«La Suisse doit négocier, mais pas se mettre à genoux devant Donald Trump»
Le président américain Donald Trump a fait trembler la Confédération en la menaçant de lui imposer des droits de douane de 31%. Pour tenter d’y échapper, le Conseil fédéral a lancé une offensive de charme. Mais est-ce la bonne stratégie? Le sujet a été débattu dans notre émission filmée Let’s Talk.
Donald Trump ne ménage pas la Suisse. Il a menacé de taxer les exportations helvétiques vers les États-Unis à hauteur de 31 %. En réponse, le Conseil fédéral a lancé une opération de séduction. Celle-ci semble avoir porté ses fruits puisqu’une déclaration d’intention commerciale entre les deux pays devrait être finalisée prochainement.
Si la gauche avait initialement accusé le Conseil fédéral de faire des courbettes à Donald Trump, la députée socialiste Laurence Fehlmann Rielle reconnaît, dans Let’s Talk, que tenter de négocier pour infléchir les droits de douane était une bonne chose. Également membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national, elle avertit toutefois: «Le président Trump joue toujours sur les rapports de force. Il ne faut donc pas s’empresser de s’aplatir devant lui».
Le député du Parti libéral radical (PLR / droite) Damien Cottier, qui préside l’association parlementaire Suisse-USALien externe, défend l’action du gouvernement: «Le Conseil fédéral ne s’aplatit devant rien du tout. Il a cherché le dialogue pour trouver un accord avec les États-Unis, en mettant en lumière les atouts de la Confédération».
>> Le député PLR Damien Cottier estime que la stratégie du Conseil fédéral est la bonne:
Pour tenter d’amadouer Donald Trump, la Suisse pourrait encore faire différentes concessions. L’une des options serait par exemple de renoncer à imposer une taxe sur les produits agricoles. «Ce serait la mort de l’agriculture suisse», prévient, dans l’émission, Didier Calame, député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), agriculteur et membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national.
Par ailleurs, le Conseil fédéral a récemment décidé de repousser une réglementation des réseaux sociaux, dans le but d’apaiser les tensions avec Washington. Cela a suscité l’ire de nombreux parlementaires, de gauche comme de droite, qui lui ont adressé une lettre ouverteLien externe sous l’égide de l’ONG AlgorithmWatch CH, l’accusant de s’aplatir «devant Trump, Musk et consorts».
Damien Cottier réfute toutefois cette interprétation: «Il ne s’agit que d’un report de cette réglementation. Il aurait été faux d’amener un facteur d’irritation à un moment où l’on cherche à négocier».
>> Le correspondant de la RTS à Washington analyse la stratégie du Conseil fédéral:
La Suisse doit-elle se tourner vers d’autres partenaires?
L’imprévisibilité du président américain devrait inciter la Suisse à accélérer son rapprochement avec l’Union européenne (UE), aux yeux de Laurence Fehlmann Rielle. «La priorité est de finaliser le paquet d’accords avec l’UE. Nous aimerions d’ailleurs entendre davantage le Conseil fédéral pour défendre ces accords, en particulier le ministre PLR des Affaires étrangères Ignazio Cassis», affirme la députée socialiste.
«On ne l’entend pas beaucoup, car il travaille au lieu de passer son temps à donner des interviews», réplique Damien Cottier, qui défend le ministre de son parti. Le député PLR considère que la Confédération doit consolider ses relations avec ses trois principaux partenaires commerciaux: l’UE, les États-Unis et la Chine. «Cela permet de diversifier les risques si l’un d’eux va moins bien à un moment donné», précise-t-il.
Dans cette perspective, le Conseil fédéral prévoit de mettre à jour ses accords de libre-échange avec la Chine. En tant qu’agriculteur, Didier Calame ne voit cependant pas cela d’un bon œil, car à travers cet accord la Confédération vise un meilleur accès au marché chinois dans le domaine de l’agriculture. «Cela créerait une concurrence déloyale pour les produits suisses», affirme-t-il. Il rappelle notamment que la Suisse applique les normes les plus strictes en matière de bien-être animal dans l’élevage.
>> Pour la députée socialiste Laurence Fehlmann Rielle, les accords bilatéraux III sont la priorité:
Les années Trump bénéfiques pour la Suisse?
L’ancien ambassadeur des États-Unis en Suisse Edward McMullen a récemment affirmé dans le journal BlickLien externe que les années Trump seront très bonnes pour la Suisse. Damien Cottier ne souhaite pas faire de prévisions, mais il estime que le Conseil fédéral doit créer les conditions qui permettent aux deux pays de travailler ensemble pour créer de l’emploi, de la richesse et offrir une bonne qualité de vie aux habitantes et habitants des deux pays. «Si on érige des murs économiques, cela va être au détriment de la Suisse et des États-Unis», avertit-il.
Laurence Fehlmann Rielle se dit inquiète. «On a l’impression que Donald Trump se sent surpuissant et peut faire ce qu’il veut. Il agit à coup d’impulsions», observe-t-elle. La politicienne genevoise espère une réaction du peuple américain pour que le pays revienne à une situation plus stable et prévisible.
La politique migratoire de Donald Trump inquiète les Suisses de l’étranger installés aux États-Unis. Certains songent à un retour au pays, d’autres craignent de perdre leur droit de séjour. Pietro Gerosa, un Suisse de New York qui a participé à l’émission à distance, ne compte pas rentrer au pays. «J’ai en revanche beaucoup d’amis américains qui réfléchissent à aller s’installer en Europe, car ils ont du mal à vivre la situation actuelle», dit-il.
Damien Cottier estime que le peuple américain doit plutôt s’engager aux États-Unis pour défendre sa démocratie. «C’est une société qui doit vouloir prendre soin de ses valeurs. Celles-ci ne peuvent pas être imposées de l’extérieur. Il y a des choses surprenantes, voire choquantes, vu d’Europe, mais ce n’est pas à la Suisse d’aller faire la leçon au monde», souligne le député neuchâtelois.
Didier Calame, quant à lui, rappelle que Donald Trump a été élu pour quatre ans. «Les Américains ont encore 3 ans et demi pour se rendre compte qu’ils n’auraient peut-être pas dû réélire Donald Trump. S’ils sont intelligents, dans quatre ans, ils éliront un président plus centriste, pragmatique et avec lequel on pourra discuter sans que ce soit: ‘America First’», dit-il.
>> Le conseiller national UDC Didier Calame espère un président américain plus centriste:
Relu et vérifié par Samuel Jaberg
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