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«La Suisse n’a jamais craint une Allemagne réunifiée»

Keystone

A quelques semaines du 20e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, l'ambassadeur de Suisse en Allemagne rappelle comment la Confédération a vécu les événements et comment les liens unissant les deux pays ont renforcé les relations bilatérales dans l'UE.

La Suisse et l’Allemagne ont toujours été proches, puisque la seconde est le premier partenaire économique de la première, le 5e pour les exportations et le 3e pour les importations, rappelle l’ambassadeur Christian Blickenstorfer dans une interview à swissinfo.ch.

Un léger froid a toutefois pesé sur les relations diplomatiques ces derniers mois avec les attaques du ministre des finances Peer Steinbrück, qui a perdu son mandat depuis les élections générales du 27 septembre.

swissinfo.ch: Quels sont les points forts de la relation entre l’Allemagne et la Suisse?

Christian Blickenstorfer: Nous avons des systèmes démocratiques similaires et des relations économiques très étroites. De plus, l’Allemagne a, au cours des dernières années, été d’un grand secours à la Suisse lors du processus d’élargissement de l’Union européenne. C’est quelque chose dont la population suisse n’est pas forcément consciente.

Mais les politiciens et tous ceux qui ont été proches du dossier ont vu que, sans l’assistance des Allemands, nous n’aurions jamais obtenu autant pour assurer nos relations bilatérales avec l’UE.

swissinfo.ch: Quand vous parlez des relations de la Suisse avec l’Allemagne, vous parlez de toute la Suisse ou seulement de la Suisse alémanique?

C.B.: Moi et mes collègues pensons que nos relations avec l’Allemagne devraient être aussi proches que celles que nous avons avec nos compatriotes francophones. Cela dit, j’ai l’impression que les relations de la Suisse francophone avec la France ne sont pas aussi étroites que celles qui existent entre la Suisse alémanique et l’Allemagne, mais je peux me tromper.

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui vous fait penser ça?

C.B.: Encore une fois, économiquement, l’Allemagne est beaucoup plus importante pour la Suisse et, je le précise, pour l’ensemble de la Suisse, que la France. De plus, le système centralisé français fait de l’Hexagone un partenaire moins naturel que l’Allemagne avec le système fédéraliste qu’elle a depuis 1949.

swissinfo.ch: L’Allemagne célèbre les 20 ans de sa réunification. Comment la Suisse avait-elle réagi, à l’époque?

C.B.: Contrairement à l’Angleterre et en particulier à la première ministre de l’époque, Margaret Thatcher, la Suisse n’a jamais craint une Allemagne réunifiée.

Mais Berne a évidemment aussi pris la mesure de ce nouveau voisin, devenu un membre très influent au sein de l’UE. Mais puisqu’elle était déjà tellement bien intégrée dans l’Union, l’Allemagne ne présentait plus le danger de déclencher une guerre, comme elle l’avait fait deux fois au cours du 20e siècle.

swissinfo.ch: Ne craignait-on pas une fuite des cerveaux et des investissements vers ce pays en construction?

C.B.: De façon intéressante, c’est le contraire qui s’est produit. La qualité de vie en Suisse et nos salaires plus élevés ont attiré plus de travailleurs de l’Union européenne, une fois que Berne a accepté qu’il en soit ainsi. La Suisse attire plus de monde qu’elle n’en perd. Mais le nombre de Suisses en Allemagne a aussi augmenté ces cinq à sept dernières années.

Pour la Suisse, la question des déplacements de personnes hautement qualifiées est un problème global. Dans les années 90, on a craint que les chercheurs les plus doués n’émigrent vers les Etats-Unis.

C’est pourquoi nous avons mis en place un consulat scientifique à Boston, pour faciliter le retour des «cerveaux» désirant revenir en Suisse. Beaucoup en ont profité. Nous avons établi un modèle semblable en Allemagne.

Nous verrons si la situation change à cause de la crise actuelle. Mais, de manière générale, nous sommes heureux des échanges entre les deux pays.

swissinfo.ch: Les Suisses alémaniques ne voient pas toujours d’un bon œil l’immigration de nombreux Allemands…

C.B.: Il est vrai que certains Alémaniques ont craint que cette main-d’œuvre ne fasse pression sur les salaires. Mais les peurs de ceux qui s’étaient opposés à la libre circulation des personnes en Europe se sont révélées infondées. Avec la crise actuelle, le flux migratoire s’est automatiquement réduit.

swissinfo.ch: L’Union européenne continue à s’étendre. Mais où sera la Suisse dans dix ans?

C.B.: C’est difficile à dire. Nous resterons probablement à l’extérieur de l’Union européenne. La population suisse n’est pas encore prête à une adhésion et le gouvernement ne lui fera aucune proposition dans ce sens, notamment à cause de notre système de démocratie directe, auquel nous ne voulons pas toucher, et des mécanismes de participation démocratique qui existent à tous les plans institutionnels. Bruxelles en est très loin.

Il y a des cantons en Suisse qui se trouvent déjà trois loin du pouvoir et de Berne… Les Suisses ont aussi toujours quelque appréhension de ce qu’ils considèrent comme un colosse administratif – c’est-à-dire l’UE. Je crois qu’ils préfèrent garder leur indépendance, qui est ancrée dans leurs cœurs.

Andrew Littlejohn, Berlin, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’anglais: Ariane Gigon)

Né en 1945 à Horgen (ZH), Christian Blickenstorfer est docteur en lettres de l’Université de Zurich.

Entré en 1974 au service du Département fédéral des affaires étrangères, il a été détaché à l’ancienne Division du Commerce du Département fédéral de l’économie publique en 1976.

Dès 1980, il a assumé des représentations à Bangkok et à Téhéran puis, dès 1989, à Washington. En 1993, le Conseil fédéral l’a nommé ambassadeur au Royaume d’Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis, au Sultanat d’Oman et en République du Yémen, avec résidence à Ryad.

Ambassadeur aux Etats-Unis depuis août 2001, il a rejoint Berlin, son dernier mandat avant la retraite, en mai 2006.

Comme d’autres ambassadeurs en place à Berlin, Christian Blickenstorfer a été invité par la Fondation politique Konrad-Adenauer à donner son point de vue sur l’impact de la réunification allemande sur son pays.

A cette occasion, il a dévoilé les liens de sa famille avec l’Allemagne, sa mère ayant eu une amie très proche à Berlin.

En été 1989, la Hongrie décide d’ouvrir ses frontières, provoquant un véritable exode. Des milliers d’Allemands de l’Est rejoignent l’Allemagne de l’Ouest en passant par la Hongrie.

Le mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989.

Le 18 mars 1990, les premières élections libres ont lieu en Allemagne de l’est. Des négociations entre les deux Allemagne aboutissent à un traité de réunification, le 3 octobre 1990.

L’Allemagne réunifiée est restée membre de l’Union européenne et de l’OTAN.

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