Un Internet furtif américain pour le printemps arabe
Washington développe un Internet furtif, tenant dans une valise, permettant aux dissidents de déjouer la censure des régimes dictatoriaux. Pourquoi la liberté d’accès au Net est-elle une constante américaine? Décryptage par deux spécialistes suisses.
Le New York Times vient de le révéler. Les Etats-Unis sont en train de développer des réseaux de téléphones portables indépendants, un Internet furtif, à même de contourner les entraves et la censure du réseau par les régimes autoritaires. Le grand quotidien de la côte Est décrit ainsi les recherches menées par de jeunes entrepreneurs de Washington pour mettre au point les équipements de ce réseau annoncé comme indétectable et qui peuvent tenir dans une valise ordinaire.
Financée par une allocation de deux millions de dollars du département d’Etat (ministère des affaires étrangères des Etats-Unis), cette valise doit pouvoir franchir les frontières d’un pays donné et les équipements y être rapidement assemblés pour permettre des communications sans fil sur une vaste zone avec un accès à Internet.
«Ce projet semble assez abouti, commente Stéphane Koch. Une partie du concept repose sur un logiciel qui va s’intégrer dans les appareils existants (ordinateur portable, téléphone mobile). Cette couche supplémentaire sera invisible et permettra de créer un réseau, chaque appareil faisant office de relais de cet Internet furtif.»
Des technologies à double tranchant
Et ce spécialiste des technologies de l’information d’avertir: «Toutes les technologies de communication sont à double tranchant. Ainsi, les ondes qui circulent dans l’air peuvent être interceptées. Les technologies furtives créées par Washington laissent aussi des traces qui sont autant de signatures. Elles peuvent dès lors être identifiées par le régime répressif visé pour piéger ou arrêter ses utilisateurs. Ce système sera donc fonctionnel à ses débuts et devra développer de nouvelles contre-mesures à chaque parade mise en place par la partie adverse.»
Cet engagement des Etats-Unis en faveur d’un réseau libre et ouvert remonte au début du web. Mais il a redoublé depuis l’arrivée d’un familier du Net – Barack Obama – à la Maison blanche et surtout depuis le début des soulèvements populaires dans les pays arabes – des révolutions boostées aux réseaux sociaux – et les actions de censure ou d’interruption de l’internet par les régimes contestés.
Avance stratégique
«L’engagement de l’administration Obama en faveur de la liberté sur Internet est sincère. Mais il s’inscrit aussi dans le cadre d’une politique de leadership fort, pour ne pas dire hégémonique, sur le réseau des réseaux », souligne Yves Lador.
Selon ce consultant genevois, les Etats-Unis continuent de standardiser l’internet. Ce qui leur permet de maintenir leur avance dans ce domaine devenu stratégique sur le plan économique, voire militaire.
Stéphane Koch y voit même un possible changement de stratégie à l’égard des régimes autoritaires de la région: «Ce soutien à des cyberdissidents apparait comme bien plus positif qu’une opération militaire en termes d’image et de nombres de tués et blessés, tout en étant aussi, voire plus dommageable pour le régime visé, responsable de la répression et des pertes en vies humaines.»
Ce faisant, les Etats-Unis veulent garder un avantage stratégique sur le réseau, selon Stéphane Koch. «Deux sénateurs américains ont déposé, début 2011, un amendement appelé “Protecting Cyberspace as a National Asset Act”, un projet qui vise à donner aux Etats-Unis la capacité d’interrompre le réseau (killer switch) en cas de nécessité stratégique, comme dans le cas d’une cyber-attaque massive, un acte de guerre, selon Washington.»
Double langage
Spécialiste également des cyber-conflits, Stéphane Koch relève que ce qui est bon à l’encontre des pays sous dictature ne l’est pas forcément aux Etats-Unis même. Et de citer le cas de Wikileaks, combattu par le même gouvernement américain.
Ce double langage ne surprend pas Yves Lador: «Tous les Etats, même les plus démocratiques, tiennent ce double discours. Mais comme on l’a vu lors du récent e-G8 (à Deauville fin mai) Washington défend plus fermement la liberté sur le Net qu’un pays comme la France qui veut «civiliser l’Internet».
De fait, les Etats-Unis – comme l’a déclaré plusieurs fois sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton – cherche à inscrire l’accès à un Internet libre comme un droit de l’Homme.
Un droit de l’homme
«La liberté d’expression sur Internet un enjeu essentiel en matière de défense des droits humains. Mais il n’est pas le seul. Il faut aussi aborder des questions comme la protection de la vie privée ou la traçabilité de l’ensemble de nos actions. Tous les aspects qui touchent nos droits fondamentaux doivent être abordés», souligne Yves Lador.
C’était justement l’ambition du Sommet mondial de la société de l’information – une conférence de l’ONU qui s’est tenue en deux temps à Genève (2003) et Tunis (2005).
«Mais le processus s’est ensablé, juge Yves Lador. Raison pour laquelle les ONG doivent plus fortement se mobiliser sur ce thème en dépassant pour certains leurs réflexes anti-américain. Le monde politique doit aussi s’impliquer, mais avec des personnes au fait de la question. Ce qui est loin d’être toujours le cas, en Suisse ou ailleurs».
«Par la promotion de la liberté de l’Internet, nous avons l’occasion rare de relier la question des droits de l’homme avec nos aspirations de prospérité économique.
La liberté sur Internet repose sur une plate-forme d’ouverture et d’accessibilité qui, à son tour, garantit que l’Internet soit l’huile dans les rouages du moteur mondial des idées, de l’innovation et de la croissance économique.
Nous croyons que l’investissement et l’innovation dans l’Internet iront à ces nations qui font de l’ouverture la base de leur politique de l’Internet.
Alors que nous entrons dans l’avenir numérique, les Etats-Unis sont convaincus que nous pouvons protéger et promouvoir les principes immuables de la liberté et la sécurité, la transparence et la confidentialité, la liberté d’expression et la tolérance, tout en favorisant une plus grande prospérité pour l’humanité. »
Extrait d’une déclaration de Eileen Chamberlain Donahoe, représentante permanente des Etats-Unis auprès du Conseil des droits de l’homme à Genève parue dans Le Temps du 16 février 2011
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