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2010 ou le ras-le-bol de l’Union européenne

La visite de Doris Leuthard à Bruxelles le 19 juillet marque la fin du bilatéralisme à l'ancienne. AFP

Sous les coups de boutoir du G20, la Suisse a dû se résigner à écorner son secret bancaire en 2009. En 2010, l’UE est revenue à la charge avec le dossier de la fiscalité des entreprises et a affiché sa détermination à recadrer l’ensemble de ses relations avec Berne.

14 décembre 2010. Les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept expriment, noir sur blanc, leur ras-le-bol. «Le Conseil demeure très préoccupé par certains régimes cantonaux d’imposition des sociétés en Suisse, qui créent une distorsion inacceptable de la concurrence (…) », soulignent, notamment, les conclusions qu’ils adoptent ce jour-là.

«Le Conseil invite une nouvelle fois la Suisse à supprimer ces incitations fiscales» en faveur des holdings, que l’Union assimile à des aides d’Etat favorisant les délocalisations d’entreprises et violant l’accord de libre-échange que la Suisse et l’UE ont conclu en 1972.

Les accords bilatéraux, justement, qui se multiplient comme des petits pains depuis que la Suisse a renoncé à adhérer à l’Espace économique européen en 1992: «Tout en respectant pleinement la souveraineté et les choix de la Suisse, le Conseil a estimé que si le système actuel d’accords bilatéraux a bien fonctionné par le passé, le défi des années à venir consistera à sortir de ce système complexe, qui est source d’insécurité juridique, devient difficile à gérer et qui a manifestement atteint ses limites. Afin que les futures relations s’établissent sur une base solide, il sera nécessaire de trouver des solutions acceptables par les deux parties sur un certain nombre de questions horizontales», de nature institutionnelle, poursuit le texte.

L’Union énumère ses revendications: elle réclame l’instauration de mécanismes «d’adaptation dynamique» des accords aux évolutions de sa législation et de sa jurisprudence, de «surveillance et d’exécution des décisions de justice» et «de règlement des différends», inexistants à ce jour.

Berne dédramatise

La situation est-elle grave? A lire le communiqué publié le 14 décembre 2010 par le Bureau de l’intégration, un département commun aux Ministères suisses de l’économie et des affaires étrangères, non: «Du point de vue suisse, les accords bilatéraux existants fonctionnent, dans l’ensemble, bien» écrit-il, en ajoutant que la Suisse «se montre constructive» dans le domaine de la fiscalité – elle a notamment proposé des «solutions» au casse-tête de la fiscalité cantonale, que l’Italie a toutefois rejetées, et est disposée à renégocier l’accord sur la fiscalité de l’épargne.

Certes, la Suisse n’a pas tout à fait tort de dédramatiser, car le bilatéralisme – la seule voie d’intégration européenne envisageable pour le pays, a rappelé le 17 septembre le gouvernement helvétique – a un avenir. Une preuve, parmi d’autres: le 20 décembre, les ministres de l’Environnement des Vingt-Sept ont autorisé la Commission européenne à ouvrir des négociations avec Berne sur le commerce des droits d’émission de gaz à effet de serre.

En revanche, peut-être la Suisse sous-estime-t-elle la détermination de l’Union à recadrer l’ensemble de ses relations avec elle, qui s’est déjà traduite dans les faits par le blocage de négociations très importantes pour l’industrie suisse, sur l’électricité et la mise sur le marché des produits chimiques (Reach).

Même longueur d’ondes

Pour une fois, les différentes institutions européennes, qui ont adressé de nombreux coups de semonce à Berne, sont toutes sur la même longueur d’ondes.

En recevant la présidente de la Confédération, Doris Leuthard, le 19 juillet, le président du Conseil européen (l’enceinte qui réunit les chefs d’Etat ou de gouvernement des Vingt-Sept), le Belge Herman Van Rompuy, avait déjà tiré la sonnette d’alarme.

Le président de la Commission européenne, José Manuel Durão Barroso, lui avait aussitôt emboîté le pas – en critiquant dans la foulée tous les efforts entrepris par la Suisse pour sauvegarder son secret bancaire (notamment en ouvrant des négociations bilatérales avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne).

Le Parlement européen avait enfoncé le clou, le 7 septembre, en adoptant une résolution dénonçant les «obstacles» à la libre circulation des travailleurs que la Suisse a dressés et réclamant la résolution de certains «problèmes institutionnels».

Berne n’est pas restée insensible à ces pressions: le 18 août, un groupe de travail a été mis sur pied, qui a été chargé d’explorer avec la Commission européenne les pistes institutionnelles du nouveau bilatéralisme voulu par l’UE.

Un premier rapport a été remis au gouvernement suisse; on ne cache pas, à Bruxelles, de profondes divergences de vues entre les deux parties.

8 juin. Les ministres des Finances de l’UE confirment leur souhait d’étendre à la Suisse le code de (bonne) conduite qu’ils appliquent depuis 1997 dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Ouverture d’un «dialogue» avec Berne le 2 juillet.

17 juin. La Suisse dévoile les contours de sa nouvelle stratégie de communication destinée à redorer son blason à Bruxelles.

 

19 juillet. Visite de Doris Leuthard, la présidente de la Confédération, à Bruxelles. Pour l’UE, c’est l’enterrement officiel du bilatéralisme de papa.

7 septembre. Adoption d’une résolution du Parlement européen critiquant les «obstacles» suisses à la libre circulation des personnes et réclamant une modernisation institutionnelle du bilatéralisme.

17 septembre. Adoption, par le gouvernement suisse, d’un nouveau rapport sur la politique européenne du pays. Sacralisation du bilatéralisme.

20 octobre. Audition de l’ambassadeur de Suisse auprès de l’UE, Jacques de Watteville, par les experts des Vingt-Sept chargés de préparer un rapport sur les relations entre Berne et l’Union. Tout va bien pour le Suisse, rien ne va plus pour la Commission européenne.

12 novembre. Déplacement de la commissaire européenne à la justice, Viviane Reding, à Lausanne. Message (désormais archiconnu): la voie bilatérale a fait son temps.

15 novembre. Grande réception à Bruxelles à l’occasion des 50 ans de la Mission (ambassade) de Suisse auprès de l’UE. Discours de la ministre suisse des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, qui prône entre autres une «helvétisation» de l’UE.

28 novembre. Adoption, en Suisse, de l’initiative sur l’expulsion des criminels étrangers. Incompatible avec l’accord sur la libre circulation des personnes, mais l’UE se réfugie dans l’attentisme.

6 décembre. Réunion à Bruxelles du comité mixte Suisse-UE chargé de gérer l’accord de libre-échange de 1972. Long échange de doléances.

14 décembre. Adoption par les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept de conclusions sévères sur les relations entre l’UE et la Suisse.

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