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A Neuchâtel, une réforme fiscale appelée à faire école

La multinationale du tabac Philipp Morris est le plus gros contributable du canton de Neuchâtel. Keystone

En supprimant les exonérations accordées aux entreprises étrangères, critiquées par l’UE, tout en divisant par deux l’impôt sur les bénéfices, le canton de Neuchâtel pourrait faire office de pionnier. Entretien avec Jean Studer, l’architecte de la réforme soumise au peuple le 23 juin.

C’est une votation cantonale qui sera suivie dans toute la Suisse, et même au-delà. Le 23 juin, les électeurs et électrices neuchâtelois se rendent aux urnes pour décider du sort de la réforme de la fiscalité des entreprises. En renonçant aux exonérations fiscales accordées à une soixantaine d’entreprises étrangères installées sur son sol, Neuchâtel pourrait ouvrir la voie à d’autres cantons, à l’heure où Bruxelles se montre de plus en plus pressant à l’égard de la Suisse pour qu’elle mette un terme à ces régimes spéciaux.

En contrepartie, le projet prévoit de diviser par deux l’impôt sur le bénéfice des sociétés, ce qui placerait Neuchâtel à la 5e place des cantons suisses en terme d’attractivité fiscale. Désireux de porter le débat sur la place publique, un groupe de citoyens de tous bords politiques a déposé un référendum.

Le gouvernement et le parlement neuchâtelois, qui soutiennent à une forte majorité la réforme, ont subi un premier revers. Le scrutin, prévu initialement le 3 avril, a été annulé par le Tribunal fédéral, qui a estimé inconstitutionnel de lier deux objets de votation. En effet, l’adoption d’un soutien aux crèches passait par l’adoption de la nouvelle loi sur la fiscalité des entreprises. Ce lien a été brisé et la votation aura finalement lieu le 23 juin prochain. Le conseiller d’Etat (ministre) socialiste Jean Studer explique en quoi cette réforme est vitale pour l’avenir de son canton.

swissinfo.ch: Si elle est acceptée par le peuple, quelle impact cette réforme aura-t-elle sur votre canton?

Jean Studer: Elle mettra fin à une pratique vieille de plus de 40 ans à Neuchâtel. Lors de la crise horlogère du milieu des années ’70, le canton avait perdu 15’000 habitants et 10’000 emplois. Afin de promouvoir l’implantation d’entreprises, une politique d’exonération fiscale a été mise en place. C’est ce qu’on a appelé l’arrêté Bonny. Neuchâtel a fait un usage intensif de cet outil, puisque aujourd’hui la moitié des bénéfices des entreprises ne sont pas imposés.

Cependant, des critiques toujours plus vives ont été émises, notamment par les entreprises qui n’en bénéficiaient pas, mais aussi par les autres cantons, qui y voyaient une distorsion de la concurrence.

Avec cette réforme, nous souhaitons mettre fin à cette pratique. Toutes les entreprises seront mises sur un pied d’égalité face à l’impôt. Nous procédons à un rééquilibrage fiscal, tout en offrant un cadre très attractif en comparaison suisse voire international.

swissinfo.ch: Effectivement, le bénéfice de l’impôt sur les entreprises sera divisé par deux et celui des holdings par cent. Neuchâtel se lance-t-elle à son tour dans la sous-enchère fiscale?

J.S.: Notre canton est avant tout caractérisé par son activité industrielle et compte très peu de holdings, qui sont souvent liées à des sociétés de production. Le contexte est donc différent de celui de Zoug. L’histoire de Suchard montre que lorsque les holdings s’en vont, elles sont suivies par leurs sociétés de production. Ce processus peut être évité sans aucune perte fiscale. Au contraire, en soumettant toutes les entreprises à l’impôt, ce sont des millions de recettes supplémentaires qui tomberont dans les caisses des cantons et des communes.

swissinfo.ch: Si la réforme passe, Neuchâtel se retrouverait pourtant au même niveau que des cantons comme Zoug et Schwyz et des pays tels que l’Irlande et Singapour en matière d’attractivité fiscale.

J.S.: Je vous le répète, c’est la situation actuelle avec l’exonération d’une grande partie des bénéfices qui pose problème. Il s’agit de rétablir une certaine égalité entre entreprises. Depuis la crise financière, les sociétés étrangères manifestent de nouvelles attentes fiscales. Elles souhaitent des conditions favorables, mais qui soient ancrées dans la loi. C’est également ce que prône l’Union européenne dans le cadre des discussions menées avec la Confédération.

swissinfo.ch : Vous avez donc agi sous la pression de l’Union européenne.

J.S.: Nous avons voulu anticiper le résultat prévisible des discussions entre l’UE et la Suisse afin d’être à l’heure lorsque les régimes spéciaux seront abolis. Mais le canton n’est pas partie à la discussion.

swissinfo.ch: Cette réforme pourrait-elle servir d’exemple à d’autres cantons?

J.S.: Modestement, je dirais que oui. Nous n’offrons plus de privilèges particuliers comme la législation fédérale le prévoit encore, mais nous optons pour une politique de taux applicable à toutes les activités économiques. C’est une perspective qui pourrait ressortir des discussions avec l’UE. Le dossier est suivi avec intérêt et parfois avec une certaine envie à l’extérieur des frontières neuchâteloises. Et également auprès de la Confédération. J’en ai d’ailleurs discuté avec le nouveau ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann.

swissinfo.ch: N’est-il pas contradictoire que cette réforme soit menée par un homme de gauche?

J.S.: Je suis engagé depuis sept ans dans un processus de redressement financier du canton. Je suis convaincu que l’Etat est le meilleur redistributeur des richesses dans une communauté, mais encore faut-il qu’il ait des richesses à redistribuer. L’ancien président brésilien Lula affirme: ‘Le capitalisme ne peut pas fonctionner sans argent, le socialisme hélas non plus’. Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour que l’Etat puisse assurer les prestations essentielles au maintien de la cohésion sociale.

swissinfo.ch: Fiscalité peu attrayante pour les personnes physiques, coût de l’aide sociale qui explose, problèmes de collégialité: l’image de Neuchâtel a souffert ces dernières années. Cette réforme doit-elle contribuer à redorer le blason du canton?

J.S.: Nous avons effectivement connu des moments difficiles au sein du gouvernement neuchâtelois avec ce que l’on nomme «l’affaire Hainard». Ça n’a pas empêché le collège de travailler et de présenter des projets ambitieux. Le premier volet de la réforme fiscale sera suivi d’un autre que les Neuchâteloises et les Neuchâtelois attendent depuis longtemps: celui de la fiscalité des personnes physiques.

La charge fiscale, en particulier pour les familles et la classe moyenne, est trop lourde. Chaque année, nous perdons environ 500 contribuables qui vont s’installer dans les cantons avoisinants et emportent avec eux 10 millions d’impôts. Mais cette réforme ne pourra aboutir que si nous pouvons compter sur les recettes supplémentaires en provenance des entreprises.

Référendum. La loi sur la réforme de la fiscalité des entreprises a été acceptée à une très large majorité (99 voix contre 10) par le parlement neuchâtelois mais devra être soumise au peuple neuchâtelois le 23 juin prochain suite à un référendum déposé par un groupe de citoyens. Une partie de l’extrême-gauche juge quant à elle cette sous-enchère fiscale et les cadeaux faits aux détenteurs du capital inacceptables.

Mesures. La réforme prévoit notamment la réduction de l’impôt sur le bénéfice des entreprises de 10 à 5% d’ici 2016 et celui sur les holdings de 0,5 pour mille à 0,005 pour mille. L’impôt sur le capital sera quant à lui imputé à l’impôt sur le bénéfice et l’impôt des dividendes perçus par les actionnaires détenant plus de 10% du capital de l’entreprise réduit.

Fin des privilèges. Les régimes d’exonération fiscales accordées aux entreprises étrangères dans le cadre de la promotion économique seraient pour leur part supprimés, sauf exceptions. Actuellement, la moitié des bénéfices réalisés par les sociétés neuchâteloises échappent à l’impôt.

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