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Initiative pour des aliments équitables: les affirmations du Conseil fédéral sont-elles correctes?

Un agriculteur dans un champ de légumes
La Suisse ne peut de loin pas répondre à la totalité de la demande en légumes. Gaetan Bally/Keystone

Le Conseil fédéral estime que l’initiative pour des aliments équitables est superflue. Le ministre de l’intérieur Alain Berset affirme qu’aujourd’hui déjà, la Suisse produit elle-même la moitié des denrées dont elle a besoin. Est-ce exact?

Le 23 septembre, les électeurs se prononceront simultanément sur deux objets touchant à l’agriculture suisse. L’initiative «pour des aliments équitablesLien externe» du Parti écologiste suisse veut que les denrées consommées dans le pays répondent à des normes écologiques et sociales minimales. Et l’initiative «pour la souveraineté alimentaire», lancée par le syndicat paysan Uniterre et L’autre syndicat, demande que l’approvisionnement soit assuré au moins pour moitié avec des denrées alimentaires indigènes et des aliments indigènes pour les animaux.

Pourquoi l’argument d’Alain Berset est-il important?

Le Conseil fédéral fait valoirLien externe que la Suisse produit la moitié des denrées dont elle a besoin et que celles-ci répondent aujourd’hui déjà à des exigences strictes en ce qui concerne la sécurité, la qualité et la durabilité. Prescrire les mêmes standards pour les denrées alimentaires importées serait problématique parce qu’ils pourraient contrevenir aux accords commerciaux conclus. Alain BersetLien externe relève en outre qu’on «peut garantir aujourd’hui la transparence sur les produits importés qui correspondent à des types de production qui ne sont pas admis en Suisse. C’est clairement indiqué et les consommateurs ont le choix de ne pas les acheter.»

Le Conseil fédéral rejette les deux initiatives. Selon le chef du Département fédéral de l’intérieur, Alain Berset, l’initiative pour des aliments équitables est superflueLien externe parce que la Suisse produit aujourd’hui déjà environ la moitié des denrées dont elle a besoinLien externe. Cet argument peut aussi être invoqué contre l’initiative pour la souveraineté alimentaire. Il y a donc deux bonnes raisons d’y regarder de plus près.

Oui, mais…

Selon le rapport agricole 2017Lien externe de l’Office fédéral de l’agriculture, le taux brut d’auto-approvisionnement était de 59% en 2015. Ce chiffre représente le rapport entre la production indigène et la consommation totale de denrées alimentaires en Suisse. Ce taux baisse à 51% si l’on tient compte des aliments qui sont importés pour nourrir les animaux dans le calcul de la part de la production indigène.

C’est donc exact: aujourd’hui déjà, selon les calculs basés sur la valeur énergétique des aliments, la Suisse produit à peu près la moitié de ce qu’elle consomme, toutes denrées confondues et y compris les aliments invendus ou avariés. Mais un regard sur les statistiques met en évidence de grandes différences selon les catégories d’aliments.

Depuis des années, la Suisse produit près du 100% des denrées d’origine animale qu’elle consomme. Mais ce taux tombe autour de 40% pour les denrées végétales et il varie encore d’une année à l’autre en raison de l’influence des conditions météorologiques sur les récoltes.

Le taux d’auto-approvisionnement est pour sa part plus bas pour les aliments d’origine animale si l’on retranche ceux qui proviennent d’animaux nourris avec des produits d’importation. Selon l’Office fédéral de la statistiqueLien externe, la Suisse couvre alors moins de 80% de ses besoins dans ce domaine.

Contenu externe

La proportion de produits indigènes par rapport à ce qui est consommé en Suisse varie également très fortement en fonction des denréesLien externe: elle se monte à 86% pour la viande, mais elle n’est que de 2% pour le poisson et les crustacés. La production est en revanche plus importante que la consommation pour le lait et les produits laitiers (116%), alors que la Suisse ne parvient pas à couvrir plus d’un quart de sa demande en fruits. Pour les œufs et les légumes, la production indigène couvre environ la moitié de la consommation.

Les chiffres ne donnent qu’un aperçu global

Il faut en outre savoir que le calcul du taux d’auto-approvisionnement ne reflète pas vraiment la quantité de produits indigènes qui sont vraiment consommés dans le pays. Une partie d’entre eux est en effet exportée, ce qui est compensé par des importations. Le taux donne uniquement un rapport théorique entre la production et la consommation indigène et ne reflète donc pas vraiment la réalité.

La réalité ressemble à peu près à ceci: en valeur, les importations de denréesLien externe dépassent les exportations. Les importations alimentaires par habitant sont d’ailleurs parmi les plus hautes du monde. Cela s’explique par la densité de population et l’étendue relativement faibles des terres utilisablesLien externe pour l’agriculture en raison des Alpes.

Alain Berset
Le président de la Confédération Alain Berset. KEYSTONE / ANTHONY ANEX

La Suisse importe aussi certains aliments de baseLien externe en grandes quantités, en particulier le riz, le blé dur, l’huile de palme ainsi que le soja utilisé comme fourrage. Des importations de céréales ou de pommse de terre peuvent également s’avérer nécessaires en cas de mauvaises récoltes.

Il faut souligner la dépendance actuelle de la Suisse à l’égard des importations parce que le président de la Confédération, Alain Berset, met en avant la liberté de choix des consommateurs en expliquant que c’est à eux de décider s’ils veulent acheter ou non des produits étrangers qui répondent à des standards écologiques et sociaux moins sévères. Mais puisque la Suisse importe en grandes quantités certains produits de base tels que le riz ou le blé dur, les consommateurs n’ont en réalité pas toujours la liberté de se tourner vers des produits indigènes.

De plus, de nombreux produits préparés hautement transformés contiennent une longue liste de composants qui en partie proviennent nécessairement de l’importation. Certains d’entre eux ne peuvent tout simplement pas être produits en Suisse en raison du climat, à l’exemple de l’huile de palme contenue dans de nombreux aliments industriels.

Verdict: En théorie et si l’on considère le bilan global pour l’ensemble des denrées, Alain Berset a raison lorsqu’il dit que la Suisse produit elle-même la moitié des aliments dont elle a besoin. Le taux d’auto-approvisionnement varie cependant énormément selon les produits. Et les chiffres ne donnent qu’un rapport abstrait et ne reflètent pas les flux réels de la production à la consommation.

L’autarcie alimentaire

Le centre de compétences de la Confédération pour la recherche agricole AgroscopeLien externe a calculé quelle serait la situation si la Suisse ne pouvait plus rien importer ou exporter. La simulationLien externe conclut que la Suisse pourrait assurer elle-même son approvisionnement en cas de pénurie. Les surfaces agricoles suffiraient pour assurer à la population 2340 kcal (9790 KJ) par habitant et par jour (les recommandations vont de 7500 à 10500 KJ par jour). Toutefois, une restructuration du secteur agricole serait nécessaire et les Suisses devraient se serrer la ceinture et modifier leurs habitudes alimentaires. Il n’y aurait plus guère de viande de porc, de volaille ou d’œufs au menu, mais bien plus de produits de boulangerie et de pommes de terre qu’aujourd’hui.

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Traduction de l’allemand: Olivier Huether

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