«Le problème de la Suisse, c’est l’Europe»

L'ambassadeur de Suisse en Inde, Dominique Dreyer, vient de prendre se retraite. Spécialiste du monde asiatique, et surtout de la Chine, il a passé sa vie dans des couloirs d'ambassades. Rencontre.
swissinfo: Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la diplomatie?
Dominique Dreyer: J’ai toujours eu l’intention de me rendre dans des pays exotiques. La diplomatie, pour moi, c’était un bon moyen de partir à l’étranger… (rires) et j’ai eu beaucoup de chance: ça m’a réussi!
swissinfo: Vous avez d’abord été nommé en Chine…
D. D. : Oui, la Chine m’attirait. J’ai appris le chinois pendant neuf mois et j’ai été envoyé à Pékin. Là-bas, le fait de parler la langue m’a été très utile.
Je pouvais prendre le téléphone et appeler un haut fonctionnaire sans avoir à passer par un intermédiaire. Ou relire les lettres écrites par ma secrétaire chinoise et vérifier qu’elles correspondaient bien à ce que je voulais exprimer. Rien que de pouvoir lire les journaux locaux, ça m’apportait plein d’informations.
En Inde, ça n’a rien à voir: ici, la langue de l’élite, la seule indispensable pour parler aux dirigeants du pays, c’est l’anglais. C’est d’ailleurs devenu une langue nationale, plus qu’étrangère: pensez à tous les auteurs indiens qui écrivent en anglais, qui gagnent des prix Nobel de littérature!
swissinfo: Comment définiriez-vous les relations entre la Suisse et l’Inde?
D. D. : Elles sont excellentes! L’aspect le plus important concerne les échanges économiques. Il y a beaucoup d’investissements suisses en Inde.
De même, de nombreuses firmes indiennes établissent leur quartier général européen en Suisse. D’abord parce que nous sommes au centre de l’Europe, géographiquement parlant, et ensuite parce que les cantons offrent souvent des avantages fiscaux.
Pourtant les échanges entre nos deux pays pourraient être encore bien plus élevés: les exportations indiennes chez nous ne représentent qu’un tiers de nos exportations dans leur pays.
swissinfo: De quelle image jouit la Suisse en Asie?
D. D. : D’une image remarquable. Surtout en Inde. Pour beaucoup de personnes, c’est un petit paradis. Ils ne rêvent que de passer leur lune de miel ou des vacances en Suisse!
D’ailleurs les Indiens se rendent facilement en Suisse pendant une ou deux semaines tous les ans. Ils louent la même maison, amènent leur famille et leurs aides de ménage…
Sur le plan politique, la Suisse est reconnue pour sa politique étrangère de prudence et son respect de la neutralité. En tant que diplomates, nous bénéficions énormément de cette image positive de notre pays.
swissinfo: De nos jours, la Suisse a-t-elle un grand rôle à jouer sur la scène internationale?
D. D. : Notre participation dans les affaires internationales a beaucoup augmenté depuis que nous avons adhéré aux Nations Unies. Nous avons eu un rôle très actif dans la création du Conseil des Droits de l’Homme, ou dans la réorganisation du travail entre le Conseil de Sécurité et l’Assemblée Générale.
Et puis, même si la Guerre Froide est finie, il y a toujours des cas où les médiateurs sont indispensables. Cet été, par exemple, la Suisse représentait les intérêts de la Russie en Géorgie. Et Berne continue de représenter les Etats-Unis auprès de Cuba et de l’Iran.
L’un des principaux problèmes de notre politique étrangère aujourd’hui, c’est l’Europe. Je pense qu’à terme nous serons contraints de faire le pas et d’adhérer à l’Union européenne. Pourquoi la Suisse serait-elle le seul pays sans intérêt à y rentrer – alors que c’est l’un des pays d’Europe les plus intégrés économiquement?
swissinfo: Qu’est-ce qui vous a le plus plu dans votre métier?
D. D. : On rencontre plein de gens, notamment les élites politiques, économiques et intellectuelles d’un pays. On découvre aussi des personnalités hors du commun. Je me souviens notamment d’une aveugle, une Allemande, qui avait développé un système de braille pour les Tibétains! Dans ce pays, les aveugles sont rejetés par la population: ils sont censés avoir un mauvais karma. Elle, elle a fondé une école pour aveugles. Et elle leur apprend un métier dont ils peuvent vivre, comme masseur. C’est impressionnant.
swissinfo: Quels sont vos projets maintenant?
D. D. : Je vais rentrer en Suisse. Je vais me consacrer à nouveau à l’étude du chinois et faire de nombreuses visites en Chine.
Je suis aussi un grand amateur de musique classique et j’aimerais visiter les villes européennes que je n’ai pas eu le temps de voir pendant que je résidais à l’étranger: Vienne, les villes italiennes…
Ce qui est important, je pense, c’est de s’installer dans un endroit connu, où l’on a déjà de la famille ou des amis. Après 24 ans à l’étranger, je rentre donc m’installer dans mon canton de Fribourg.
Interview swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, New Delhi
Marque de fabrique. Dominique Dreyer est né à Berne en 1945. Lorsqu’il a dix ans, sa famille emménage à Fribourg. Il étudie au collège St-Michel, «la marque de fabrique des Fribourgeois».
Etudiant, il s’intéresse au droit, d’abord à Fribourg, puis à Cambridge, où il se spécialise en droit international.
Diplomatie. Il entre au Département des Affaires Etrangères en 1972, à une époque où le gouvernement décide de renforcer la formation de son personnel en langues étrangères «difficiles».
Mandarin. Dominique Dreyer, passionné par la Chine, apprend le mandarin. Il est envoyé en Chine de 1974 à 1978 puis de 1984 à 1988. Il passe aussi quatre ans à l’ambassade de Suisse à Tokyo.
Japonaise. En 1992, changement de décor: il est envoyé à Paris. C’est là qu’il rencontre sa future épouse, une japonaise.
Trois pays. Retour à ses premiers amours, il retourne en Chine en 1995. Nommé ambassadeur, il reste en poste à Pékin jusqu’en 2004, au moment où il est envoyé en Inde. Depuis New Delhi, il représente la Suisse auprès des gouvernements indien, bhoutanais et népalais.

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