de sévérité que le sont d’autres délits économiques aux Etats-Unis.

La Commission fédérale de la concurrence a par exemple infligé une amende (toujours impayée) de 333 millions de francs à l’opérateur Swisscom pour abus de position dominante.

A Bruxelles, le fabricant de processeurs Intel a écopé en 2009 d’une amende record de 1,06 milliard d’euros (1,4 mia de francs).

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